alcibiade
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Posté le: Sam Juin 26, 2010 16:29 pm Sujet du message:
crebra reliquendis infigimus oscula portis:
inviti superant limina sacra pedes.
45 oramus veniam lacrimis et laude litamus,
in quantum fletus currere verba sinit:
"exaudi, regina tui pulcherrima mundi,
inter sidereos Roma recepta polos,
exaudi, genetrix hominum genetrixque deorum,
50 non procul a caelo per tua templa sumus:
te canimus semperque, sinent dum fata, canemus:
sospes6 nemo potest immemor esse tui.
obruerint citius scelerata oblivia solem,
quam tuus ex nostro corde recedat honos.
55 nam solis radiis aequalia munera tendis,
qua circumfusus fluctuat Oceanus.
volvitur ipse tibi, qui continet omnia, Phoebus
eque tuis ortos7 in tua condit equos.
te non flammigeris Libye tardavit harenis,
60 non armata suo reppulit Ursa gelu:
quantum vitalis natura tetendit in axes,
tantum virtuti pervia terrae tuae.
fecisti patriam diversis gentibus unam:
profuit iniustis8 te dominante capi.
65 dumque offers victis proprii consortia iuris,
urbem fecisti quod prius orbis erat.
Mille fois je colle mes lèvres sur ces portes qu'il me faut quitter ; mes
pieds ne dépassent qu'à regret le seuil sacré. Par mes larmes, par mes
hommages, je conjure Rome de me pardonner mon départ; mes pleurs entrecoupent
ma voix.
Ecoute-moi, reine magnifique du inonde, devenu ton domaine, Rome, toi dont
l'astre brille parmi mes étoiles ; écoute-moi, mère des hommes, mère des
dieux, tes temples nous rapprochent du ciel. Je te chante et te chanterai
toujours, tant que le permettra le sort ; la mort seule peut effacer ton
souvenir. Oui, je pourrais plutôt méconnaître la lumière du jour,
qu'étouffer dans mon coeur le culte que je te dois ! Tes bienfaits
s'étendent aussi loin que les rayons du soleil, jusqu'aux bornes de la terre
qu'enferme la ceinture de l'Océan. C'est pour toi que roule Phébus, dont la
course embrasse l'univers ; ses coursiers se couchent et se lèvent dans tes
États. Les sables brillants de la Libye n'ont pu t'arrêter ; l'Ourse t'a
vainement opposé ses remparts de glaces. Aussi loin que le voisinage des
pôles permet à l'homme de vivre, aussi loin ta valeur a su se frayer un
passage. Aux nations diverses tu as fait une seule patrie ; les peuples qui
ignoraient la justice ont gagné à être soumis par tes armes ; et, en
appelant les vaincus au partage de tes droits, de l'univers tu as fait une
seule cité.
Rutilius Namatianus, De reditu suo, vers 43-66
Un éloge pareil de Rome, de la part d'un gaulois, alors même que Rome
s'écroule, c'est tout simplement l'un des passages les plus extraordinaires
que je connaisse.
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Posté le: Mer Juil 21, 2010 10:38 am Sujet du message:
Sauvé des ondes, les rivages des Strophades
m'accueillent d'abord ; les Strophades, ainsi nommées par les Grecs, sont des
îles de la grande mer Ionienne, qu'habitent la farouche Céléno et les
autres Harpyes, depuis que le palais de Phinée leur a été fermé et que la
crainte leur a fait quitter les tables qu'elles fréquentaient auparavant.
Jamais monstre plus funeste, jamais plus terrible fléau, dû à la colère
des dieux, ne s'élança des ondes du Styx : ce sont des oiseaux qui ont les
traits d'une jeune fille ; les déjections qui coulent de leur ventre sont
immondes, leurs mains crochues, et leur visage toujours pâle de
faim...
— Virgile, l'Énéide (III)
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Posté le: Sam Oct 23, 2010 19:16 pm Sujet du message:
Le matin, le soir.
