Le Bordelleur
Petit nouveau

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Posté le: Mer Sep 21, 2005 22:31 pm Sujet du message:
La quatrième guerre mondiale a commencé
Chiapas, août 1997.
« La guerre est une affaire
d’importance vitale pour l’Etat,
c’est la province de la vie et de la mort,
le chemin qui conduit à la survie ou à l’anéantissement.
Il est indispensable de l’étudier à fond. »
Sun Tse, L’Art de la guerre.
Le néolibéralisme, comme système mondial, est une nouvelle guerre de
conquête de territoires. La fin de la troisième guerre mondiale, ou guerre
froide, ne signifie nullement que le monde ait surmonté la bipolarité et
retrouvé la stabilité sous l’hégémonie du vainqueur. Car, s’il y a eu
un vaincu (le camp socialiste), il est difficile de nommer le vainqueur. Les
Etats-Unis ? L’Union européenne ? Le Japon ? Tous trois ? La défaite de
l’« Empire du mal » ouvre de nouveaux marchés, dont la conquête provoque
une nouvelle guerre mondiale, la quatrième.
Comme tous les conflits, celui-ci contraint les Etats nationaux à redéfinir
leur identité. L’ordre mondial est revenu aux vieilles époques des
conquêtes de l’Amérique, de l’Afrique et de l’Océanie. Etrange
modernité qui avance à reculons. Le crépuscule du XXe siècle ressemble
davantage aux siècles barbares précédents qu’au futur rationnel décrit
par tant de romans de science-fiction.
De vastes territoires, des richesses et, surtout, une immense force de travail
disponible attendent leur nouveau seigneur. Unique est la fonction de maître
du monde, mais nombreux sont les candidats. D’où la nouvelle guerre entre
ceux qui prétendent faire partie de l’« Empire du bien ».
Si la troisième guerre mondiale a vu l’affrontement du capitalisme et du
socialisme sur divers terrains et avec des degrés d’intensité variables,
la quatrième se livre entre grands centres financiers, sur des théâtres
mondiaux et avec une formidable et constante intensité.
La « guerre froide », la mal nommée, atteignit de très hautes
températures : des catacombes de l’espionnage international jusqu’à
l’espace sidéral de la fameuse « guerre des étoiles » de Ronald Reagan ;
des sables de la baie des Cochons, à Cuba, jusqu’au delta du Mékong, au
Vietnam ; de la course effrénée aux armes nucléaires jusqu’aux coups
d’Etat sauvages en Amérique latine ; des coupables manoeuvres des armées
de l’OTAN aux menées des agents de la CIA en Bolivie, où fut assassiné
Che Guevara. Tous ces événements ont fini par faire fondre le camp
socialiste comme système mondial, et par le dissoudre comme alternative
sociale.
La troisième guerre mondiale a montré les bienfaits de la « guerre totale
» pour le vainqueur : le capitalisme. L’après-guerre laisse entrevoir un
nouveau dispositif planétaire dont les principaux éléments conflictuels
sont l’accroissement important des no man’s land (du fait de la débâcle
de l’Est), le développement de quelques puissances (les Etats-Unis,
l’Union européenne et le Japon), la crise économique mondiale et la
nouvelle révolution informatique.
Grâce aux ordinateurs, les marchés financiers, depuis les salles de change
et selon leur bon plaisir, imposent leurs lois et leurs préceptes à la
planète. La « mondialisation » n’est rien de plus que l’extension
totalitaire de leurs logiques à tous les aspects de la vie. Naguère maîtres
de l’économie, les Etats-Unis sont désormais dirigés, télédirigés, par
la dynamique même du pouvoir financier : le libre-échange commercial. Et
cette logique a profité de la porosité provoquée par le développement des
télécommunications pour s’approprier tous les aspects de l’activité du
spectre social. Enfin une guerre mondiale totalement totale ! Une de ses
premières victimes est le marché national. A la manière d’une balle
tirée à l’intérieur d’une pièce blindée, la guerre déclenchée par
le néolibéralisme ricoche et finit par blesser le tireur. Une des bases
fondamentales du pouvoir de l’Etat capitaliste moderne, le marché national,
est liquidée par la canonnade de l’économie financière globale. Le
nouveau capitalisme international rend les capitalismes nationaux caducs, et
en affame jusqu’à l’inanition les pouvoirs publics. Le coup a été si
brutal que les Etats nationaux n’ont pas la force de défendre les
intérêts des citoyens.
