le serpent
Actif

Sexe: 
Inscrit le: 20 Nov 2007
Messages: 856
Localisation: Bruxelles
|
Posté le: Sam Mai 31, 2008 21:08 pm Sujet du message:
cherjirou a
écrit: |
le serpent a écrit: |
Vous ne valez pas mieux que les algériens, mais vous êtes
justes trop hypocrites pour le reconnaitre. |
Ben voyons,
Tu ne vaut surtout pas mieux que tous ces extrémistes haineux et qui
instrumentalisent et déforment la réalité pour accréditer leurs
dires... |
Petite info pour les dégénérés qui ne suportent pas les voiles:
Extrait de la mailing-list "Edith Rubinstein"
(le principal objet de la liste est de défendre les femmes contre les mâles
qui veulent soit les enfermer dans des harems, soit les exhiber dans des
vitrines)
De : mghys [mailto:***@***]
Envoyé : lundi 21 avril 2008 12:11
À : Edith Rubinstein
Objet : « Marianne, ta tenue n’est pas laïque ! » - Mona Cholet
« Marianne, ta tenue n’est pas laïque ! »
Mona Cholet - Périphéries, Avril 2008
***LIENS INTERDITS.
DEPUIS LE TEMPS, TU DEVRAIS LE SAVOIR ***(b)
« Les filles voilées parlent » ? On en voit d’ici qui, au seul énoncé
de ce titre, brandissent le crucifix et agitent la gousse d’ail. Autant dire
« Belzébuth parle », ou « l’Etrangleur du Yorkshire parle » ! Au cours
des mois qui ont précédé le vote de la loi du 15 mars 2004 interdisant le
voile à l’école (hypocritement baptisée « loi sur la laïcité à
l’école »), l’hystérie médiatique autour de cette question a persuadé
la population entière que ces jeunes filles qui choisissaient de ne pas
montrer leurs cheveux ou leurs oreilles, sorte de démons femelles, étaient
la source de tous ses maux, et constituaient le principal problème auquel le
pays était confronté - « c’est à cause de vous que tout va mal en France
» revient souvent parmi les invectives qu’elles rapportent. On s’est
déchiré sur le sujet, on a produit une quantité ahurissante d’arguments
(y compris ici même) en faveur ou en défaveur d’une loi, mais on n’a pas
jugé bon de demander leur avis aux principales intéressées. C’est à
cette lacune que vient remédier le livre d’Ismahane Chouder, Malika
Latrèche et Pierre Tevanian (du collectif Les mots sont importants), qui
montre l’ampleur des dégâts - absolument invisibles dans les médias -
causés par la loi de 2004.
Cette confiscation de la parole a même été assumée et théorisée par les
partisans de la loi : il pouvait être dangereux de les laisser parler - des
fois que ces sorcières auraient le pouvoir, par leur verbe maléfique, de
transformer notre belle France « laïque » en crapaud islamique. Admise dans
un établissement privé après son exclusion du lycée, Zeinab, 19 ans,
découvre qu’on a mis en garde ses nouveaux camarades à son sujet : « Je
me suis rendu compte que le proviseur avait fait une intervention dans ma
classe de terminale L pour annoncer ma venue, en disant qu’ils allaient
accueillir une élève voilée qui avait une forte personnalité, et qu’ils
ne devaient pas se laisser influencer. » Arrière, Satan ! Toutes les
interviewées du livre disent leur impression de « parler à des murs »
chaque fois qu’elles ont voulu discuter. Zahra Gammaleddyn, 15 ans, raconte
ses démêlés avec un proviseur qui ne faisait que lui répéter « vous
enlevez ce que vous avez sur la tête » : « On aurait dit un automate.