Le matin elle se lève comme une folle échevelée et court se réconforter
aux deux sources sacrées THYROXINE et RICORE, sources de vie posées sur la
table dans le coin cuisine de sa chambre.
L'eau Thyroxine lui a été remise par la Sorcière Blanche dans une petite
bouteille. Une bouteille d'eau bénite rapportée du pèlerinage à
Sainte-Anne tous les étés de l'enfance. L'eau bénite pour sanctifier les
morts à venir.
L'été on emmenait la grand-mère en pèlerinage à Saint-Anne d'Auray. La
grand-mère vivait un hiver de plus. Elle chantait agenouillée dans la
basilique à côté de l'aïeule au premier rang tout près de l'autel en
regardant les petites flammes mordre ses yeux jusqu'aux larmes.
Sainte-Anne ô bonne mère
Toi que nous implorons
Entends notre prière...
Le matin elle ne prie plus, elle prend la Thyroxine.
Une petite bouteille de Thyroxine contre un papier passe-droit, mot de passe
ordonnance médicale, quelques tampons et signatures en bonne forme.
L'eau Thyroxine lui permet de rester en vie, de ne pas vieillir précoce,
fœtus ridé, grosse boursouflée, être femme un moment encore. Eau de vie.
Pour capter cette source il a fallu des démarches des recherches des arrêts
de l'imagination, une bonne dose de patience.
Attendre des heures sur une banquette dans une salle comble d'un hôpital,
tenir son numéro d'appel dans une main droite, guetter le voyant lumineux,
bientôt son tour. Obtenir les regards et les faveurs de la grande Sourcière,
revenir dans la ville triomphante, chercher des signes de croix vertes et des
serpents affichés aux devantures. Les serpent obligent avec leur langue à
entrer dedans comme les dessins sur les baraques et les roulottes de la fête
foraine promettent le rêve. Il y a des couleurs dans des pots de verre qui
cassent et des oiseaux rôdant autour de son corps. Entrer chez le pharmacien,
tendre l'ordonnance, dévoiler nom et adresse, prendre le médicament, payer
dire merci et au revoir. Elle se trouve dans la rue toute bête, sans magie.
Ce n'est pas facile d'avoir un corps à diriger, des jours elle perd la
tête.
On l'a exclue du Monde des Médicaments qui fascine, on ne l'a pas laissée
grimper sur l'échelle, choisir les gouttes et les comprimés elle-même,
noter sur le livre, travailler sur des préparations secrètes dans le
laboratoire derrière. Déçue elle consommera des comprimés et des calmants,
elle avalera la THYROXINE.
Alors commence la grande cérémonie du matin. Elle contemple l'eau de vie et
l'eau de mort. La deuxième bouteille contient le poison, un mélange de
gouttes, la dose exacte pour mourir d'un arrêt de cœur. Elle ferme les yeux,
bouge les deux bouteilles, les déplace sur la table, choisit un flacon au
hasard. C'est la vie. C'est la vie par hasard.
— Emma Santos, la Loméchuse. (1974)
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Gelmah de Rothmir
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Posté le: Dim Oct 24, 2010 01:55 am Sujet du message:
@ Alcibiade : J'adore ton passage.
Je vais verser dans le classique et peut-être dans le bateau :
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux :
Au détour d'un sentier une charogne infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint ;
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir.
La puanteur était si forte, que sur l'herbe
Vous crûtes vous évanouir.
Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,
D'où sortaient de noirs bataillons
De larves, qui coulaient comme un épais liquide
Le long de ces vivants haillons.
Tout cela descendait, montait comme une vague,
Ou s'élançait en pétillant ;
On eût dit que le corps, enflé d'un souffle vague,
Vivait en se multipliant.
Et ce monde rendait une étrange musique,
Comme l'eau courante et le vent,
Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmique
Agite et tourne dans son van.
Les formes s'effaçaient et n'étaient plus qu'un rêve,
Une ébauche lente à venir,
Sur la toile oubliée, et que l'artiste achève
Seulement par le souvenir.
Derrière les rochers une chienne inquiète
Nous regardait d'un oeil fâché,
Épiant le moment de reprendre au squelette
Le morceau qu'elle avait lâché.
Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
A cette horrible infection,
Étoile de mes yeux, soleil de ma nature,
Vous, mon ange et ma passion !
Oui ! telle vous serez, ô reine des grâces,
Après les derniers sacrements,
Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,
Moisir parmi les ossements.
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
Charles Baudelaire, in Les Fleurs du
Mal, XXIX, "Une Charogne"
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Oel
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Posté le: Dim Oct 24, 2010 21:22 pm Sujet du message:
« Je suis Dieu ». Dans le brouhaha de la quotidienneté, cette phrase
insensée s’est imposée au-dessus de la mêlée. Habituellement, seuls les
aliénés osent jeter à la face du monde ce type d’affirmations
paranoïaques. « Je suis Dieu » signifie très exactement « j’ai la
conscience aiguë d’être unique et immortel». Je sais, je sens depuis
l’aube de mes temps que j’abrite en moi une vérité essentielle, que je
dispose d’un identifiant hors du commun qui m’a permis d’arriver intact
jusqu’à cette vie sans lustre. « Je suis Dieu » ou plus exactement
l’expression d’un mode d’existence supérieure. Pourtant, mon
intelligence est moyenne, ma corpulence peu athlétique, ma mémoire plutôt
capricieuse et mon charisme à géométrie variable. Rien ne me prédispose à
prendre la robe trop grande des prophètes et autres messies. D’ailleurs
personne ne m’a chargé d’une mission auprès des humains, mes
dissemblables, et c’est heureux lorsque l’on voit ce qu’il advient des
messagers célestes : ils sont suppliciés ou deviennent des tyrans
sanguinaires. Suis-je le seul au moment où je vous parle à être brûlé de
l’intérieur par cette intuition primale ? Je peux supposer sans risque de
me tromper que des millions de dieux de tous âges s’éveillent chaque
matin, persuadés de l’unicité de leur précieuse personne. Pour ma part,
cette révélation ne me donne aucun sentiment de supériorité, plutôt même
la sensation désagréable que je suis plus vulnérable que les autres
lorsqu’il s’agit de se battre pour survivre. Comble de l’ironie, «
savoir » que l’on est immortel, par l’affaiblissement de l’instinct de
survie, peut contribuer à une mort plus rapide. Heureusement, l’esprit
humain détient une arme redoutable : la faculté d’oublier. Alors si je
suis vraiment Dieu, n’en parlons plus.
Je sais pas qui c'est
|
Flandre
De passage


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Posté le: Mer Nov 03, 2010 22:30 pm Sujet du message:
Les uns cryoient : Saincte Barbe!
les aultres : Sainct George!
les aultres : Saincte Nitouche!
les aultres : Nostre Dame de Cunault! de Laurette! de Bonnes nouvelles! de la
Lenou! de Riviere!
les uns se vouoyent à sainct Jacques ;
les autres au sainct suaire de Chambery, mais il brusla troys moys après, si
bien qu'on n'en peult saulver un seul brin ;
les aultres à sainct Eutrope de Xainctes, à sainct Mesmes de Chinon, à
sainct Martin de Candes, à sainct Clouaud de Sinays, es reliques de Javrezay
et mille aultres bons petitz saincts.
Les ungs mouroient sans parler, les aultres parloient sans mourir. Les ungs
mouroient en parlant, les aultres parloient en mourant.
Rabelais, Gargantua, XXVII : "Comment un moine de Seuillé saulva le cloz de
l'abbaye du sac des ennemys."
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Posté le: Mer Nov 10, 2010 15:09 pm Sujet du message:
J'adore la langue du XVIe.
Petit coup de cœur en trouvant un site qui propose tous les poèmes et
nouvelles de Clark Ashton Smith, dans la version originale anglais.
