Méphistophélès
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Posté le: Mer Juil 25, 2007 20:43 pm Sujet du message:
Et on se fixe sur le débat.
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Alexandre-le-très-petit
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Localisation: Dans la coque du parapluie
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Posté le: Mer Juil 25, 2007 21:08 pm Sujet du message:
Je crois, en lisant uacuus, que l'on s'est à peu près compris. Ma poésie
n'est au moins pas ,comme tu l'as dit, Terre et réalité, ni autre monde. Je
crois que tu ne ressens pas exactement où je la place (quelle géographie!),
mais au moins tu sais exactement à quoi je la refuse. Ma pensée poétique du
moment, je la retient des surréalistes et surtout de Rimbaud, après que les
autres m'aient déçu. C'est la volonté de Breton que je retiens. Ils m'ont a
peu près tout détruit. Ne reste que l'apparence, le style. Ma pensée est à
Camus, ma morale à Wilde, mes fantasmes à Vian, le style à moi-même. Je
pourrait approfondire ma conception, mais ça deviendrait terriblement
ennuyeux, restons-en à Eluard. Je trouve que c'est un profond poète, un
génie dans le style. Méphisto (dont j'apprécie tellement le pseudonyme ),
saisis-moi dans ma dernier texte, le plusorienté dans cette pensée: ce que
cache la banalité.
"Tout art est parfaitement inutile." O. Wilde.
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Méphistophélès
Suprème actif


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Posté le: Ven Juil 27, 2007 11:59 am Sujet du message:
"La terre est bleue comme une
orange".
Il est possible d'analyser cette phrase au travers de deux axes, à la fois
opposés et complémentaires.
* L'axe de la cohésion grammaticale d'une part, c'est-à-dire l'étude de
l'agencement des mots selon les règles de la morphosynthaxe - cette phrase
est-elle correcte ?
* Et l'axe de la cohérence sémique, c'est-à-dire, de la cohérence
contextuelle, de la pertinence du propos qui nous est transmis - cette phrase
veut-elle dire quelque chose ?
Or à ce niveau, il est déjà possible de dégager une véritable dichotomie
entre la forme on ne peut plus simple et viable - un sujet, un adjectif
attribut et une figure de style basique, la comparaison - et la signification
de ce propos, autrement plus diffuse. Le problème est le suivant: nous avons
le nom "terre", à la fois sujet et centre thématique de la phrase. A ce nom
est ajouté une caractéristique, il est "bleu", et une comparaison avec le
nom "orange" dans l'optique de mieux nous faire saisir la pertinence de
l'emploi de l'adjectif "bleu". Ainsi, la phrase peut se gloser comme suit:
La terre est bleu, de la même façon qu'une
orange est bleue.
Or, c'est là qu'intervient la difficulté. Une orange n'est aucunement bleue,
contrairement à ce que la construction même de la phrase pourrait laisser
supposer. Bien au contraire, le fruit "orange" est logiquement de couleur
"orange", et la relation homonymique du fruit et de la couleur, du nom et de
l'adjectif vient encore renforcer l'absurdité d'une phrase sous entendant que
l'orange doit être bleu comme la terre.
Cela étant, le choix de comparer la terre à une orange, même s'il parait
absurde de prime abord, est en fait murement réfléchi puisque l'auteur à
explicitement choisi l'orange, qui, par définition, est le seul fruit qui ne
pourrait en aucun cas être bleu - puisque cette dernière a donné son nom à
une couleur.
Autre point., Si l'orange en tant que fruit à pour sème (sous-définition,
signifié minimal) principal "sa couleur orange", libre à chacun d'y voir
également le sème "de forme arrondie". Or, si la terre n'est en aucun cas de
couleur orange, sa rotondité pourrait bel et bien constituer une ressemblance
suffisante avec l'orange pour justifier cette comparaison. En ce cas il y a
glissement sémantique, la comparaison ne porte plus sur "bleu", mais
directement sur "la terre":
La terre est [ronde] comme une orange, et [en
plus de cela, accessoirement, indépendamment du fait qu'elle soit ronde]
bleue".
Ainsi, même si grammaticalement la comparaison "comme une orange" renvoie à
la couleur bleue de la terre, il faut comprendre que cette comparaison n'est
associé qu'à la forme de la terre. Une telle figure de style - à savoir, un
mot ou un groupe de mots feignant de qualifier une chose pour en fait en
qualifier une autre - est appelée: une hypallage.
En conclusion, je ne perçois dans ce vers d'Eluard ni cette hallucination
toute rimbaldienne quant à la véritable couleur "poétique" des choses, ni
vraiment d'intérêt particulier apporté à la fusion de la forme et de la
couleur - une pareille interprétation est jolie sur le papier, mais
concrètement, ça ne va pas péter bien loin. Mon sentiment est plutôt
qu'Eluard a cherché ici à se faire plaisir, à jouer sur le langage en
attribuant à un aphorisme somme toute assez basique une certaine ambivalence,
une certaine absurdité. Absurde oui, mais pas tant que ça au final, puisque
cette absurdité semble ne déboucher sur rien, jouissant de sa sobriété et
de sa vacuité même, sans ambition aucune. Somme toute, c'est un simple jeu
de mot, un jeu d'esprit qui a marqué la conscience collective de par cette
revendication puissante, tranquille et indubitable du non-sens,
particulièrement visible par l'emploi du verbe "être": "la terre est bleue comme [...]". Toute argumentation visant à
démontrer la véracité de ce propos semble superfétatoire pour l'auteur, et
cette négation virulente du réel, hisse à mon sens le vers d'Eluard au rang
de symbole du surréalisme. Et rien de plus, oserais-je dire.
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uacuus
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Messages: 2753
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Posté le: Ven Juil 27, 2007 15:04 pm Sujet du message:
Je ne suis pas sur qu'il s'agisse là d'une hypallage au sens strict, mais
passons. Un ami m'a proposé une interprétation une peu terre à terre de ce
vers:
"La terre est bleue comme une orange", ne signifie non pas "la terre est bleue
comme une orange est bleue", mais l"a terre est bleue comme une orange est
orange". Ce raccourci, a-t-il pousuivi, est une figure de style nommée
bracchylogie.
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Sernard
De passage

