GROLUX
Suprème actif


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Messages: 4876
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Posté le: Mer Avr 29, 2009 08:45 am Sujet du message:
pipo a
écrit: | Heureusement que mon
coming-out s'est fait afin que je retablisse les pendules à l'heure sur
l'Islam. |
Comme quoi tu sait être drôle parfois.
Un peu de détente ?
Dans un livre intitulé
"Robaiyat" omar Khayyam a écrit: |
Tout le monde sait que je
n’ai jamais murmuré la moindre prière. Tout le monde sait aussi que je
n’ai jamais essayé de dissimuler mes défauts. J’ignore s’il existe une
Justice et une Miséricorde... Cependant, j’ai confiance, car j’ai
toujours été sincère.
Que vaut-il mieux ? S’asseoir dans une taverne, puis faire son examen de
conscience, ou se prosterner dans une mosquée, l’âme close ? Je ne me
préoccupe pas de savoir si nous avons un Maître et ce qu’il fera de moi,
le cas échéant.
Considère avec indulgence les hommes qui s’enivrent. Dis-toi que tu as
d’autres défauts. Si tu veux connaître la paix, la sérénité, penche-toi
sur les déshérités de la vie, sur les humbles qui gémissent dans
l’infortune, et tu te trouveras heureux.
Fais en sorte que ton prochain n’ait pas à souffrir de ta sagesse.
Domine-toi toujours. Ne t’abandonne jamais à la colère. Si tu veux
t’acheminer vers la paix définitive, souris au Destin qui te frappe, et ne
frappe personne.
Puisque tu ignores ce que te réserve demain, efforce-toi d’être heureux
aujourd’hui. Prends une urne de vin, va t’asseoir au clair de lune, et
bois, en te disant que la lune te cherchera peut-être vainement, demain.
Le Koran, ce Livre suprême, les hommes le lisent quelquefois, mais, qui
s’en délecte chaque jour ? Sur le bord de toutes les coupes pleines de vin
est ciselée une secrète maxime de sagesse que nous sommes bien obligés de
savourer.
Notre trésor ? Le vin. Notre palais ? La taverne. Nos compagnes fidèles ? La
soif et l’ivresse. Nous ignorons l’inquiétude, car nous savons que nos
âmes, nos cœurs, nos coupes et nos robes maculées n’ont rien à craindre
de la poussière, de l’eau et du feu.
En ce monde, contente-toi d’avoir peu d’amis. Ne cherche pas à rendre
durable la sympathie que tu peux éprouver pour quelqu’un. Avant de prendre
la main d’un homme, demande-toi si elle ne te frappera pas, un jour.
Autrefois, ce vase était un pauvre amant qui gémissait de l’indifférence
d’une femme. L’anse, au col du vase... son bras qui entourait le cou de la
bien aimée !
Qu’il est vil, ce cœur qui ne sait pas aimer, qui ne peut s’enivrer
d’amour ! Si tu n’aimes pas, comment peux-tu apprécier l’aveuglante
lumière du soleil et la douce clarté de la lune ?
Toute ma jeunesse refleurit aujourd’hui ! Du vin ! Du vin ! Que ses flammes
m’embrasent ! ... Du vin ! N’importe lequel... Je ne suis pas difficile.
Le meilleur, croyez bien, je le trouverai amer, comme la vie !
Tu sais que tu n’as aucun pouvoir sur ta destinée. Pourquoi l’incertitude
du lendemain te cause-t-elle de l’anxiété ? Si tu es un sage, profite du
moment actuel. L’avenir ? Que t’apportera-t-il ?
Voici la saison ineffable, la saison de l’espérance, la saison où les
âmes impatientes de s’épanouir recherchent les solitudes parfumées.
Chaque fleur, est-ce la main blanche de Moïse ? Chaque brise, est-ce
l’haleine de Jésus ?
Il ne marche pas fermement sur la Route, l’homme qui n’a pas cueilli le
fruit de la Vérité. S’il a pu le ravir à l’arbre de la Science, il sait
que les jours écoulés et les jours à venir ne diffèrent en rien du premier
jour décevant de la Création.
Au delà de la Terre, au delà de l’Infini, je cherchais à voir le Ciel et
l’Enfer. Une voix solennelle m’a dit: « Le Ciel et l’Enfer sont en toi.
»
Rien ne m’intéresse plus. Lève-toi, pour me verser du vin ! Ce soir, ta
bouche est la plus belle rose de l’univers... Du vin ! Qu’il soit vermeil
comme tes joues, et que mes remords soient aussi légers que tes boucles !
La brise du printemps rafraîchit le visage des roses. Dans l’ombre bleue du
jardin, elle caresse aussi le visage de ma bien aimée. Malgré le bonheur que
nous avons eu, j’oublie notre passé. La douceur d’Aujourd’hui est si
impérieuse !
Longtemps encore, chercherai-je à combler de pierres l’Océan ? Je n’ai
que mépris pour les libertins et les dévots. Khayyâm, qui peut affirmer que
tu iras au Ciel ou dans l’Enfer ? D’abord, qu’entendons-nous par ces
mots ? Connais-tu un voyageur qui ait visité ces contrées singulières ?
Buveur, urne immense, j’ignore qui t’a façonné ! Je sais, seulement, que
tu es capable de contenir trois mesures de vin, et que la Mort te brisera, un
jour. Alors, je me demanderai plus longtemps pourquoi tu as été créé,
pourquoi tu as été heureux et pourquoi tu n’es que poussière.
