alcibiade
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Posté le: Ven Oct 10, 2008 22:57 pm Sujet du message:
Le 17ème est trop imprégné de christianisme pour comprendre l'âme païenne
si tu veux mon avis. Je suis loin d'etre spécialiste de la littérature de
cette époque mais le paganisme y est généralement vu comme un repoussoir,
un ramassis de superstitions risibles(il suffit de voir ce qu'en dit Bossuet,
qui d'ailleurs n'a pas compris quoi que ce soit aux religions païennes, tout
aveuglé qu'il était par son adoration béate des hébreux). En dehors de
ça, on parle beaucoup mythologie, mais toujours des mêmes épisodes. Chez
Boileau(que j'aime bien cependant), le panthéon grec se réduit à Apollon et
aux muses.Bensérade je n'en parle même pas. Après certains autres auteurs
ont pu mieux traiter le sujet, tu n'as qu'à m'en citer.
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Mandos
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Posté le: Dim Oct 12, 2008 00:23 am Sujet du message:
Je pense qu'il faut distinguer la doctrine des théoriciens de l'esthétique
classique et la pratique des auteurs (qui sont parfois les mêmes que les
précédents, naturellement). Il ne me semble pas que les tragédies de Racine
donnent à voir une mythologie grecque aseptisée, débarrassée de la
violence aveugle dont nous modernes y guettons les traces. L'art classique,
parce qu'il est classique, parce qu'il se veut harmonie, rend plus sensible la
menace du chaos. Il faut lire, je pense, ce que Steiner dit de Racine dans
La Mort de la tragédie, et notamment
de Phèdre. Destinée aveugle, d'une
cruauté indicible parce qu'elle s'applique aux hommes sans pour autant que
ses lois aient rien en commun avec la raison humaine, avec les notions
humaines d'équité et de justice.L'image que Racine donne à voir d'une
déesse aussi "aseptisée", dans les écrits de certains auteurs, que
Vénus/Aphrodite, est ainsi saisissante de violence, sans parler de ce
passage-ci :
"Misérable ! et je vis ? et je soutiens la vue
De ce sacré Soleil dont je suis descendue ?
J'ai pour aïeul le père et le maître des Dieux ;
Le ciel, tout l'univers est plein de mes aïeux.
Où me cacher ? Fuyons dans la nuit infernale.
Mais que dis-je ? mon père y tient l'urne fatale.
Le sort, dit-on, l'a mise en ses sévères mains :
Minos juge aux enfers tous les pâles humains."
Steiner parle du jaillissement de "formes nées du chaos et de la nuit
antique". J'ajouterais que l'ordre cosmique ici évoqué est précisément ce
qui suscite l'idée du chaos, puisque cet ordre élimine la justice qui a
cours parmi les individus. Phèdre sera châtiée sans mesure, elle est exclue
du monde, exclue du cosmos, de l'Ordre. Elle est un monstre au regard de
l'univers, bref, le macrocosme et le microcosme, les ordres universel et
individuel, contrairement à ce qui est affirmé dans les théories
humanistes, et partiellement récupéré dans l'idéal classique, sont
totalement hétérogènes, et entre les deux, on retrouve l'élément du
chaos, qui rend le cosmos illisible dans les termes d'une concordance entre le
tout et ses constituants.
Je ne connais pas particulièrement le dix-septième siècle, et je ne sais
pas si les penseurs de l'époque ont fait la part, dans les mythes grecs, de
l'harmonie et de l'irrationnel, mais je sais que cette tension se retrouve, à
l'état brut, et dans toute sa puissance, dans l'oeuvre d'un poète comme
Racine.
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alcibiade
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Posté le: Dim Oct 12, 2008 11:18 am Sujet du message:
C'est peut etre subjectif, mais je ne reconnais absolument pas la pensée
antique dans Racine. Son Achille est un honnète homme du 17ème, pas le
héros d'Homère, et pour cause, on lui enlève sa relation avec Patrocle pour
en faire une bète amitié, on en fait un modèle de courtoisie alors que ce
n'est pas vraiment le cas.
Bref, en lisant les oeuvres de cette époque traitant de l'antiquité, j'ai la
même impression qu'en voyant ces tableaux qui représentent Apollon avec un
violon, Athéna avec une halebarde, Dionysos ventru.
