Le vers dans la pomme


Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Forum pour jeunes -> Poésie

Méphistophélès
Suprème actif
Suprème actif




Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299

Message Posté le: Mer Juil 25, 2007 20:43 pm    Sujet du message:
Et on se fixe sur le débat.
Alexandre-le-très-petit
Actif
Actif


Sexe: Sexe:Masculin
Age: 35
Inscrit le: 24 Jan 2006
Messages: 589
Localisation: Dans la coque du parapluie

Message Posté le: Mer Juil 25, 2007 21:08 pm    Sujet du message:
Je crois, en lisant uacuus, que l'on s'est à peu près compris. Ma poésie n'est au moins pas ,comme tu l'as dit, Terre et réalité, ni autre monde. Je crois que tu ne ressens pas exactement où je la place (quelle géographie!), mais au moins tu sais exactement à quoi je la refuse. Ma pensée poétique du moment, je la retient des surréalistes et surtout de Rimbaud, après que les autres m'aient déçu. C'est la volonté de Breton que je retiens. Ils m'ont a peu près tout détruit. Ne reste que l'apparence, le style. Ma pensée est à Camus, ma morale à Wilde, mes fantasmes à Vian, le style à moi-même. Je pourrait approfondire ma conception, mais ça deviendrait terriblement ennuyeux, restons-en à Eluard. Je trouve que c'est un profond poète, un génie dans le style. Méphisto (dont j'apprécie tellement le pseudonyme Mauvais ange ), saisis-moi dans ma dernier texte, le plusorienté dans cette pensée: ce que cache la banalité.

"Tout art est parfaitement inutile." O. Wilde.
Méphistophélès
Suprème actif
Suprème actif




Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299

Message Posté le: Ven Juil 27, 2007 11:59 am    Sujet du message:
"La terre est bleue comme une orange".

Il est possible d'analyser cette phrase au travers de deux axes, à la fois opposés et complémentaires.
* L'axe de la cohésion grammaticale d'une part, c'est-à-dire l'étude de l'agencement des mots selon les règles de la morphosynthaxe - cette phrase est-elle correcte ?
* Et l'axe de la cohérence sémique, c'est-à-dire, de la cohérence contextuelle, de la pertinence du propos qui nous est transmis - cette phrase veut-elle dire quelque chose ?
Or à ce niveau, il est déjà possible de dégager une véritable dichotomie entre la forme on ne peut plus simple et viable - un sujet, un adjectif attribut et une figure de style basique, la comparaison - et la signification de ce propos, autrement plus diffuse. Le problème est le suivant: nous avons le nom "terre", à la fois sujet et centre thématique de la phrase. A ce nom est ajouté une caractéristique, il est "bleu", et une comparaison avec le nom "orange" dans l'optique de mieux nous faire saisir la pertinence de l'emploi de l'adjectif "bleu". Ainsi, la phrase peut se gloser comme suit:
La terre est bleu, de la même façon qu'une orange est bleue.
Or, c'est là qu'intervient la difficulté. Une orange n'est aucunement bleue, contrairement à ce que la construction même de la phrase pourrait laisser supposer. Bien au contraire, le fruit "orange" est logiquement de couleur "orange", et la relation homonymique du fruit et de la couleur, du nom et de l'adjectif vient encore renforcer l'absurdité d'une phrase sous entendant que l'orange doit être bleu comme la terre.
Cela étant, le choix de comparer la terre à une orange, même s'il parait absurde de prime abord, est en fait murement réfléchi puisque l'auteur à explicitement choisi l'orange, qui, par définition, est le seul fruit qui ne pourrait en aucun cas être bleu - puisque cette dernière a donné son nom à une couleur.

Autre point., Si l'orange en tant que fruit à pour sème (sous-définition, signifié minimal) principal "sa couleur orange", libre à chacun d'y voir également le sème "de forme arrondie". Or, si la terre n'est en aucun cas de couleur orange, sa rotondité pourrait bel et bien constituer une ressemblance suffisante avec l'orange pour justifier cette comparaison. En ce cas il y a glissement sémantique, la comparaison ne porte plus sur "bleu", mais directement sur "la terre":
La terre est [ronde] comme une orange, et [en plus de cela, accessoirement, indépendamment du fait qu'elle soit ronde] bleue".
Ainsi, même si grammaticalement la comparaison "comme une orange" renvoie à la couleur bleue de la terre, il faut comprendre que cette comparaison n'est associé qu'à la forme de la terre. Une telle figure de style - à savoir, un mot ou un groupe de mots feignant de qualifier une chose pour en fait en qualifier une autre - est appelée: une hypallage.

En conclusion, je ne perçois dans ce vers d'Eluard ni cette hallucination toute rimbaldienne quant à la véritable couleur "poétique" des choses, ni vraiment d'intérêt particulier apporté à la fusion de la forme et de la couleur - une pareille interprétation est jolie sur le papier, mais concrètement, ça ne va pas péter bien loin. Mon sentiment est plutôt qu'Eluard a cherché ici à se faire plaisir, à jouer sur le langage en attribuant à un aphorisme somme toute assez basique une certaine ambivalence, une certaine absurdité. Absurde oui, mais pas tant que ça au final, puisque cette absurdité semble ne déboucher sur rien, jouissant de sa sobriété et de sa vacuité même, sans ambition aucune. Somme toute, c'est un simple jeu de mot, un jeu d'esprit qui a marqué la conscience collective de par cette revendication puissante, tranquille et indubitable du non-sens, particulièrement visible par l'emploi du verbe "être": "la terre est bleue comme [...]". Toute argumentation visant à démontrer la véracité de ce propos semble superfétatoire pour l'auteur, et cette négation virulente du réel, hisse à mon sens le vers d'Eluard au rang de symbole du surréalisme. Et rien de plus, oserais-je dire.
uacuus
Super actif
Super actif