The Abominations of Yondo
The sand of the desert of Yondo is not as the
sand of other deserts; for Yondo lies nearest of all to the world's rim; and
strange winds, blowing from a pit no astronomer may hope to fathom, have sown
its ruinous fields with the gray dust of corroding planets, the black ashes of
extinguished suns. The dark, orblike mountains which rise from its wrinkled
and pitted plain are not all its own, for some are fallen asteroids
half-buried in that abysmal sand. Things have crept in from nether space,
whose incursion is forbid by the gods of all proper and well-ordered lands;
but there are no such gods in Yondo, where live the hoary genii of stars
abolished and decrepit demons left homeless by the destruction of antiquated
hells.
(...)
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Invité
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Posté le: Mer Nov 10, 2010 17:06 pm Sujet du message:
Citation: | Nous vivions alors dans une époque étrange, comme celles qui
d’ordinaire succèdent aux révolutions ou aux abaissements des grands
règnes. Ce n’était plus la galanterie héroïque comme sous la Fronde, le
vice élégant et paré comme sous la Régence, le scepticisme et les folles
orgies du Directoire ; c’était un mélange d’activité, d’hésitation
et de paresse, d’utopies brillantes, d’aspirations philosophiques ou
religieuses, d’enthousiasmes vagues, mêlés de certains instincts de
renaissance ; d’ennuis des discordes passées, d’espoirs incertains, -
quelque chose comme l’époque de Pérégrinus et d’Apulée. L’homme
matériel aspirait au bouquet de roses qui devait le régénérer par les
mains de la belle Isis ; la déesse éternellement jeune et pure nous
apparaissait dans les nuits, et nous faisait honte de nos heures de jour
perdues. L’ambition n’était cependant pas de notre âge, et l’avide
curée qui se faisait alors des positions et des honneurs nous éloignait des
sphères d’activité possibles. Il ne nous restait pour asile que cette tour
d’ivoire des poètes, où nous montions toujours plus haut pour nous isoler
de la foule. À ces points élevés où nous guidaient nos maîtres, nous
respirions enfin l’air pur des solitudes, nous buvions l’oubli dans la
coupe d’or des légendes, nous étions ivres de poésie et d’amour. Amour,
hélas ! des formes vagues, des teintés roses et bleues, des fantômes
métaphysiques ! Vue de près, la femme réelle révoltait notre ingénuité ;
il fallait qu’elle apparût reine ou déesse, et surtout n’en pas
approcher. |
Gérard de Nerval, in Sylvie
(les
filles du feu)
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Posté le: Lun Déc 13, 2010 01:45 am Sujet du message:
Methinks this heart.
(Emily Brontë)
—
Methinks this heart should rest awhile,
So stilly round the evening falls;
The veiled sun sheds no parting smile,
Nor mirth, nor music wakes my halls.
I have sat lonely all the day
Watching the drizzly mist descend
And first conceal the hills in grey
And then along the valleys wend.
And I have sat and watched the trees
And the sad flowers—how drear they blow:
Those flowers were formed to feel the breeze
Wave their light leaves in summer's glow.
Yet their lives passed in gloomy woe
And hopeless comes its dark decline,
And I lament, because I know
That cold departure pictures mine.
|
lililule
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Posté le: Ven Jan 28, 2011 11:19 am Sujet du message:
Artères souterraines- Warren Ellis Ch. 15
Mike accepte de se faire injecter une
solutions saline dans les testicules en échange d'informations.
Gary a tendu une grande serviette bleue qu'il a enroulée autour de mes
hanches comme s'il habillait un gamin, puis il m'a mené tout tremblant dans
le salon.
"Eh bien, notre Magnum a assuré comme un homme. Il a des couilles,
maintenant."
Ses propos ont été accueillis par des acclamations et des applaudissements,
pas très amicaux à mon goût.
Trix m'a demandé: "Tu l'as vraiment fait?"
Gary s'est marré. "Bien sûr, qu'il l'a fait." Et il m'a attaché la
serviette.
On aurait dit que quelqu'un m'avait cloué un ballon de basket sur
l'entrejambe.
"Mais c'est génial!" a piaillé Trix
en applaudissant à nouveau.