J’aurais pu lui dire n’importe quoi, par exemple : “je me sens mal,
j’ai envie de vomir”, il m’aurait répondu : “vous enlevez ce que vous
avez sur la tête” ! » Mariame, 19 ans, se fait rembarrer dès qu’elle
ouvre la bouche par l’assistante sociale qu’on a envoyée dans son lycée
pour tenter une médiation avec les élèves voilées : « Non, toi, on m’a
dit qu’on ne pouvait pas te parler, que tu étais manipulée et que tu
manipulais tes camarades. »
A quoi bon discuter avec elles, en effet, puisqu’elles sont « aliénées
», « conditionnées », « manipulées » par les intégristes ? L’ironie,
qui apparaît de manière flagrante dans ce livre, c’est que, la France
n’étant ni l’Iran ni l’Afghanistan, on avait affaire, dans
l’écrasante majorité des cas, à des jeunes filles qui avaient décidé de
porter le foulard au terme d’une réflexion individuelle, souvent contre
l’avis de leur famille - leurs parents, partisans du « pas de vagues »,
étaient en outre catastrophés à l’idée de les voir hypothéquer leur
avenir. S’il y avait endoctrinement et « conditionnement » dans cette
histoire, c’est bien plutôt du côté de tous ceux qui devenaient fous à
la seule vue de leur foulard, sur lequel ils plaquaient des fantasmes
soufflés ou réactivés par l’hypnose médiatique. Les regards dans la rue,
témoigne Sana, 25 ans, sont « assez changeants » : « Tantôt ça se calme,
tantôt les gens nous regardent vraiment de travers, et alors on se dit :
“Mais qu’est-ce qui est passé hier soir à la télé ?” On va voir les
programmes de la veille, et on trouve toujours quelque chose ! La télé fait
un vrai lavage de cerveau ! » « Un jour, renchérit Karima, 29 ans, j’ai
rencontré une femme qui m’a ressorti d’une traite tout ce qui se disait
à la télé depuis le début de l’affaire ! C’en était comique. » Même
constat chez Khadija, 21 ans, qui se rappelle les questions dont on la
bombardait en 2003 : « J’avais l’impression que les gens avaient regardé
un débat télévisé la veille et qu’ils se sentaient investis d’une
mission : voler au secours de la première fille voilée pour lui expliquer
qu’elle était aliénée et la libérer ! » Hanane, 27 ans, se souvient
avec un écœurement particulier de l’automne 2003 : « Entre mes galères
de boulot et les débats télé, avec des pseudo-spécialistes de l’islam et
des pseudo-féministes qui mélangeaient tout, le voile, les mariages forcés
et l’excision, j’ai eu une overdose ! »
« Retourne à Téhéran ! »
A un journaliste qui lui demandait, quelques jours après les attentats du 11
septembre 2001, quel effet cela lui faisait de partager sa religion avec Ben
Laden, Mohammed Ali avait rétorqué : « Et vous, quel effet cela vous
fait-il de partager la vôtre avec Hitler ? » Difficile de déraciner la
conviction que les musulmans forment un seul bloc homogène, et se
définissent avant tout comme tels. « Une révolution en Iran, un conflit en
Irak, une guerre civile en Algérie, des attentats à New York et à
Washington ? Et voilà les caméras qui s’intéressent aux “musulmans”
de l’Hexagone, avec l’idée implicite qu’ils sont tous les mêmes »,
écrit Thomas Deltombe en introduction à son livre L’islam imaginaire (La
Découverte, 2005), analyse édifiante de trente ans de représentations
médiatiques de l’islam. Systématiquement, on plaque sur les musulmans de
France des situations ou des événements qui ne les concernent en rien.
Malheur à la petite Française, absolument ordinaire et pacifique, que son
cheminement personnel amène à décider de porter le voile... en octobre 2001
! Elle constate vite que son entourage le prend comme une déclaration de
guerre. Les formules du genre « tu sais très bien de quoi je parle », ou «
arrête de te foutre de moi », voire « on sait ce que vous êtes »,
abondent chez les interlocuteurs des filles qui témoignent ici, comme si,
pour eux, la cause était entendue : ce voile est forcément un défi, une
provocation. Dans la rue ou dans le métro, entre un « pétasse » et un «
sale connasse », les femmes voilées sont traitées de « filles de Ben Laden
».
Elles s’entendent aussi régulièrement enjoindre de « retourner à
Téhéran ». Thomas Deltombe confirme la prégnance de l’obsession
iranienne : en 1979, lorsque Khomeyni accède au pouvoir, « les
téléspectateurs découvrent des images insolites et un nouveau vocabulaire,
écrit-il : “ayatollah”, “mollah”, “tchador”, “chiite”,
“sunnite”, “charia”. Les esprits en resteront durablement marqués :
à la télévision française, l’Iran khomeyniste fera office pour longtemps
de décor naturel pour la religion musulmane ». Au point que dix ans plus
tard, quand éclate la première affaire de foulard, à Creil, on parle de «
tchadors » : « Alors que le “tchador” est la variété de foulard
spécifiquement iranienne et chiite rendue obligatoire par le régime iranien
au début des années 1980, la majorité des journalistes l’appliquent à
une immigration massivement maghrébine et sunnite qui ne l’a jamais appelé
ainsi. Cela donne au foulard une connotation “intégriste” qui renvoie
directement au vocabulaire et aux images issus de la révolution iranienne de
1979. » Quand leur proviseure, relativement tolérante, demande à Mariame et
à ses camarades voilées d’éviter le voile long et les couleurs sombres «
parce que ça rappelle un peu trop l’Iran », elles trouvent la référence
si incongrue et choquante que le lendemain, elles débarquent en « bleu blanc
rouge » : « Une en bleu, une en blanc et une en rouge ! Et on restait toutes
les trois côte à côte, pour que ça se remarque bien ! Les autres élèves
étaient morts de rire. » La proviseure, moins.