Aussi rapides que l’eau du fleuve ou le vent du désert, nos jours
s’enfuient. Deux jours, cependant, me laissent indifférent: celui qui est
parti hier et celui qui arrivera demain.
Quand suis-je né ? Quand mourrai-je ? Aucun homme ne peut évoquer le jour de
sa naissance et désigner celui de sa mort. Viens, ma souple bien-aimée ! Je
veux demander à l’ivresse de me faire oublier que nous ne saurons jamais.
Khayyâm, qui cousait les tentes de la Sagesse, tomba dans le brasier de la
Douleur et fut réduit en cendre. L’ange Azraël a coupé les cordes de sa
tente. La Mort a vendu sa gloire pour une chanson.
Pourquoi t’affliges-tu, Khayyâm, d’avoir commis tant de fautes ! Ta
tristesse est inutile. Après la mort, il y a le néant ou la Miséricorde.
Dans les monastères, les synagogues et les mosquées se réfugient les
faibles que l’Enfer épouvante. L’homme qui connaît la grandeur d’Allah
ne sème pas dans son cœur les mauvaises graines de la terreur et de
l’imploration.
Au printemps, je vais quelquefois m’asseoir à la lisière d’un champ
fleuri. Lorsqu’une belle jeune fille m’apporte une coupe de vin, je ne
pense guère à mon salut. Si j’avais cette préoccupation, je vaudrais
moins qu’un chien.
Le vaste monde: un grain de poussière dans l’espace. Toute la science des
hommes: des mots. Les peuples, les bêtes et les fleurs des sept climats: des
ombres. Le résultat de ta méditation perpétuelle: rien.
Admettons que tu aies résolu l’énigme de la création. Quel est ton destin
? Admettons que tu aies pu dépouiller de toutes ses robes la Vérité. Quel
est ton destin ? Admettons que tu aies vécu cent ans, heureux, et que tu
vives cent ans encore. Quel est ton destin ?
Pénètre-toi bien de ceci: un jour, ton âme tombera de ton corps, et tu
seras poussé derrière le voile qui flotte entre l’univers et
l’inconnaissable. En attendant, sois heureux ! Tu ne sais pas d’où tu
viens. Tu ne sais pas où tu vas.
Les savants et les sages les plus illustres ont cheminé dans les ténèbres
de l’ignorance. Pourtant, ils étaient les flambeaux de leur époque. Ce
qu’ils ont fait ? Ils ont prononcé quelques phrases confuses, et ils se
sont endormis.
Mon cœur m’a dit: « Je veux savoir, je veux connaitre ! Instruis-moi,
Khayyâm, toi qui as tant travaillé ! » J’ai prononcé la première lettre
de l’alphabet, et mon cœur m’a dit: « Maintenant, je sais. Un est le
premier chiffre du nombre qui ne finit pas...
Personne ne peut comprendre ce qui est mystérieux. Personne n’est capable
de voir ce qui se cache sous les apparences. Toutes nos demeures sont
provisoires, sauf notre dernière: la terre. Bois du vin ! Trêve de discours
superflus !
La vie n’est qu’un jeu monotone où tu es sûr de gagner deux lots: la
douleur et la mort. Heureux, l’enfant qui a expiré le jour de sa naissance
! Plus heureux, celui qui n’est pas venu au monde !
Ne cherche aucun ami dans cette foire que tu traverses. Ne cherche pas, non
plus, un abri sûr. D’une âme ferme, accueille la douleur, et ne songe pas
à te procurer un remède que tu ne trouveras pas. Dans l’infortune, souris.
Ne demande à personne de te sourire. Tu perdrais ton temps.
La Roue tourne, insoucieuse des calculs des savants. Renonce à t’efforcer
vainement de dénombrer les astres. Médite plutôt sur cette certitude: tu
dois mourir, tu ne rêveras plus, et les vers de la tombe ou les chiens
errants dévoreront ton cadavre.
J’avais sommeil. La Sagesse me dit: « Les roses du Bonheur ne parfument
jamais le sommeil. Au lieu de t’abandonner à ce frère de la Mort, bois du
vin. Tu as l’éternité pour dormir. »
Le créateur de l’univers et des étoiles s’est vraiment surpassé
lorsqu’il a créé la douleur ! Lèvres pareilles au rubis, chevelures
embaumées, combien êtes-vous dans la terre ?
Je ne peux apercevoir le Ciel. J’ai trop de larmes dans les yeux ! Les
brasiers de l’Enfer ne sont qu’une infime étincelle, si je les compare
aux flammes qui me dévorent. Le Paradis, pour moi, c’est un instant de
paix.
Sommeil sur la terre. Sommeil sous la terre. Sur la terre, sous la terre, des
corps étendus. Néant partout. Désert du néant. Des hommes arrivent.
D’autres s’en vont.
Vieux monde que traverse, au galop, le cheval blanc et noir du Jour et de la
Nuit, tu es le triste palais où cent Djemchids ont rêvé de gloire, où cent
Bahrâms ont rêvé d’amour, et se sont réveillés en pleurant.
Le vent du sud a flétri la rose dont le rossignol chantait les louanges.
Faut-il pleurer sur elle ou sur nous ? Quand la Mort aura flétri nos joues,
d’autres roses s’épanouiront.
Oublie que tu devais être récompensé hier et que tu ne l’as pas été.