Pendant cinq secondes, je me suis senti ridiculement fier. Avant de me rendre
compte, comment dire, que j'étais debout à poil devant Trix et que
j'exposais mes testicules mutants, comprenant que ça lui faisait étrangement
plaisir. C'est à ce moment que j'ai chopé la serviette et l'ai remise en
place.
Mister l'Aryen a fait une grimace. "Soit il m'aime, soit il l'aime, elle."
Et, oh mon Dieu, elle m'a souri.
Je me suis tourné vers Gary."Vêtements. Facture."
Gary a soupiré."Les vêtements sont à côté, dans la chambre d'amis. La
facture et un papier qui résume mes souvenirs sont posés dessus. Bonne
chance Magnum."
Je m'apprêtais à quitter la pièce quand Trix a hurlé: "A mon tour!"
J'ai vu Gary faire un mouvement de recul. "Vous êtes sûre?
-Je veux des couilles! Mike, attends un peu. Je veux essayer."
Elle a pouffé de rire.
Je me sentais bizarre comme pas possible et j'étais épuisé. "Je t'attends
dans la voiture", lui ai-je répondu avant de passer dans la chambre d'amis et
de refermer la porte derrière moi.
Les notes étaient rédigées par un flic, fragmentées mais aussi
compréhensibles qu'un portrait-robot écrit. Les détails et la facture ne
m'ont pas empli de joie. Ma chance merdique s'accrochait à moi comme à une
cuvette de chiotte.
C'est ce qui m'a traversé l'esprit quand j'ai baissé les yeux vers la pile
de vêtements pliés sur le lit.
Mon pantalon était, bien évidemment, taillé pour un homme à testicules
normaux.
Je me suis assis avec douceur au bord du lit et je me suis efforcé de ne pas
pleurer.
Mes testicules reposaient sur mes cuisses.
Le volume de la musique a augmenté. J'ai entendu des rires et des
applaudissements.
J'ai manqué me péter le dos en me penchant pour enfiler mes chaussettes. Je
n'allais pas me faire chier à essayer de mettre mon caleçon. Sans calbute,
ça ferait l'affaire, il fallait juste faire attention en remontant la
braguette. Mettre ma chemise a été plutôt simple mais le défi principal
serait le pantalon. Maladroit, j'ai passé mes pieds dans les jambes pliées
en accordéon puis je me suis rallongé sur le lit. (...)
J'ai réussi à fermer le bouton du haut et je me suis penché en avant pour
voir comment je m'en sortais.
Le secteur avant du pantalon ressemblait à une pastèque planquée dans la
poche d'un kangourou.
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Invité
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Posté le: Mar Mar 08, 2011 16:41 pm Sujet du message:
J'ai toujours incroyablement souhaité de rencontrer la nuit, dans un bois,
une femme belle et nue, ou plutôt, un tel souhait une fois exprimé ne
signifiant plus rien, je regrette incroyablement de ne pas l'avoir
rencontrée. Supposer une telle rencontre n'est pas si délirant, somme toute
: il se pourrait. Il me semble que tout se fut arrêté net, ah ! Je n'en
serais pas à écrire ce que j'écris. J'adore cette sensation qui est, entre
toutes, celle où il est probable que j'eusse le plus manqué de présence
d'esprit. Je n'aurais même pas eu, je crois, celle de fuir. (Ceux qui rient
de cette dernière phrase sont des porcs)
Nadja, Breton.
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Invité
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Posté le: Mar Mar 08, 2011 23:41 pm Sujet du message:
" Un baiser, qu'est-ce ? Un serment fait d'un peu plus près, un aveu qui veut
se confirmer, un point rose qu'on met sur l'i du verbe aimer ; c'est un secret
qui prend la bouche pour oreille. "
Edmond Rostand
Cyrano de Bergerac
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Sofiiiii
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Posté le: Mar Mar 08, 2011 23:42 pm Sujet du message:
Tu me bluffes !
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Invité
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Posté le: Mar Mar 08, 2011 23:51 pm Sujet du message:
Pour ?