Le fantasme de la « colonisation à rebours »
Les images de l’Iran ou de l’Algérie semblent avoir imprégné les
consciences au point de faire du foulard un objet magique, auquel on attribue
le pouvoir de substituer une réalité étrangère à la réalité française.
Si un simple bout de tissu déclenche une telle panique, une telle fureur,
c’est parce qu’il alimente la crainte d’une « islamisation de la France
» ; la crainte que « ces gens-là » subvertissent « nos » institutions et
« nous » imposent leur loi. Dans L’Express, un dessin particulièrement
nauséabond de Plantu montrait une fille voilée juchée sur un cheval de
Troie derrière lequel se dissimulaient des barbus à la mine patibulaire, qui
le poussaient dans l’encadrement d’un portique de pierre au fronton duquel
on pouvait lire « République ». Ce fantasme - totalement irrationnel,
faut-il le préciser - d’une « colonisation à rebours », autrefois fonds
de commerce exclusif des Le Pen et De Villiers, est aujourd’hui accrédité
et encouragé y compris par des individus se réclamant de la gauche, comme
Caroline Fourest, auteur d’ouvrages plus approximatifs les uns que les
autres sur le péril « islamo-gauchiste ». (« Pourquoi des gens de gauche
se sont-ils sentis visés par les Indigènes [de la République] ? Parce
qu’ils ne sont pas de gauche, mon frère ! », lance en riant Hanane dans
Les filles voilées parlent.) Ajoutez-y les convulsions de la pythie iranienne
de service, Chahdortt Djavann, l’auteur de Bas les voiles !, à qui des
journalistes tendent leur micro avec délectation afin qu’elle répète
encore que les hommes musulmans sont des ogres assoiffés du sang de jeunes
vierges, des oppresseurs pervers et pédophiles, et vous aurez persuadé
l’opinion que la France est en état de siège et qu’elle doit se
défendre ; que la gravité de la situation nécessite des mesures
exceptionnelles - et tant pis pour les dégâts collatéraux.
Les « dégâts collatéraux », ce sont elles, justement. Les lycéennes qui
racontent les démêlés épuisants avec le corps enseignant, la scolarité
perturbée, les nuits à pleurer, les dévoilements humiliants à l’entrée
de l’établissement sous la supervision d’un proviseur sarcastique - «
vous voyez, ce n’est pas si compliqué », lance le sien à Fatima la
première fois qu’elle s’y plie - et les regards curieux de leurs
camarades, les relégations dans des salles à part - parfois fermées à clé
! -, la violence des procédures d’exclusion. Ce sont des trajectoires
personnelles entravées ou compromises : après l’oral de rattrapage du bac,
Mona Bachare, 20 ans, découvre que l’examinateur de mathématiques - à qui
elle avait par ailleurs demandé s’il souhaitait qu’elle retire son
foulard pour passer l’épreuve, et qui avait répondu par la négative - a
proposé à tous ses camarades une note, en leur demandant si cela suffisait
à rattraper leurs points ; mais pas à elle... Elle échoue de justesse ; le
proviseur lui ayant expliqué qu’une plainte pour traitement différentiel
n’avait aucune chance d’aboutir, elle se résigne à refaire une année de
terminale. Mais elle retombe sur le même examinateur l’année suivante, et
le même scénario se répète. Sa plainte pour discrimination n’a jamais
abouti : deux années de perdues... Mêmes déboires pour Habiba, qui voit la
validation de son inscription à l’université de Saint-Denis - où la loi
ne s’applique pourtant pas - bloquée pendant des mois, malgré les lettres
et les pétitions de soutien, parce qu’une secrétaire fait une allergie au
foulard et se barricade dans son bureau à son approche. Elle finit par
abandonner ses études d’histoire : « Tout le monde me connaissait, je
n’étais pas une étudiante comme les autres, j’avais l’impression que
tous mes faits et gestes étaient surveillés. »
« Arrêtez avec vos larmes de crocodile »
Les dégâts collatéraux, c’est Sarah, 20 ans, soustraite à son foyer à