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VACVVS
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Posté le: Dim Oct 12, 2008 12:43 pm Sujet du message:
C'est dans l'oeuvre de Racine qu'on peut voir la vision la moins aseptisée
des mythes grecs; et de fait il connait parfaitement bien ses modèles. Sinon
à l'époque la mythologie est essentiellement utilisée comme un code:
Apollon phébus représente le soleil, la Renommée, tirée d'une allégorie
de Virgile, toujours représentée avec des trompettes, signifie gloiree etc
etc. Les figures mythiques pour les peintres sont un répertoire de symboles,
qui permettent de composer des tableaux à décoder (le même usage est fait
des symboles bibliques). Par ailleurs le mythe est considéré dans les deux
arts comme puissamment ornemental. Et les compositions de l'époque (je parle
des bons peintres, pas d'Eustache Le Sueur) ont l'avantage d'être saisissants
et d'avoir une lecture codée possible. Certaines allégories se rapportent
très nettement à la violence, et de fait une représentation de Mars doit se
faire avecvéhémence. Une représentation de la Furie, aussi codée
soit-elle, ne peut pas être faite sur un mode gentillet. Enfin, plusieurs
grands peintres au XVII° siècle ont représenté des scènes tout à fait
atroces comme Saturne et ses enfants, Prométhée et l'aigle etc.
Donc oui le mythe est instrumentalisé, il sert de cadre conventionnel à
l'esthétique d'époque, mais la violence inhérente à certains récits
affleure dans certaines oeuvres picturales et poétiques. Mais la violence est
dite de manière plus subtile que dans certaines oeuvres contemporaines.
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Mandos
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Posté le: Dim Oct 12, 2008 13:59 pm Sujet du message:
alcibiade a
écrit: | Son Achille est un
honnète homme du 17ème, pas le héros d'Homère, et pour cause, on lui
enlève sa relation avec Patrocle pour en faire une bète amitié, on en fait
un modèle de courtoisie alors que ce n'est pas vraiment le cas.
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A quelle pièce de Racine fais-tu allusion ?
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alcibiade
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Posté le: Dim Oct 12, 2008 16:35 pm Sujet du message:
Iphigénie.
Citation: |
Sinon à l'époque la mythologie est essentiellement utilisée comme un code:
Apollon phébus représente le soleil, la Renommée, tirée d'une allégorie
de Virgile, toujours représentée avec des trompettes, signifie gloiree etc
etc |
C'est bien ce que je reproche. Et de fait, ça enlève ce qu'il y a de plus
essentiel dans les mythes selon moi, bien plus que la violence: le sacré. Les
mythes grecs, ce sont avant tout les récits d'une religion. On sent bien,
trop bien que tous ces auteurs ne croient pas une seconde à tous ces dieux,
c'est comme un athée qui parle des miracles de la Bible, il manque
l'exaltation.
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Mandos
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Posté le: Dim Oct 12, 2008 18:14 pm Sujet du message:
Et donc, Hérédia croirait plus que Racine aux mythes qu'il évoque ? (Dans
ce cas-là, au vu du résultat posté plus haut, il faut croire que l'art
sacré est le fait des incrédules)
Cela dit, c'est drôle, j'avais complètement oublié qu'Achile apparaissait
dans Iphigénie. Il faut dire que je
n'ai lu cette pièce qu'une fois, je déteste la manière dont elle finit.
Je continue d'être en désaccord avec toi en ce qui concerne l'atmosphère
des pièces de Racine (j'ai même des amis qui te casseraient la gueule en te
disant que Racine, c'est dionysiaque, DIONYSIAQUE, tu entends !!), mais
j'imagine qu'il n'est pas utile d'en discuter indéfiniment, vu que nous ne
ferons sans doute que réitérer à longueur de posts les mêmes prises de
position, assorties d'argumentaires à peu près similaires.
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alcibiade
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Posté le: Lun Oct 13, 2008 18:39 pm Sujet du message:
Citation: | Et
donc, Hérédia croirait plus que Racine aux mythes qu'il évoque ?
|
Peut etre pas mais il en donne au moins l'impression, on jurerait qu'il est
païen. On ne le sent pas pétri de christianisme, et ça lui donne un ton
beaucoup plus proche de celui des auteurs antiques, à mon sens.
Citation: | j'ai même des amis qui te casseraient la gueule en te disant
que Racine, c'est dionysiaque, DIONYSIAQUE, tu entends |
Parlons-en tiens de cette distinction nietzschéenne, entre l'Apollon bien
ordonné et Dionysos le fou. C'est complètement artificiel, Apollon étant
associé aussi à la folie, en particulier la folie divinatoire, comme celle
de la pythie de Delphes.
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