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Sofiiiii
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Posté le: Mar Mar 08, 2011 23:53 pm Sujet du message:
J'ai cité ceci
dernièrement, ça m'a fait plaisir de le relire, surtout ici.
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Invité
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Posté le: Mar Mar 08, 2011 23:56 pm Sujet du message:
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Invité
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Posté le: Ven Mar 18, 2011 01:23 am Sujet du message:
LE JARDINIER :
Jamais je ne me résoudrai à épouser une autre qu'Électre, et jamais je
n'aurai Électre. Je suis créé pour vivre jour et nuit avec une femme, et
toujours je vivrai seul. Pour me donner sans relâche en toute saison et
occasion, et toujours je me garderai. C'est ma nuit de noce que je passe ici,
tout seul, merci d'être là, et jamais je n'en aurai d'autre, et le
sirop d'oranges que j'avais préparé pour Électre, c'est moi qui ai dû le
boire; il n'en reste plus une goutte, c'était une nuit de noces longue.
Alors qui douterait de ma parole ? L'inconvénient est que je dis toujours un
peu le contraire de ce que je veux dire, mais ce serait vraiment à
désespérer aujourd'hui, avec un cœur aussi serré et cette amertume dans la
bouche, c'est amer, au fond, l'orange, si je parvenais à oublier une
minute que j'ai à vous parler de la joie. Joie et Amour, oui. Je viens vous
dire que c'est préférable à Aigreur et Haine. Comme devise à graver sur un
porche, sur un foulard, c'est tellement mieux, ou en bégonias nains dans un
massif. Évidemment rien ne va jamais, rien ne s'arrange jamais, mais parfois
avouez que cela va admirablement, que cela s'arrange admirablement... Pas pour
moi... Ou plutôt pour moi !... Si j'en juge d'après le désir d'aimer, le
pouvoir d'aimer tout et tous, que me donne le plus grand malheur de la vie,
qu'est ce que cela doit être pour ceux qui ont des malheurs moindres ! Quel
amour doivent éprouver ceux qui épousent des femmes qu'ils n'aiment pas,
quelle joie ceux qu'abandonne, après qu'ils l'ont eu une heure dans leur
maison, la femme qu'ils adorent, quelle admiration, ceux dont les enfants sont
trop laids ! Évidemment il n'était pas très gai, cette nuit, mon jardin.
Comme petite fête, on peut s'en souvenir. J'avais beau faire parfois comme si
Électre était près de moi, lui parler, lui dire : "Entrez, Électre !
Avez-vous froid Électre ?" Rien ne s'y trompait, pas même le chien, je ne
parle pas de moi-même. Il nous a promis une mariée, pensait le chien, et il
nous amène un mot. Mon maître s'est marié à un mot ; il a mit son
vêtement blanc, celui sur lequel mes pattes marquent, qui m'empêche de le
caresser, pour se marier à un mot. Il donne du sirop d'oranges à un mot. Il
me reproche d'aboyer à des ombres, à de vraies ombres, qui n'existent pas,
et le voilà qui essaye d'embrasser un mot. Et je ne me suis pas étendu : me
coucher avec un mot, c'était au-dessus de mes forces... On peut parler avec
un mot, c'est tout !... Mais assis comme moi dans ce jardin où tout divague
un peu la nuit, où la lune s'occupe au cadran solaire, où la chouette
aveuglée, au lieu de boire au ruisseau, boit à l'allée de ciment, vous
auriez compris ce que j'ai compris, à savoir : la vérité. Vous auriez
compris le jour où vos parents mouraient, que vos parents naissaient ; le
jour où vous étiez ruiné, que vous étiez riche ; où votre enfant était
ingrat, qu'il était la reconnaissance même ; où vous étiez abandonné, que
le monde entier se précipitait vers vous, dans l'élan et la tendresse. C'est
justement ce qui m'arrivait dans ce faubourg vide et muet. Ils se ruaient vers
moi tous ces arbres pétrifiés, ces collines immobiles.