la suite de graves problèmes familiaux par une juge pour enfants, et qui
s’y voit renvoyée par cette même juge après qu’elle s’est mise à
porter le foulard : « Elle a déclaré que la “République” m’avait
soustraite à ma famille “et à sa religion” pour “m’en protéger”,
pas pour que je vienne porter un voile qui incite d’autres filles à le
porter. » Alors qu’à aucun moment les problèmes qu’elle avait eus
n’avaient été causés par sa religion ! Les « dégâts collatéraux »,
ce sont les quelques filles que leur famille forçait à porter le voile, et
qui ont disparu dans la nature après le vote de la loi : bonnes pour le
mariage et l’enfermement domestique. Ce sont les femmes harcelées sur leur
lieu de travail, interdites de sortie scolaire avec leur enfant, prises à
partie et même frappées dans la rue, renvoyées dans leurs foyers, recalées
à l’entrée d’une filière professionnelle ou aux entretiens
d’embauche. Bref, les exemples abondent, dans ces pages, de gestes de
résistance héroïques de modestes citoyens français face à l’envahisseur
islamique.
« M’agresser est quasiment vécu par l’agresseur comme de la légitime
défense », observe Malika Latrèche, l’une des coordinatrices du livre,
qui porte elle-même le voile. Désigner les fidèles d’une religion comme
boucs émissaires des problèmes d’une société ; les accuser de miner
cette dernière de l’intérieur ; leur dénier leur humanité et leur
individualité pour les réduire à un stéréotype menaçant... On aurait pu
espérer qu’une nation qui glose à longueur d’année sur le « devoir de
mémoire » saurait s’abstenir de s’aventurer sur un terrain aussi
glissant ; c’est raté. Le système est si bien clos que les filles
voilées, quoi qu’elles puissent faire, confortent les soupçons qui pèsent
sur elles. Si, exaspérées par l’arbitraire, la mauvaise foi, le racisme
ouvert ou larvé, les injustices, elles s’énervent, elles confirment par
là leur nature violente et fanatique. Si elles pleurent, cela ne saurait
être parce qu’elles souffrent - elles ne sont pas humaines, on vous dit - :
c’est parce qu’elles cherchent à vous attendrir pour mieux vous duper.
Quand, dans le train qui les ramène de la Marche mondiale des femmes à
Marseille, en mai 2005, Ndella veut s’asseoir à côté d’une militante de
Femmes solidaires, groupe avec lequel les accrochages se sont déjà
multipliés tout au long de la manifestation, et que celle-ci le lui interdit
brutalement, la faisant fondre en larmes, une représentante des Verts lui
enjoint d’« arrêter avec ses larmes de crocodile ». Mais soyons juste :
il y a des exceptions, heureusement, à cette inflexibilité qui rappelle les
pires endoctrinements. Une prof d’histoire confie ainsi à Mariame, à
propos d’une de ses camarades également voilée : « Auparavant, j’avais
une position très stricte sur le voile, mais le jour où j’ai vu Hafssa
enlever son voile, en pleurs, les yeux tout rouges, je me suis remise en
question. »
« Mais toi aussi, tu m’imposes
ta coupe de cheveux toute bizarre,
style “L’Affaire Louis Trio” ! »
On prend toutefois la mesure de l’idéologie et de l’aveuglement qui
prédominent sur cette question quand des professeurs sont capables de lancer
à une gamine dont ils viennent de prononcer l’exclusion : « On essaie de
t’aider »... Tout aussi à côté de la plaque, la proviseure qui dit à
Mariame : « Tu sais, si tu es opprimée, on peut t’aider » ; ou la
militante féministe qui explique à Ndella que sa fille a été violée par
son père, et que, quand elle voit son voile, « elle voit l’inceste »...
Beaucoup d’interviewées racontent l’étonnement que suscite chez leurs
professeurs tout élément qui ne cadre pas avec leurs préjugés : par
exemple, quand Nawel, 18 ans, est défendue lors d’une réunion par sa sœur
aînée, qui porte un débardeur - ce qui compromet quelque peu l’hypothèse
selon laquelle son voile lui est imposé par un père ou un frère.