Sois heureux. Ne regrette rien. N’attends rien. Ce qui doit t’arriver est
écrit dans le Livre que feuillette, au hasard, le vent de l’Éternité.
Lorsque j’entends disserter sur les joies réservées aux Élus, je me
contente de dire: « Je n’ai confiance que dans le vin. De l’argent
comptant, et non des promesses ! Le bruit des tambours ne plait qu’à
distance... »
Bois du vin ! Tu recevras de la vie éternelle. Le vin est le seul philtre qui
puisse te rendre ta jeunesse. Divine saison des roses, du vin et des arnis
sincères ! Jouis de cet instant fugitif qu’est la vie.
BOIS du vin, car tu dormiras longtemps sous la terre, sans ami, sans femme. Je
te confie un secret: les tulipes fanées ne refleurissent pas.
Tout bas, l’argile disait au potier qui la pétrissait: « Considère que
j’ai été comme toi... Ne me brutalise pas ! »
Potier, si tu es perspicace, garde-toi de meurtrir la glaise dont fut pétri
Adam ! Je vois sur ton tour la main de Féridoun, le cœur de Khosrou...
Qu’as-tu fait !
Le coquelicot puise sa pourpre dans le sang d’un empereur enseveli. La
Colette naît du grain de beauté qui étoilait le visage d’un adolescent.
Depuis des myriades de siècles, il y a des aurores et des crépuscules.
Depuis des myriades de siècles, les astres font leur ronde. Foule la terre
avec précaution, car cette petite motte que tu vas écraser était peut-être
l’œil alangui d’un adolescent.
Ce narcisse qui tremble au bord du ruisseau, ses racines sortent peut-être
des lèvres décomposées d’une femme. Que tes pas effleurent légèrement
le gazon ! Dis-toi qu’il a germé dans les cendres de beaux visages qui
avaient l’éclat des tulipes rouges.
J’AI vu, hier, un potier qui était assis devant son tour. I1 modelait les
anses et les flancs de ses urnes. Il pétrissait des crânes de sultans et des
mains de mendiants.
Le bien et le mal se disputent l’avantage, ici-bas. Le Ciel n’est pas
responsable du bonheur ou du malheur que le destin nous apporte. Ne remercie
pas le Ciel ou ne l’accuse pas... Il est indifférent à tes joies comme à
tes peines.
Si tu as greffé sur ton cœur la rose de l’Amour, ta vie n’a pas été
inutile, ou bien si tu as cherché à entendre la voix d’Allah, ou bien
encore si tu as brandi ta coupe en souriant au plaisir.
Prudence, voyageur ! La route où tu marches est dangereuse. Le glaive du
Destin est très affilé. Si tu vois des amandes douces, ne les cueille pas.
Il y a du poison.
Un jardin, une jeune fille onduleuse, une urne de vin, mon désir et mon
amertume: voilà mon Paradis et mon Enfer. Mais, qui a parcouru le Ciel et
l’Enfer ?
Toi, dont la joue humilie l’églantine, toi, dont le visage ressemble à
celui d’une idole chinoise, sais-tu que ton regard velouté a rendu le roi
de Babylone pareil au fou du jeu d’échecs qui recule devant la reine ?
La vie s’écoule. Que reste-t-il de Bagdad et de Balk ? Le moindre heurt est
fatal à la rose trop épanouie. Bois du vin, et contemple la lune en
évoquant les civilisations qu’elle a vues s’éteindre.
Écoute ce que la Sagesse te répète toute la journée: « La vie est brève.
Tu n’as rien de commun avec les plantes qui repoussent après avoir été
coupées. »
Les rhéteurs et les savants silencieux sont morts sans avoir pu s’entendre
sur l’être et le non-être. Ignorants, mes frères, continuons de savourer
le jus de la grappe, et laissons ces grands hommes se régaler de raisins
secs.
Ma naissance n’apporta pas le moindre profit à l’univers. Ma mort ne
diminuera ni son immensité ni sa splendeur. Personne n’a jamais pu
m’expliquer pourquoi je suis venu, pourquoi je partirai.
Nous tomberons sur le chemin de l’Amour. Le Destin nous piétinera. Ô jeune
fille, ô ma coupe enchanteresse, lève-toi et donne-moi tes lèvres, en
attendant que je sois poussière !
Du bonheur, nous ne connaissons que le nom. Notre plus vieil ami est le vin
nouveau. Du regard et de la main, caresse notre seul bien qui ne soit pas
décevant: l’urne pleine du sang de la vigne.
Le palais de Bahrâm est maintenant le refuge des gazelles. Les lions rôdent
dans ses jardins où chantaient des musiciennes. Bahrâm, qui capturait les
onagres sauvages, dort maintenant sous un tertre où broutent des ânes.
Ne cherche pas le bonheur. La vie est aussi brève qu’un soupir. La
poussière de Djemchid et de Kaï-Kobad tournoie dans le poudroiement vermeil
que tu contemples. L’univers est un mirage. La vie est un songe.
Va t’asseoir, et bois ! Tu jouiras d’un bonheur que Mahmoud n’a jamais
connu. Écoute les mélodies qu’exhalent les luths des amants: ce sont les
vrais psaumes de David. Ne plonge ni dans le passé ni dans l’avenir. Que ta
pensée ne dépasse pas le moment ! C’est le secret de la paix.
Les hommes bornés ou orgueilleux établissent une différence entre l’âme
et le corps. Moi, je n’affirme qu’une chose: le vin détruit nos soucis et
nous donne la quiétude parfaite.