Sexe: Sexe:Masculin

Inscrit le: 29 Mai 2006
Messages: 2753

Message Posté le: Ven Juil 27, 2007 15:04 pm    Sujet du message:
Je ne suis pas sur qu'il s'agisse là d'une hypallage au sens strict, mais passons. Un ami m'a proposé une interprétation une peu terre à terre de ce vers:
"La terre est bleue comme une orange", ne signifie non pas "la terre est bleue comme une orange est bleue", mais l"a terre est bleue comme une orange est orange". Ce raccourci, a-t-il pousuivi, est une figure de style nommée bracchylogie.
Sernard
De passage
De passage




Inscrit le: 17 Juil 2007
Messages: 99

Message Posté le: Ven Juil 27, 2007 15:30 pm    Sujet du message:
peut etre que la terre est bleue comme une orange pour Eluard parce qu'il etait dysléxique (voir daltonien)

ou peut etre que de méme que la nuit tous les chats sont gris, toutes les oranges sont bleues.
Méphistophélès
Suprème actif
Suprème actif




Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299

Message Posté le: Ven Juil 27, 2007 15:33 pm    Sujet du message:
J'en conviens, on parlera d'hypallage surtout à propos d'adjectifs, pas tant de comparaisons, mais mais mais, le cas est particulier, la définition du terme correspond, je pense que mon utilisation est pertinente; et surtout, qu'elle a le mérite de ne pas altérer le propos véhiculé par le vers.

En ce qui concerne la Brachylogie - avec un seul "c" - je doute que l'interprétation de ton ami soit pertinente, ou tout du moins, je la trouve tout à fait tirée par les cheveux. Il s'échine à prendre au premier degré ce qui manifestement doit être perçu au second, le propos d'Eluard étant tout à fait indissociable d'une certaine forme d'ironie sous-jacente. En outre, son interprétation présente le vice majeur d'atténuer, voire de nier cette opposition fondamentale entre la couleur de la terre, et celle de l'orange, qui est de loin la plus évidente. Inversement, la comparaison sur le plan de la forme perd beaucoup à être explicitée, le rapprochement en devient banal, sans véritable intérêt. Dès lors, le vers perd donc toute sa subtilité, et il ne devient rien de plus qu'un aphorisme plat. Pire encore: un truisme. La terre est ronde et elle est bleue; de même que l'orange est ronde et orange. Comparaison vide de substance, digne d'un Ghost_Jack.
C'est plus que terre à terre, cela vire au sabordage poétique, j'irais presque jusqu'à parler de "contre-sens" si ce terme ne m'inspirait une certaine méfiance pour ce qui à trait à la poésie.

PS: A l'époque ou Eluard a écrit ce vers, Sernard, les satellites n'existaient pas encore, et personne n'avait encore pu voir de ses yeux de quelle couleur était véritablement la terre.
Prométhée
Actif
Actif


Sexe: Sexe:Masculin

Inscrit le: 31 Jan 2007
Messages: 1445

Message Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 15:59 pm    Sujet du message:
Je reviens de mes vacances autrement.

'La terre est bleue comme une orange'.
Je n'ai pas tout lu ce que vous avez écrit ni lu correctement.

Je suis déçu en réalité non de la phrase en elle-même, mais de la retrouver encore. Je trouve que ton inspiration t'a fait défaut Méphisto, à force de la retrouver, j'ai l'impression qu'elle est devenue un slogan publicitaire du surréalisme ou une mode intellectuelle et une abréviation facheuse des oeuvres d'Eluard. Pensez Eluard, c'est à coup sûr penser cette phrase.
Je suis déçu.
Elle m'écoeure. C'est un mauvais jus de fruit, et je donne sa pulpe aux chiens.
Je pense qu'il est indigent d'entretenir un marché du slogan sur ce site et ailleurs.
Si je l'ai fait dans le passé, plus maintenant.
J'arrache mon étiquette sadienne pour un blanc de circonstance.

Sinon je pense que la poésie n'a rien à 'cacher' et que 'l'absurdité' de cette phrase est largement compensée par le jeu de couleur et de rapprochement sémantique.
Méphistophélès
Suprème actif
Suprème actif




Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299

Message Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 19:51 pm    Sujet du message:
C'est aussi mon point de vue. Et c'est las de retrouver encore et encore ce même vers d'Eluard, présenté comme absolulent génial et incontournable, que m'est venu le caprice d'ouvrir un débat, et si possible, d'y exposer mon sentiment sur la question: à savoir que ce vers, malgré sa célébrité, me laisse tout à fait poreux.
Méphistophélès
Suprème actif
Suprème actif




Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299

Message Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 19:52 pm    Sujet du message:
C'est aussi mon point de vue. Et c'est las de retrouver encore et encore ce même vers d'Eluard, présenté comme absolulent génial et incontournable, que m'est venu le caprice d'ouvrir un débat, et si possible, d'y exposer mon sentiment sur la question: à savoir que ce vers, malgré sa célébrité, me laisse tout à fait poreux. Pour autant, il me semble que je suis beau joueur: j'ai sérieusement, consciencieusement dirais-je, fais l'effort de réfléchir sur un sujet qui de prime abord ne me passionnait pas plus que cela.

Poster un nouveau sujet   Répondre au sujet    Forum pour jeunes -> Poésie