Agathe-Chamous Larisse, 32 ans, refuse avec énergie qu’on décide à sa
place du sens de sa tenue : « Le premier sens que revêt un vêtement,
c’est celui que lui donne la personne qui le porte ! Il est extrêmement
arrogant de l’étiqueter d’emblée négativement, en se fondant uniquement
sur son propre imaginaire. » A un camarade de fac qui lui reproche d’«
imposer son choix aux autres », Leila, 26 ans, réplique - elle le raconte en
pouffant de rire : « Mais toi aussi, tu m’imposes ta coupe de cheveux toute
bizarre, style “L’Affaire Louis Trio” ! Moi, c’est cette coupe de
cheveux qui m’agresse ! » Elle ajoute que, par ailleurs, elle ne demande à
personne de s’habiller comme elle, mais qu’elle refuse de « retirer une
partie d’elle-même ».
Ces filles n’en peuvent plus qu’on leur répète qu’elles doivent
renoncer à leur voile par respect pour les femmes qui, dans d’autres pays,
se battent pour avoir le droit de l’enlever : « Ils oublient de dire
qu’il y a d’autres pays où tout le monde est libre soit de mettre un
voile, soit de ne pas le mettre », lance Zeinab avec bon sens. « Injurier,
violenter, punir une femme sous prétexte qu’elle ne porte pas le voile, et
injurier, violenter, punir une femme sous prétexte qu’elle le porte,
c’est une seule et même violence », écrivent les coordinateurs du livre
dans leur épilogue. Ismahane : « Ce n’est pas le voile qui est
l’oppression, c’est la contrainte. » Aux féministes qui contestent son
choix, Karima soumet une comparaison plutôt convaincante : « Les
prostituées sur les boulevards des Maréchaux sont forcées par leur mac à
mettre une minijupe et à se maquiller, donc toi, en te maquillant, tu es en
train de cautionner ce genre d’oppression ? »
« Tu sais, je suis pied-noir,
donc je connais le bled... »
S’il est inepte de brandir le spectre d’une France islamisée - sauf pour
renflouer les caisses d’une presse bien mal en point (1) -, il n’en reste
pas moins que la phobie du voile témoigne d’un refus d’admettre ce qui
constitue bel et bien une réalité nouvelle : l’existence de citoyens
français de confession musulmane, qui n’entendent plus raser les murs comme
l’ont fait leurs parents ; ce qui compromet le rêve de certains d’une
France éternellement blanche et chrétienne - pardon, « laïque ». Ainsi,
une infirmière scolaire explique à Jihene que son bandana « pose problème
» parce qu’il reste « très significatif », et lui demande de trouver un
foulard « qui ne fasse pas oriental »... Toutes les réflexions rapportées
dans ce livre, de « quand on est en visite dans un pays, on se plie à ses
coutumes » ou « si on n’aime pas les lois d’un pays, on va ailleurs »,
à « habillez-vous comme les Français », en passant par « vous devez avoir
une tenue normale », témoignent d’une résistance obstinée à l’idée
que ces filles sont chez elles, et qu’elles participent désormais à la
définition de l’identité française - sans que cela signifie pour autant
qu’elles la redéfinissent entièrement ! « Il faut qu’ils acceptent que
la France a changé, qu’il y a maintenant des millions de musulmans, et que
ce n’est pas en nous diabolisant qu’on va construire un avenir », dit
Habiba. De guerre lasse, désespérant de pouvoir mener une vie normale dans
leur pays natal, certains se mettent à émigrer, signale Karima : «
Curieusement, dans les pays où ils arrivent, on les identifie comme
“français” ! Bizarre, non ? » Mariame, consciente de modifier le
paysage, et comprenant que ses compatriotes, surtout les plus âgés, aient du
mal à s’y faire, raconte que les retraités qu’elle croise la dévisagent
« comme si elle était une femme à barbe » : « Alors je leur souris, et je
chantonne des chansons de cirque ! »
Le nombre de fois où ces filles s’entendent reprocher leur « insolence »
témoigne des difficultés de certains à admettre que des descendants
d’immigrés récents leur parlent d’égal à égal. C’est peu dire
qu’ils n’y sont pas habitués ; Mariame, affligée, voit ainsi sa prof de
maths lui offrir sa médiation en ces termes : « Tu sais, je suis pied-noir,
donc je connais le bled... » La façon dont ces jeunes filles perçoivent le
discours de Hanifa Cherifi, la médiatrice de la République dans les affaires
de voile, témoigne de leur changement d’attitude par rapport à leurs
aînés, adeptes du profil bas. Hanane a eu affaire à elle au lycée : «
Elle a commencé à nous raconter sa vie. En gros : “Je suis musulmane,
j’ai un bon taf, j’ai fait ma place, je fais le ramadan mais je ne le dis
pas, je ne bois pas d’alcool mais je ne le dis pas, parfois je commande
même un truc et discrètement, je ne le bois pas.” Un discours de dingue,
qui m’a fait rigoler ! » Elle se demande par ailleurs si le succès du
mouvement de défense des élèves sans papiers, alors que personne n’a
bougé pour défendre les élèves exclues après le vote de la loi sur le
voile, ne tient pas au fait que les sans-papiers, étrangers, «
hyper-précaires, hyper-vulnérables, qui connaissent mal la France »,
offrent davantage de prise au paternalisme.