Quelle énigme, ces astres qui bondissent dans l’espace ! Khayyâm, tiens
solidement la corde de la Sagesse. Prends garde au vertige qui fait tomber,
autour de toi, tes compagnons !
Je ne crains pas la mort. Je préfère cet inéluctable à l’autre qui me
fut imposé lors de ma naissance. Qu’est-ce que la vie ? Un bien qui m’a
été confié malgré moi et que je rendrai avec indifférence.
La vie passe, rapide caravane ! Arrête ta monture et cherche à être
heureux. Jeune fille, pourquoi t’attristes-tu ? Verse-moi du vin ! La nuit
va bientôt venir...
J’entends dire que les amants du vin seront damnés. Il n’y a pas de
vérités, mais il y a des mensonges évidents. Si les amants du vin et de
l’amour vont en Enfer, le Paradis doit être vide.
Je suis vieux. Ma passion pour toi me mène à la tombe, car je ne cesse de
remplir de vin de dattes cette grande coupe. Ma passion pour toi a eu raison
de ma raison. Et le Temps effeuille sans pitié la belle rose que
j’avais...
Tu peux m’obséder, visage d’un autre bonheur ! Vous pouvez moduler vos
incantations, voix amoureuses ! Je regarde ce que j’ai choisi et j’écoute
ce qui m’a déjà bercé. On me dit: « Allah te pardonnera » . Je refuse
ce pardon que je ne demande pas.
Un peu de pain, un peu d’eau fraîche, l’ombre d’un arbre, et tes yeux !
Aucun sultan n’est plus heureux que moi. Aucun mendiant n’est plus
triste.
Pourquoi tant de douceur, de tendresse, au début de notre amour ? Pourquoi
tant de caresses, tant de délices, après ? Maintenant, ton seul plaisir est
de déchirer mon cœur... Pourquoi ?
Quand mon âme pure et la tienne auront quitté notre corps, on placera une
brique sous notre tête. Et, un jour, un briquetier pétrira tes cendres et
les miennes.
Du vin ! Mon cœur malade veut ce remède ! Du vin, au parfum musqué ! Du
vin, couleur de rose ! Du vin pour éteindre l’incendie de ma tristesse ! Du
vin, et ton luth aux cordes de soie, ma bien aimée !
On parle du Créateur... Il n’aurait donc formé les êtres que pour les
détruire ! Parce qu’ils sont laids ? Qui en est responsable ? Parce
qu’ils sont beaux ? Je ne comprends plus...
Tous les hommes voudraient cheminer sur la route de la Connaissance. Cette
route, les uns la cherchent, d’autres affirment qu’ils l’ont trouvée.
Mais, un jour, une voix criera: « Il n’y a ni route ni sentier ! »
Dédié aux flammes de l’aurore le vin de ta coupe pareille à la tulipe
printanière ! Dédie au sourire d’un adolescent le vin de ta coupe pareille
à sa bouche ! Bois, et oublie que le poing de la Douleur te renversera
bientôt.
Du vin ! Du vin, en torrent ! Qu’il bondisse dans mes veines ! Qu’il
bouillonne dans ma tête ! Des coupes... Ne parle plus ! Tout n’est que
mensonge. Des coupes... Vite ! J’ai déjà vieilli...
Une telle odeur de vin émanera de ma tombe, que les passants en seront
enivrés. Une telle sérénité entourera ma tombe, que les amants ne pourront
s’en éloigner.
Dans le tourbillon de la vie, seuls sont heureux les hommes qui se croient
savants et ceux qui ne cherchent pas à s’instruire. Je suis allé me
pencher sur tous les secrets de l’univers, et j’ai regagné ma solitude en
enviant les aveugles que je rencontrais.
On me dit: « Ne bois plus, Khayyâm ! » Je réponds: « Quand j’ai bu,
j’entends ce que disent les roses, les tulipes et les jasmins. J’entends,
même, ce que ne peut me dire ma bien-aimée. »
À quoi réfléchis-tu, mon ami ? Tu penses à tes ancêtres ? Ils sont
poussière dans la poussière. Tu penses à leurs mérites ? Regarde-moi
sourire. Prends cette urne et buvons en écoutant sans inquiétude le grand
silence de l’univers.
L’aurore a comblé de roses la coupe du ciel. Dans l’air de cristal
s’égoutte le chant du dernier rossignol. L’odeur du vin est plus
légère. Dire qu’en ce moment des insensés rêvent de gloire, d’honneurs
! Que ta chevelure est soyeuse, ma bien-aimée !
Ami, ne fais aucun projet pour demain. Sais-tu, seulement, si tu pourras
achever la phrase que tu vas commencer ? Demain, nous serons peut-être loin
de ce caravansérail, et déjà pareils à ceux qui ont disparu, il y a sept
mille ans.
Ô rétiaire des cœurs, prends une urne et une coupe ! Allons nous asseoir au
bord du ruisseau. Svelte adolescent au clair visage, je te contemple et je
songe à l’urne et à la coupe que tu seras, un jour.
Il y a longtemps que ma jeunesse est allée rejoindre tout ce qui est mort.
Printemps de ma vie, tu es maintenant où sont les printemps passés. Ô ma
jeunesse, tu es partie sans que je m’en aperçoive ! Tu es partie comme
s’abolit, chaque jour, la douceur du printemps.