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Messages: 99
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Posté le: Ven Juil 27, 2007 15:30 pm Sujet du message:
peut etre que la terre est bleue comme une orange pour Eluard parce qu'il
etait dysléxique (voir daltonien)
ou peut etre que de méme que la nuit tous les chats sont gris, toutes les
oranges sont bleues.
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Méphistophélès
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Posté le: Ven Juil 27, 2007 15:33 pm Sujet du message:
J'en conviens, on parlera d'hypallage surtout à propos d'adjectifs, pas tant
de comparaisons, mais mais mais, le cas est particulier, la définition du
terme correspond, je pense que mon utilisation est pertinente; et surtout,
qu'elle a le mérite de ne pas altérer le propos véhiculé par le vers.
En ce qui concerne la Brachylogie - avec un seul "c" - je doute que
l'interprétation de ton ami soit pertinente, ou tout du moins, je la trouve
tout à fait tirée par les cheveux. Il s'échine à prendre au premier degré
ce qui manifestement doit être perçu au second, le propos d'Eluard étant
tout à fait indissociable d'une certaine forme d'ironie sous-jacente. En
outre, son interprétation présente le vice majeur d'atténuer, voire de nier
cette opposition fondamentale entre la couleur de la terre, et celle de
l'orange, qui est de loin la plus évidente. Inversement, la comparaison sur
le plan de la forme perd beaucoup à être explicitée, le rapprochement en
devient banal, sans véritable intérêt. Dès lors, le vers perd donc toute
sa subtilité, et il ne devient rien de plus qu'un aphorisme plat. Pire
encore: un truisme. La terre est ronde et
elle est bleue; de même que l'orange est ronde et orange. Comparaison
vide de substance, digne d'un Ghost_Jack.
C'est plus que terre à terre, cela vire au sabordage poétique, j'irais
presque jusqu'à parler de "contre-sens" si ce terme ne m'inspirait une
certaine méfiance pour ce qui à trait à la poésie.
PS: A l'époque ou Eluard a écrit ce vers, Sernard, les satellites
n'existaient pas encore, et personne n'avait encore pu voir de ses yeux de
quelle couleur était véritablement la terre.
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Prométhée
Actif

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Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 15:59 pm Sujet du message:
Je reviens de mes vacances autrement.
'La terre est bleue comme une orange'.
Je n'ai pas tout lu ce que vous avez écrit ni lu correctement.
Je suis déçu en réalité non de la phrase en elle-même, mais de la
retrouver encore. Je trouve que ton inspiration t'a fait défaut Méphisto, à
force de la retrouver, j'ai l'impression qu'elle est devenue un slogan
publicitaire du surréalisme ou une mode intellectuelle et une abréviation
facheuse des oeuvres d'Eluard. Pensez Eluard, c'est à coup sûr penser cette
phrase.
Je suis déçu.
Elle m'écoeure. C'est un mauvais jus de fruit, et je donne sa pulpe aux
chiens.
Je pense qu'il est indigent d'entretenir un marché du slogan sur ce site et
ailleurs.
Si je l'ai fait dans le passé, plus maintenant.
J'arrache mon étiquette sadienne pour un blanc de circonstance.
Sinon je pense que la poésie n'a rien à 'cacher' et que 'l'absurdité' de
cette phrase est largement compensée par le jeu de couleur et de
rapprochement sémantique.
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Méphistophélès
Suprème actif


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Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 19:51 pm Sujet du message:
C'est aussi mon point de vue. Et c'est las de retrouver encore et encore ce
même vers d'Eluard, présenté comme absolulent génial et incontournable,
que m'est venu le caprice d'ouvrir un débat, et si possible, d'y exposer mon
sentiment sur la question: à savoir que ce vers, malgré sa célébrité, me
laisse tout à fait poreux.
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Méphistophélès
Suprème actif


Inscrit le: 10 Sep 2006
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Posté le: Jeu Aoû 02, 2007 19:52 pm Sujet du message:
C'est aussi mon point de vue. Et c'est las de retrouver encore et encore ce
même vers d'Eluard, présenté comme absolulent génial et incontournable,
que m'est venu le caprice d'ouvrir un débat, et si possible, d'y exposer mon
sentiment sur la question: à savoir que ce vers, malgré sa célébrité, me
laisse tout à fait poreux. Pour autant, il me semble que je suis beau joueur:
j'ai sérieusement, consciencieusement dirais-je, fais l'effort de réfléchir
sur un sujet qui de prime abord ne me passionnait pas plus que cela.
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