« Mettez des jupes plus courtes »
Lamia raconte qu’après le vote de la loi, son proviseur avait lancé à
l’une de ses camarades voilées : « L’année prochaine, je pourrai savoir
si tu es blonde ou brune ! » Elle n’avait pas trouvé ça drôle. La
fréquence des remarques de ce genre - « tu es beaucoup plus belle sans » -
donne à penser que Noël Burch n’a pas tort quand il écrit que le
véritable crime dont se rendent coupables les filles voilées, c’est « une
infraction, consciente ou inconsciente, aux codes de la séduction qui
règnent dans notre société et qui sont la projection vestimentaire de
l’idéologie du libertinage », considéré comme un élément du patrimoine
culturel français. Sa proviseur lance même à Mariame : « Tu reviens la
semaine prochaine sans ton voile, et tu me feras le plaisir de porter un jean
! » Hanane, qui a été acceptée comme surveillante dans un lycée de
Saint-Denis, s’y rend avec un simple bandeau, mais se fait convoquer par sa
supérieure ; celle-ci lui reproche de porter une robe longue, ce qui pourrait
« susciter l’ambiguïté dans la tête des élèves » : « Mettez des
jupes plus courtes, ou un pantalon... » Les coordinateurs du livre rappellent
opportunément qu’un des plus célèbres slogans féministes, c’est : «
Mon corps m’appartient » ! Mais les féministes françaises « historiques
» reconnaissent parfois elles-mêmes que dans ce pays, quand elles clament «
mon corps m’appartient », certains hommes ont une fâcheuse tendance à
entendre « chouette, leur corps nous appartient »...
Bien souvent, on reproche aux filles voilées leur « insolence » parce que
la mauvaise foi de leurs interlocuteurs, mal à l’aise avec leur propre
obsession islamophobe, la bêtise et l’ignorance auxquelles elles sont
confrontées, l’absurdité intenable que représente l’interdiction du
voile à l’école, les exigences ubuesques de leur proviseur, finissent par
virer au cocasse, et les font éclater de rire. S’il ne relatait pas des
situations aussi révoltantes et douloureuses, Les filles voilées parlent
serait- comme L’islam imaginaire, d’ailleurs - une lecture franchement
comique. Ainsi, suite à une erreur lors de son inscription sur les listes
d’appel du lycée, ses professeurs appellent Mariame « Marianne » (2), ce
qui lui vaut d’entendre retentir dans les couloirs un sonore : « Marianne,
ta tenue n’est pas laïque ! » En outre, on s’aperçoit ici que la loi de
2004, et la vision déjà dévoyée de la laïcité qui l’a inspirée, font
l’objet d’interprétations pour le moins fantaisistes au sein de la
population : Leila, victime d’une agression particulièrement ignoble dans
le métro (« j’avais l’impression d’un lynchage verbal »), s’entend
dire : « Tu sais ce que c’est, une république ? C’est un pays athée !
» Parce qu’elle a demandé un jour de congé pour l’Aïd, Cherazade a
droit à un « speech sur la laïcité » de la part de son employeuse. Malika
Latrèche se fait invectiver et frapper à la caisse d’un grand magasin
d’ameublement par une femme qui hurle : « Elle n’a pas le droit
d’entrer à Ikea avec son voile ! Il y a une loi contre le voile ! »
Comment reconnaître un foulard musulman ?