Ouvre-toi, mon frère, à tous les parfums, à toutes les couleurs, à toutes
les musiques. Caresse toutes les femmes. Redis-toi que la vie est brève et
que tu reviendras bientôt à la terre, serais-tu l’eau de Zemzem ou de
Selsebil.
Aspirer ici-bas à la paix: folie. Croire au repos éternel: folie. Après ta
mort, ton sommeil sera bref, et tu renaîtras, dans une touffe d’herbe qui
sera piétinée ou dans une fleur que le soleil flétrira.
Je me demande ce que je possède vraiment. Je me demande ce qui subsistera de
moi après ma mort. Notre vie est brève comme un incendie. Flammes que le
passant oublie, cendres que le vent disperse: un homme a vécu.
Conviction et doute, erreur et vérité, ne sont que des mots aussi vides
qu’une bulle d’air. Irisée ou terne, cette bulle est l’image de ta
vie.
À la puissance de Kaï-Kaous, à la gloire de Kai-Kobad, aux richesses du
Khorassan, je préfère une urne de vin. J’estime l’amant qui gémit de
bonheur, et je méprise l’hypocrite qui murmure une prière.
Écoute ce grand secret. Quand la première aurore illumina le monde, Adam
n’était déjà qu’une douloureuse créature qui appelait la nuit, qui
appelait la Mort.
La lune du Ramazan vient d’apparaître. Demain, le soleil baignera une ville
silencieuse. Les vins dormiront dans les urnes et les jeunes filles dans
l’ombre des bosquets.
Je n’ai pas demandé de vivre. Je m’efforce d’accueillir sans
étonnement et sans colère tout ce que la vie m’apporte. Je partirai sans
avoir questionné personne sur mon étrange séjour sur cette terre.
Ne laisse pas de cueillir tous les fruits de la vie. Cours vers tous les
festins et choisis les plus grandes coupes. Ne crois pas qu’Allah tient
compte de nos vices ou de nos vertus. Garde-toi de négliger ce qui peut te
rendre heureux.
Nuit. Silence. Immobilité d’une branche et de ma pensée. Une rose, image
de ta splendeur éphémère, vient de laisser tomber un de ses pétales. Où
es-tu, en ce moment, toi qui m’as tendu la coupe et que j’appelle encore ?
Sans doute, aucune rose ne s’effeuille près de celui que tu désaltères
là-bas, et tu es privée du bonheur amer dont je sais t’enivrer.
Si tu savais comme je m’intéresse peu aux quatre éléments de la nature et
aux cinq facultés del’homme ! Certains philosophes grecs, dis-tu, pouvaient
proposer cent énigmes à leurs auditeurs ? Mon indifférence là-dessus est
totale. Apporte du vin, joue du luth et que ses modulations me rappellent
celles de la brise, qui passe comme nous !
Quand l’ombre de la Mort s’allongera vers moi, quand la gerbe de mes jours
sera liée, je vous appellerai, et vous m’emporterez, ô mes amis ! Lorsque
je serai devenu poussière, vous façonnerez, avec mes cendres, une urne que
vous remplirez de vin. Peut-être, alors, me verrez-vous revivre.
Je ne me préoccupe pas de savoir où je pourrais acheter le manteau de la
Ruse et du Mensonge, mais je suis toujours à la recherche de bon vin. Ma
chevelure est blanche. J’ai soixante-dix ans. Je saisis l’occasion
d’être heureux aujourd’hui, car, demain, je n’en aurai peut-être plus
la force.
Que sont devenus tous nos amis ? La Mort les a-t-elle renversés et piétinés
? Que sont devenus tous nos amis ? J’entends encore leurs chansons dans la
taverne... Sont-ils morts, ou sont-ils ivres d’avoir vécu ?
Quand je ne serai plus, il n’y aura plus de roses, de cyprès, de lèvres
rouges et de vin parfumé. Il n’y aura plus d’aubes et de crépuscules, de
joies et de peines. L’univers n’existera plus, puisque sa réalité
dépend de notre pensée.
Voici la seule vérité. Nous sommes les pions de la mystérieuse partie
d’échecs jouée par Allah. Il nous déplace, nous arrête, nous pousse
encore, puis nous lance, un à un, dans la boîte du néant.
La voûte du ciel ressemble à une tasse renversée sous laquelle errent en
vain les sages. Que ton amour pour ta bien-aimée soit pareil à celui de
l’urne pour la coupe. Vois... Lèvre à lèvre, elles se donnent leur sang.
Les savants ne t’apprendront rien, mais la caresse des longs cils d’une
femme te révèlera le bonheur. N’oublie pas que tes jours sont comptés et
que tu seras bientôt la proie de la terre. Achète du vin, emporte-le à
l’écart, puis laisse-le te consoler.
Il te versera sa chaleur. Il te délivrera des neiges du passé et des brumes
de l’avenir. Il t’inondera de lumière. Il brisera tes chaînes de
prisonnier.
Autrefois, quand je fréquentais les mosquées, je n’y prononçais aucune
prière, mais j’en revenais riche d’espoir. Je vais toujours m’asseoir
dans les mosquées, où l’ombre est propice au sommeil.
Sur la Terre, bariolée, chemine quelqu’un qui n’est ni musulman, ni
infidèle, ni riche, ni pauvre. Il ne révère ni Allah, ni les lois. Il ne
croit pas à la vérité. Il n’affirme jamais rien. Sur la Terre bariolée,
quel est cet homme brave et triste ?