Électre, Jean Giraudoux.
|
Invité
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Posté le: Lun Mar 28, 2011 00:29 am Sujet du message:
Le soir, dans l’été, il prenait avec lui sa petite fille et la conduisait
au cimetière. Ils s’en revenaient à la nuit close, quand il n’y avait
plus d’éclairé sur la place que la lucarne de Binet.
Cependant la volupté de sa douleur était incomplète, car il n’avait
autour de lui personne qui la partageât ; et il faisait des visites à la
mère Lefrançois afin de pouvoir parler d’elle. Mais l’aubergiste ne
l’écoutait que d’une oreille, ayant comme lui des chagrins, car M.
Lheureux venait enfin d’établir les Favorites du commerce, et Hivert, qui
jouissait d’une grande réputation pour les commissions, exigeait un
surcroît d’appointements et menaçait de s’engager « à la concurrence
».
Un jour qu’il était allé au marché d’Argueil pour y vendre son cheval,
– dernière ressource, – il rencontra Rodolphe.
Ils pâlirent en s’apercevant. Rodolphe, qui avait seulement envoyé sa
carte, balbutia d’abord quelques excuses, puis s’enhardit et même poussa
l’aplomb (il faisait très chaud, on était au mois d’août), jusqu’à
l’inviter à prendre une bouteille de bière au cabaret.
Accoudé en face de lui, il mâchait son cigare tout en causant, et Charles se
perdait en rêveries devant cette figure qu’elle avait aimée. Il lui
semblait revoir quelque chose d’elle. C’était un émerveillement. Il
aurait voulu être cet homme.
L’autre continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des
phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion.
Charles ne l’écoutait pas ; Rodolphe s’en apercevait, et il suivait sur
la mobilité de sa figure le passage des souvenirs. Elle s’empourprait peu
à peu, les narines battaient vite, les lèvres frémissaient ; il y eut même
un instant où Charles, plein d’une fureur sombre, fixa ses yeux contre
Rodolphe qui, dans une sorte d’effroi, s’interrompit. Mais bientôt la
même lassitude funèbre réapparut sur son visage.
— Je ne vous en veux pas, dit-il.
Rodolphe était resté muet. Et Charles, la tête dans ses deux mains, reprit
d’une voix éteinte et avec l’accent résigné des douleurs infinies :
— Non, je ne vous en veux plus !
Il ajouta même un grand mot, le seul qu’il ait jamais dit :
— C’est la faute de la fatalité !
Rodolphe, qui avait conduit cette fatalité, le trouva bien débonnaire pour
un homme dans sa situation, comique même, et un peu vil.
Le lendemain, Charles alla s’asseoir sur le banc, dans la tonnelle. Des
jours passaient par le treillis ; les feuilles de vigne dessinaient leurs
ombres sur le sable, le jasmin embaumait, le ciel était bleu, des cantharides
bourdonnaient autour des lis en fleur, et Charles suffoquait comme un
adolescent sous les vagues effluves amoureux qui gonflaient son cœur
chagrin.
À sept heures, la petite Berthe, qui ne l’avait pas vu de tout
l’après-midi, vint le chercher pour dîner.
Il avait la tête renversée contre le mur, les yeux clos, la bouche ouverte,
et tenait dans ses mains une longue mèche de cheveux noirs.
— Papa, viens donc ! dit-elle.
Et, croyant qu’il voulait jouer, elle le poussa doucement. Il tomba par
terre. Il était mort.
Trente-six heures après, sur la demande de l’apothicaire, M. Canivet
accourut. Il l’ouvrit et ne trouva rien.
Quand tout fut vendu, il resta douze francs soixante et quinze centimes qui
servirent à payer le voyage de Mlle Bovary chez sa grand-mère. La bonne
femme mourut dans l’année même ; le père Rouault étant paralysé, ce fut
une tante qui s’en chargea. Elle est pauvre et l’envoie, pour gagner sa
vie, dans une filature de coton.
Depuis la mort de Bovary, trois médecins se sont succédé à Yonville sans
pouvoir y réussir, tant M. Homais les a tout de suite battus en brèche. Il
fait une clientèle d’enfer ; l’autorité le ménage et l’opinion
publique le protège.