Quand elles ne se font pas agresser, les filles voilées croulent sous les
marques d’une sollicitude douteuse. Ont-elles bien mesuré à quel point le
foulard était dangereux ? Savent-elles qu’elles risquent de s’étrangler
en faisant de la gym ? Que le tissu peut se prendre dans les rayons de leur
bicyclette ? S’enflammer en cours de chimie ? Qu’il n’est pas
hygiénique ? Et puis, n’ont-elles pas trop chaud en été ? On se souvient
en effet qu’en 2003, alors que la canicule faisait des victimes par dizaines
de milliers chez les personnes âgées, il y avait encore eu de bonnes âmes
pour se préoccuper du bien-être des femmes voilées (dans un courrier des
lecteurs publié par Libération, notamment). A son travail, Nadjer, 36 ans, a
fini par se fabriquer un écriteau : « Je n’ai pas chaud, merci. »
Curieusement, le foulard non-musulman ne
semble pas poser de problèmes pratiques aussi insurmontables. Les
interviewées constatent que leurs camarades moins basanées, ou portant un
nom moins connoté, peuvent en toute tranquillité s’entourer la tête
d’un bout de tissu, alors qu’elles-mêmes se font courser dans les
couloirs par tout le corps enseignant. « Dans le règlement intérieur, ils
avaient écrit “interdiction de tout couvre-chef”, mais en fait c’était
: “couvre-chef interdit aux musulmanes” », s’insurge Lamia. Mariame,
qui porte un simple bandana au lycée et un voile à l’extérieur, raconte
comment une prof, après l’avoir un jour croisée dans la rue avec son
voile, lui refuse ensuite l’entrée de son cours si elle garde son bandana :
« C’était pourtant le même bandana que la veille ! » Leila, abasourdie,
s’entend dire par sa directrice : « Ma nièce Camille porte souvent ce
genre de foulard sur la tête, mais vous, justement, vous vous appelez Leila
et pas Camille, et vous n’êtes pas blonde aux yeux bleus. » Luc Ferry,
ministre de l’éducation au moment du vote de la loi, s’était ridiculisé
en s’empêtrant dans ses explications sur l’art de distinguer une « barbe
musulmane » d’une « barbe non-musulmane » ; sauf que la distinction entre
le « foulard musulman » et le « foulard non-musulman » n’est guère plus
évidente... Certains camarades de filles voilées, indignés de la façon
dont on les traitait, ont d’ailleurs manifesté leur solidarité en arrivant
tous avec un bandana sur la tête.
La loi légitime l’idée
que l’exercice par un individu
de sa citoyenneté et de ses droits
peut être subordonné à la conformité
de ses convictions intimes
Parce qu’elles portent le voile, ces filles sont suspectées d’être
antiféministes, soumises, hostiles aux hommes, coincées, homophobes, et on
en passe. Leila raconte que quand elle traverse le Marais, le quartier gay de
Paris, « les couples de mecs font exprès de se rouler une pelle sous [ses]
yeux » quand ils la croisent, pensant la choquer. Quasiment toutes celles qui
parlent ici démentent avec éclat ces préjugés. Elles font preuve d’une
indépendance d’esprit, d’une énergie et d’une force de caractère que
l’on chercherait en vain chez beaucoup de femmes non-voilées, et on
souhaite de tout cœur bonne chance aux hommes qui se mettraient en tête de
les soumettre - l’une d’elles clame bien : « et si ça me plaît, à moi,
d’être soumise ? », mais elle parle uniquement de soumission à Dieu...
Sana, lorsqu’on lui refuse l’inscription en sport à la fac, s’achète
crânement un ballon de basket, et va « jouer avec les gars de la cité
universitaire ».
D’autres, en revanche, laissent deviner une mentalité moins ouverte. Bon.
Et alors ? Est-ce que cela justifie qu’on les exclue de l’école publique
? De la communauté nationale ? A-t-on pris la mesure du précédent
terrifiant créé par cette loi ? Non seulement elle légitime l’idée que
l’exercice par un individu de sa citoyenneté et de ses droits peut être
subordonné à la conformité de ses convictions intimes, mais elle instaure
un régime de double standard : les non-musulmans sont tous présumés
ouverts, féministes tolérants, libérés - ce qui est très loin d’être
le cas ! -, tandis que les musulmans, présumés être tout le contraire,
doivent se soumettre à des interrogatoires incroyablement inquisiteurs, et
garantir la parfaite transparence de leur personne tant morale que physique.
Si elle est musulmane, une patiente n’a pas le droit de préférer être
examinée par une femme ; une adolescente n’a pas le droit d’avoir des
réticences à se déshabiller dans le même vestiaire que les garçons en
cours d’éducation physique ; elle n’est pas libre de s’habiller comme
elle le souhaite ; elle doit accepter de rendre des comptes sur ses croyances
personnelles au premier venu, alors qu’elle a parfois du mal à en parler
avec ses proches amis...