Avant de pouvoir caresser un visage pareil à une rose, que d’épines tu as
à retirer de ta chair ! Vois ce peigne. C’était un morceau de bois. Quand
on l’a découpé, quel supplice il a subi ! Mais, il a plongé dans la
chevelure parfumée d’un adolescent.
Quand la brise du matin entr’ouvre les roses et leur chuchote que les
violettes ont déjà déplié leurs robes, seul est digne de vivre celui qui
regarde dormir une souple jeune fille, saisit sa coupe, la vide, puis la
jette.
Tu appréhendes ce qui peut t’arriver demain ? Sois confiant, sinon
l’infortune ne manquerait pas de justifier tes craintes. Ne t’attache à
rien, ne questionne ni livres ni gens, car notre destinée est insondable.
Seigneur, Ô Seigneur, réponds-nous ! Tu nous as donné des yeux, et tu as
permis que la beauté de tes créatures nous éblouisse... Tu nous as donné
la faculté d’être heureux, et tu voudrais que nous renoncions à jouir des
biens de ce monde ? Mais cela nous est aussi impossible que de renverser une
coupe sans répandre le vin qu’elle contient !
Dans une taverne, je demandais à un vieux sage de me renseigner sur ceux qui
sont partis. Il m’a répondu: « Ils ne reviendront pas. C’est tout ce que
je sais. Bois du vin ! »
Regarde ! Écoute ! Une rose tremble dans la brise. Un rossignol lui chante un
hymne passionné. Un nuage s’est arrêté. Buvons du vin ! Oublions que
cette brise effeuillera la rose, emportera le chant du rossignol et ce nuage
qui nous donne une ombre si précieuse.
Cette voûte céleste sous laquelle nous errons, je la compare à une lanterne
magique dont le soleil est la lampe. Et le monde est le rideau où passent nos
images.
Une rose disait: « Je suis la merveille de l’univers. Vraiment, un
parfumeur aura-t-il le courage de me faire souffrir ? » Un rossignol chanta:
« Un jour de bonheur prépare un an de larmes. »
Ce soir ou demain, tu ne seras plus. Il est temps que tu demandes du vin,
couleur de rose. Insensé, te compares-tu à un trésor, et crois-tu que des
voleurs méditent déjà d’ouvrir ton sépulcre et d’emporter ton cadavre
?
Sultan, ta destinée glorieuse était écrite dans les constellations où
flamboie le nom de Khosrou ! Depuis le commencement des âges, ton cheval, aux
sabots d’or, bondissait parmi les astres. Quand tu passes, un tourbillon
d’étincelles te dérobe à notre vue.
L’amour qui ne ravage pas n’est pas l’amour. Un tison répand-il la
chaleur d’un brasier ? Nuit et jour, durant toute sa vie, le véritable
amant se consume de douleur et de joie.
Tu peux sonder la nuit qui nous entoure. Tu peux foncer sur cette nuit... Tu
n’en sortiras pas. Adam et Ève, qu’il a dû être atroce, votre premier
baiser, puisque vous nous avez créés désespérés !
Les étoiles laissent tomber leurs pétales d’or. Je me demande pourquoi mon
jardin n’en est pas déjà tapissé. Comme le ciel répand ses fleurs sur la
terre, je verse dans ma coupe noire du vin rose.
Je bois du vin comme la racine du saule boit l’onde claire du torrent. Allah
seul est Allah. Allah seul sait tout, dis-tu ? Quand il m’a créé, il
savait que je croirais au vin. Si je m’abstenais de boire, la science
d’Allah serait en défaut.
Le vin, seul, te délivrera de tes soucis. Le vin, seul, t’empêchera
d’hésiter entre les soixante-douze sectes. Ne te détourne pas du magicien
qui a le pouvoir de te transporter dans la contrée de l’oubli.
Chaque matin, la rosée accable les tulipes, les jacinthes et les violettes,
mais le soleil les délivre de leur brillant fardeau. Chaque matin, mon cœur
est plus lourd dans ma poitrine, mais ton regard le délivre de sa tristesse.
Si tu veux avoir la magnifique solitude des étoiles et des fleurs, romps avec
tous les hommes, avec toutes les femmes. Ne chemine près de personne. Ne te
penche sur aucune douleur. Ne participe à aucune fête.
Le vin a la couleur des roses. Le vin n’est peut-être pas le sang de la
vigne, mais celui des roses. Cette coupe n’est peut-être pas du cristal,
mais de l’azur figé. La nuit n’est peut-être que la paupière du jour.
Le vin procure aux sens une ivresse pareille à celle des Élus. Il nous rend
notre jeunesse, il nous rend ce que nous avons perdu et il nous donne ce que
nous désirons. Il nous brûle comme un torrent de feu, mais il peut aussi
changer notre tristesse en eau rafraîchissante.
Referme ton Koran. Pense librement, et regarde librement le ciel et la terre.
Au pauvre qui passe, donne la moitié de ce que tu possèdes. Pardonne à tous
les coupables. Ne contriste personne. Et cache-toi pour sourire.
Que l’homme est faible ! Que le Destin est inéluctable ! Nous faisons des
serments que nous ne tenons pas, et notre honte nous est indifférente.
Moi-même, j’agis souvent comme un insensé. Mais, j’ai l’excuse
d’être ivre d’amour.
Homme, puisque ce monde est un mirage, pourquoi te désespères-tu, pourquoi
penses-tu sans cesse à ta misérable condition ? Abandonne ton âme à la
fantaisie des heures. Ta destinée est écrite. Aucune rature ne la
modifiera.