Il vient de recevoir la croix d’honneur.
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Bulbizarrexx
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Posté le: Dim Avr 03, 2011 21:07 pm Sujet du message:
"L'homme élégant est descendu de la
limousine, il fume une cigarette anglaise. Il regarde la jeune fille au feutre
d'homme et aux chaussures d'or. II vient vers elle lentement. C'est visible,
il est intimidé. Il ne sourit pas tout d'abord. Tout d'abord il lui offre une
cigarette. Sa main tremble. Il y a cette différence de race, il n'est pas
blanc, il doit la surmonter, c'est pourquoi il tremble. Elle lui dit qu'elle
ne fume pas, non merci. Elle ne dit rien d'autre, elle ne lui dit pas
laissez-moi tranquille. Alors il a moins peur. Alors il lui dit qu'il croit
rêver. Elle ne répond pas. Ce n'est pas la peine qu'elle réponde, que
répondrait-elle. Elle attend. Alors il le lui demande: mais d'où venez-vous
? Elle dit qu'elle est la fille de l'institutrice de l'école de filles de
Sadec. Il réfléchit et puis il dit qu'il a entendu parler de cette dame, sa
mère, de son manque de chance avec cette concession qu'elle aurait achetée
au Cambodge, c'est bien ça n'est-ce pas? Oui c'est ça.
Il répète que c'est tout à fait extraordinaire de la voir sur ce bac. Si
tôt le matin, une jeune fille belle comme elle l'est, vous ne vous rendez pas
compte, c'est très inattendu, une jeune fille blanche dans un car indigène.
Il lui dit que le chapeau lui va bien, très bien même, que c'est...
original... un chapeau d'homme, pourquoi pas? elle est si jolie, elle peut
tout se permettre.
Elle le regarde. Elle lui demande qui il est. Il dit qu'il revient de Paris
où il a fait ses études, qu'il habite Sadec: lui aussi, justement sur le
fleuve, la grande maison avec les grandes terrasses aux balustrades de
céramique bleue. Elle lui demande ce qu'il est. Il dit qu'il est chinois, que
sa famille vient de la Chine du Nord, de Fou-Chouen. Voulez-vous me permettre
de vous ramener chez vous a Saigon? Elle est d'accord. Il dit au chauffeur de
prendre les bagages de la jeune fille dans le car et de les mettre dans l'auto
noire.
Chinois. Il est de cette minorité financière d'origine chinoise qui tient
tout l'immobilier populaire de la colonie. Il est celui qui passait le Mékong
ce jour-là en direction de Saigon.
Elle entre dans l'auto noire. La portière se referme. Une détresse à peine
ressentie se produit tour à coup, une fatigue, la lumière sur le fleuve qui
se ternit, mais à peine. Une surdité très légère aussi, un brouillard,
partout.
Je ne ferai plus jamais le voyage en car pour indigènes. Dorénavant, j'aurai
une limousine pour aller au lycée et me ramener à la pension. Je dînerai
dans les endroits les plus élégants de la ville. Et je serai toujours là à
regretter tout ce que je fais, tout ce que je laisse, tout ce que je prends,
le bon comme le mauvais, le car, le chauffeur du car avec qui je riais, les
vieilles chiqueuses de bétel des places arrière, les enfants sur les
porte-bagages, la famille de Sadec, l'horreur de la famille de Sadec, son
silence génial."
Marguerite Duras. L'amant.
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Invité
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Posté le: Lun Juin 27, 2011 03:45 am Sujet du message:
Etre plein d'esprit et de talent pour la conversation, et, simultanément,
fort, sérieux, silencieux. Etre généreux, ouverte, prêt à se sacrifier,
mais néanmoins mystérieux, sensible, et même un peu mélancolique, amer.
Etre à la fois lumière et ombre. Harmoniser, fondre tout ceci en un seul
homme - ah, voilà qui valait d'être réalisé. La seule idée d'une telle
perfection cristallisa sa vitalité en une ambition extatique.
Scott Fitzgerald - Une vie parfaite.
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