« C’est bien la première fois que je vois cela :
une loi qui ne sert pas à régler un problème,
mais à en créer ou à en rajouter »
A la caisse d’un supermarché, Jihene se voit sommée par un inconnu de
déballer toute sa vie : « Vous êtes étudiante ? Vous êtes mariée ? Vous
êtes étrangère ? » Nathalie, convertie à l’islam, fait partie des
mères que l’on refuse comme accompagnatrices scolaires à cause de leur
voile ; comme l’inspectrice d’académie justifie cette discrimination en
arguant que les parents « ont un rôle pédagogique », elle lui demande
aussi sec « de veiller dorénavant à ce que les capacités pédagogiques de
tous les parents encadrant les sorties scolaires soient effectivement
évaluées ». Quant à Leila, qui travaille à la protection de l’enfance,
une de ses collègues lui déclare que, quand elles reçoivent une femme
voilée, elles doivent automatiquement « se demander s’il n’y a pas une
oppression du mari » : « Ça m’a choquée, dit-elle, parce que dans notre
métier, on doit se poser cette question pour n’importe quelle femme, pas
seulement pour les voilées. (...) Ça aussi, c’est un préjugé : je le
vois sur mon lieu de travail, les femmes battues d’origine maghrébine sont
loin d’être la majorité. Ce n’est pas une histoire de voile ou
d’islam, c’est le rapport hommes-femmes qui est un rapport de domination.
»
« C’est bien la première fois de ma vie que je vois cela : une loi qui ne
sert pas à régler un problème, mais à en créer ou à en rajouter »,
commente-t-elle amèrement. La théorie du choc des civilisations, on le sait,
appartient à la catégorie des « prophéties autoréalisatrices » ; de
même, les auteurs du livre soulignent à plusieurs reprises la dimension «
performative » de la loi sur le voile, qui a créé la situation à laquelle
elle prétendait remédier. On tenait pour acquis que, par leur voile, ces
filles manifestaient une défiance à l’égard de la République et de ses
lois, alors qu’elles étaient au contraire très enracinées dans la
société française, et ne demandaient pas mieux que d’y participer
pleinement. Résultat : le rejet et les avanies qu’elles ont subis ont
créé cette défiance de toute pièce, au point que certaines s’interrogent
aujourd’hui sur les possibilités d’un avenir en France pour elles et pour
leurs enfants. On voyait dans leur foulard un signe de communautarisme : ce
n’était pas le cas, mais, à force de s’en prendre plein la gueule, elles
en sont parfois venues à anticiper les rebuffades - comme Hanane, qui n’ose
plus demander son chemin dans la rue depuis qu’on lui a un jour répondu «
dégage ! » - et à se replier effectivement sur leur communauté. « Les
hommes politiques passent leur temps à dénoncer le communautarisme, mais ce
sont eux qui le créent à force de nous stigmatiser », lance Leila.
La plupart disent pourtant leur intention de tenir bon. L’entre-soi les
laisse sur leur faim : les rencontres et les luttes en commun, dit Hanane,
permettent de « casser des trucs simplistes côté rebeu, du genre :
“complot contre l’islam”, “les Occidentaux ne nous aiment pas parce
que nous sommes musulmans”... » Et Ismahane : « Je ne supporterais pas de
vivre repliée sur un cocon familial, ou sur une communauté ethnique ou
religieuse : je le vivrais comme une asphyxie ! Je préfère sortir et prendre
des coups que rester enfermée ! »
Mona Chollet
(1) En juin 2007, Laurent Joffrin, interrogé par 20 Minutes sur sa stratégie
pour faire revenir les annonceurs dans Libération, répondait : « Nous
referons par exemple un partenariat avec Charlie Hebdo sur l’islam à la
rentrée. »
(2) Dans Fraise et Chocolat 2, la bande dessinée érotique d’Aurélia
Aurita (Les Impressions nouvelles, 2007), l’héroïne, Chenda, d’origine
chinoise et khmère, se souvient de son arrivée à l’école primaire
française : une autre petite fille, qui l’avait prise sous son aile, avait
décrété que son prénom était vraiment trop difficile à retenir, et
l’avait rebaptisée « Jeanne d’Arc » !
Ismahane Chouder, Malika Latrèche et Pierre Tevanian, Les filles voilées
parlent, La Fabrique, 2008.
|