Cette buée autour de cette rose, est-ce une volute de son parfum ou le
fragile rempart que la brume lui a laissé ? Ta chevelure sur ton visage,
est-ce encore de la nuit que ton regard va dissiper ? Réveille-toi,
bien-aimée ! Le soleil dore nos coupes. Buvons !
Prends la résolution de ne plus contempler le ciel. Entoure-toi de belles
jeunes filles et caresse-les. Tu hésites ? Tu as encore envie de supplier
Allah ? Avant toi, des hommes ont prononcé de ferventes prières. Ils sont
partis, et tu ignores si Allah les a entendus.
L’aurore ! Bonheur et pureté ! Un immense rubis scintille dans chaque
coupe. Prends ces deux branches de santal. Transforme celle-ci en luth, et
embrase l’autre pour qu’elle nous parfume.
Las d’interroger vainement les hommes et les livres, j’ai voulu
questionner l’urne. J’ai posé mes lèvres sur ses lèvres, et j’ai
murmuré: « Quand je serai mort, où irai-je ? » , Elle m’a répondu: «
Bois à ma bouche. Bois longtemps. Tu ne reviendras jamais ici-bas. »
Si tu es ivre, Khayyâm, sois heureux. Si tu contemples ta bien-aimée aux
joues de rose, sois heureux. Si tu rêves que tu n’existes plus, sois
heureux, puisque la mort est le néant.
Je traversais l’atelier désert d’un potier. Il y avait au moins deux
mille urnes, qui parlaient tout bas. Soudain, l’une d’elles cria: «
Silence ! Permettez à ce passant d’évoquer les potiers et les acheteurs
que nous étions... »
Vous dites que le vin est le seul baume ? Apportez-moi tout le vin de
l’univers ! Mon cœur a tant de blessures... Tout le vin de l’univers, et
que mon cœur garde ses blessures !
Quelle âme légère, celle du vin ! Potiers, pour cette âme légère, faites
aux urnes des parois bien lisses ! Ciseleurs de coupes, arrondissez-les avec
amour, afin que cette âme voluptueuse puisse doucement se caresser à de
l’azur !
Ignorant qui te crois savant, je te regarde suffoquer entre l’infni du
passé et l’infini de l’avenir. Tu voudrais planter une borne entre ces
deux infinis et t’y jucher... Va plutôt t’asseoir sous un arbre, près
d’un flacon de vin qui te fera oublier ton impuissance.
Une autre aurore ! Comme chaque matin, je découvre la splendeur du monde et
je m’afflige de ne pouvoir remercier son créateur. Mais, tant de roses me
consolent, tant de lèvres s’offrent aux miennes ! Laisse ton luth, ma
bien-aimée, puisque les oiseaux se mettent à chanter.
Contente-toi de savoir que tout est mystère: la création du monde et la
tienne, la destinée du monde et la tienne. Souris à ces mystères comme à
un danger que tu mépriserais. Ne crois pas que tu sauras quelque chose quand
tu auras franchi la porte de la Mort. Paix à l’homme dans le noir silence
de l’Au-Delà !
Au milieu de la prairie verte, l’ombre de cet arbre ressemble à une île.
Passant, reste où tu es, là-bas ! Entre la route que tu suis et cette ombre
qui tourne lentement, il y a peut-être un abime infranchissable.
Que ferai-je, aujourd’hui ? Irai-je à la taverne ? Irai-je m’asseoir dans
un jardin, ou me pencherai-je sur un livre ? Un oiseau passe. Où va-t-il ? Je
l’ai déjà perdu de vue. Ivresse d’un oiseau dans l’azur torride !
Mélancolie d’un homme dans l’ombre fraîche d’une mosquée !
Un peu plus de vin, ma bien-aimée ! Tes joues n’ont pas encore l’éclat
des roses. Un peu plus de tristesse, Khayyâm ! Ta bien-aimée va te sourire.
Notre univers est une tonnelle de roses. Nos visiteurs sont les papillons. Nos
musiciens sont les rossignols. Quand il n’y a plus ni roses, ni feuilles,
les étoiles sont mes roses et ta chevelure est ma forêt.
Serviteurs, n’apportez pas les lampes puisque mes convives, exténués, se
sont endormis. J’y vois suffisamment pour distinguer leur pâleur. Étendus
et froids, ils seront ainsi dans la nuit du tombeau. N’apportez pas les
lampes, car il n’y a pas d’aube chez les morts.
Quand tu chancelles sous le poids de la douleur, quand tu n’as plus de
larmes, pense à la verdure qui miroite après la pluie. Quand la splendeur du
jour t’exaspère, quand tu souhaites qu’une nuit définitive s’abatte
sur le monde, pense au réveil d’un enfant.
Je dissimule ma tristesse, puisque les oiseaux blessés se cachent pour
mourir. Du vin ! Écoutez mes plaisanteries ! Du vin, des roses, des chants de
luth et ton indifférence à ma tristesse, bien-aimée !
Seigneur, tu as placé mille pièges invisibles sur la route que nous suivons,
et tu as dit: « Malheur à ceux qui ne les éviteront pas !« Tu vois tout,
tu sais tout. Rien n’arrive sans ta permission. Sommes-nous responsables de
nos fautes ? Peux-tu me reprocher ma révolte ?
J’ai beaucoup appris et j’ai beaucoup oublié aussi, volontairement. Dans
ma mémoire, chaque chose était à sa place. Par exemple, ce qui était à
droite ne pouvait aller à gauche. Je n’ai connu la paix que le jour où
j’ai tout rejeté avec mépris. J’avais enfin compris qu’il est
impossible d’affirmer ou de nier.
J’ai eu des maitres éminents. Je me suis réjoui de mes progrès, de mes
triomphes. Quand j’évoque le savant que j’étais, je le compare à
l’eau qui prend la forme du vase et à la fumée que le vent dissipe.
Pour le sage, la tristesse et la joie se ressemblent, le bien et le mal aussi.
Pour le sage, tout ce qui a commencé doit finir. Alors, demande-toi si tu as
raison de te réjouir de ce bonheur qui t’arrive, ou de te désoler de ce
malheur que tu n’attendais pas.
Puisque notre sort, ici-bas, est de souffrir puis de mourir, ne devons-nous
pas souhaiter de rendre le plus tôt possible à la terre notre corps
misérable ? Et notre âme, qu’Allah attend pour la juger selon ses
mérites, dites-vous ? Je vous répondrai là-dessus, quand j’aurai été
renseigné par quelqu’un revenant de chez les morts.
Derviche, dépouille-toi de cette robe peinte dont tu es si fier et que tu
n’avais pas à ta naissance ! Endosse le manteau de la Pauvreté. Les
passants ne te salueront pas, mais tu entendras chanter dans ton cœur tous
les séraphins du ciel.
Ivre ou altéré, je ne cherche qu’à dormir. J’ai renoncé à savoir ce
qui est bien, ce qui est mal. Pour moi, le bonheur et la douleur se
ressemblent. Quand un bonheur m’arrive, je ne lui accorde qu’une petite
place, car je sais qu’une douleur le suit.
On ne peut incendier la mer, ni convaincre l’homme que le bonheur est
dangereux. Il sait, pourtant, que le moindre choc est fatal à l’urne pleine
et laisse intacte l’urne vide.
Regarde autour de toi. Tu ne verras qu’afflictions, angoisses et
désespoirs. Tes meilleurs amis sont morts. La tristesse est ta seule
compagne. Mais, relève la tête ! Ouvre tes mains ! Saisis ce que tu désires
et ce que tu peux atteindre. Le passé est un cadavre que tu dois enterrer.
Je regarde ce cavalier qui s’éloigne dans la brume du soir. Traversera-t-il
des forêts ou des plaines incultes ? Où va-t-il ? Je ne sais. Demain,
serai-je étendu sur la terre ou sous la terre ? Je ne sais.
« Allah est grand ! » Ce cri du moueddin ressemble à une immense plainte.
Cinq fois par jour, est-ce la Terre qui gémit vers son créateur indifférent
?
Le Ramazan est fini. Corps épuisés, âmes fanées, la joie revient ! Les
conteurs savent des histoires nouvelles. Les porteurs de vin, les marchands de
rêves lancent leurs appels. Mais je n’entends pas celui qui me rendra la
vie, celui de ma bien-aimée.
Regarde ce ruisseau qui brille dans ce jardin. Comme moi, décide que tu vois
le Kaouçar et que tu es dans le Paradis. Va chercher ton amie au visage de
rose.
Tu ne vois que les apparences des choses et des êtres. Tu te rends compte de
ton ignorance, mais tu ne veux pas renoncer à aimer. Apprends qu’Allah nous
a donné l’amour comme il a rendu certaines plantes vénéneuses.
Tu es malheureux ? Ne pense pas à ta douleur, et tu ne souffriras pas. Si ta
peine est trop violente, songe à tous les hommes qui ont souffert inutilement
depuis la création du monde. Choisis une femme aux seins de neige, et
garde-toi de l’aimer. Qu’elle soit, aussi, incapable de t’aimer.
Pauvre homme, tu ne sauras jamais rien.. Tu n’élucideras jamais un seul des
mystères qui nous entourent. Puisque les religions te promettent le Paradis,
aie soin de t’en créer un sur cette terre, car l’autre n’existe
peut-être pas.
Lampes qui s’éteignent, espoirs qui s’allument. Aurore. Lampes qui
s’allument, espoirs qui s’éteignent. Nuit.
Tous les royaumes pour une coupe de vin précieux ! Tous les livres et toute
la science des hommes pour une suave odeur de vin ! Tous les hymnes d’amour
pour la chanson du vin qui coule ! Toute la gloire de Féridoun pour ce
chatoiement sur cette urne !
J’ai reçu le coup que j’attendais. Ma bien-aimée m’a abandonné. Quand
je l’avais, il m’était facile de mépriser l’amour et d’exalter tous
les renoncements. Près de ta bien-aimée, Khayyâm, comme tu étais seul !
Vois-tu, elle est partie pour que tu puisses te réfugier en elle.
Seigneur, tu as brisé ma joie ! Seigneur, tu as élevé une muraille entre
mon cœur et son cœur ! Ma belle vendange, tu l’as piétinée. Je vais
mourir, mais tu chancelles, enivré !
Silence, ma douleur ! Laisse-moi chercher un remède. Il faut que je vive, car
les morts n’ont plus de mémoire. Et je veux revoir sans cesse ma
bien-aimée !
Luths, parfums et coupes, lèvres, chevelures et longs yeux, jouets que le
Temps détruit, jouets ! Austérité, solitude et labeur, méditation, prière
et renoncement, cendres que le Temps écrase, cendres
! |
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