La belle vitrine héritée de la guerre froide - le nouvel ordre mondial - a
été brisée en mille morceaux par l’explosion néolibérale. Quelques
minutes suffisent pour que les entreprises et les Etats s’effondrent ; non
pas à cause du souffle des révolutions prolétariennes, mais en raison de la
violence des ouragans financiers.
Le fils (le néolibéralisme) dévore le père (le capital national) et, au
passage, détruit les mensonges de l’idéologie capitaliste : dans le nouvel
ordre mondial, il n’y a ni démocratie, ni liberté, ni égalité, ni
fraternité. La scène planétaire est transformée en nouveau champ de
bataille où règne le chaos.
Vers la fin de la guerre froide, le capitalisme a créé une horreur militaire
: la bombe à neutrons, arme qui détruit la vie tout en respectant les
bâtiments. Mais une nouvelle merveille a été découverte à l’occasion de
la quatrième guerre mondiale : la bombe financière. A la différence de
celles d’Hiroshima et de Nagasaki, cette nouvelle bombe non seulement
détruit la polis (ici, la nation) et impose la mort, la terreur et la misère
à ceux qui y habitent, mais elle transforme sa cible en simple pièce dans le
puzzle de la mondialisation économique. Le résultat de l’explosion n’est
pas un tas de ruines fumantes ou des milliers de corps inertes, mais un
quartier qui s’ajoute à une mégalopole commerciale du nouvel hypermarché
planétaire et une force de travail reprofilée pour le nouveau marché de
l’emploi planétaire.
L’Union européenne vit dans sa chair les effets de la quatrième guerre
mondiale. La mondialisation a réussi à y effacer les frontières entre des
Etats rivaux, ennemis depuis des siècles, et les a obligés à converger vers
l’union politique. Des Etats-nations jusqu’à la fédération européenne,
le chemin sera pavé de destructions et de ruines, à commencer par celles de
la civilisation européenne.
Les mégapoles se reproduisent sur toute la planète. Les zones
d’intégration commerciale constituent leur terrain de prédilection. En
Amérique du Nord, l’Accord de libre échange nord-américain (Alena) entre
le Canada, les Etats-Unis et le Mexique précède l’accomplissement d’un
vieux rêve de conquête : « L’Amérique aux Américains ». Les mégapoles
remplacent-elles les nations ? Non, ou plutôt pas seulement. Elles leur
attribuent de nouvelles fonctions, de nouvelles limites et de nouvelles
perspectives. Des pays entiers deviennent des départements de la
méga-entreprise néolibérale, qui produit ainsi, d’un côté, la
destruction/dépeuplement, et, de l’autre, la reconstruction/réorganisation
de régions et de nations.
Si les bombes nucléaires avaient un caractère dissuasif, comminatoire et
coercitif lors de la troisième guerre mondiale, les hyperbombes financières,
au cours de la quatrième, sont d’une autre nature. Elles servent à
attaquer les territoires (Etats-nations) en détruisant les bases matérielles
de leur souveraineté et en produisant leur dépeuplement qualitatif,
l’exclusion de tous les inaptes à la nouvelle économie (par exemple, les
indigènes). Mais, simultanément, les centres financiers opèrent une
reconstruction des Etats-nations et les réorganisent selon la nouvelle
logique : l’économique l’emporte sur le social.
Le monde indigène est plein d’exemples illustrant cette stratégie : M. Ian
Chambers, directeur du Bureau pour l’Amérique centrale de l’Organisation
internationale du travail (OIT), a déclaré que la population indigène
mondiale (300 millions de personnes) vit dans des zones qui recèlent 60 % des
ressources naturelles de la planète. « Il n’est donc pas surprenant que de
multiples conflits éclatent pour s’emparer de leurs terres (...).
L’exploitation des ressources naturelles (pétrole et mines) et le tourisme
sont les principales industries qui menacent les territoires indigènes en
Amérique (1). » Après viennent la pollution, la prostitution et les
drogues.
Dans cette nouvelle guerre, la politique, en tant que moteur de
l’Etat-nation, n’existe plus. Elle sert seulement à gérer l’économie,
et les hommes politiques ne sont plus que des gestionnaires d’entreprise.
Les nouveaux maîtres du monde n’ont pas besoin de gouverner directement.
Les gouvernements nationaux se chargent d’administrer les affaires pour leur
compte. Le nouvel ordre, c’est l’unification du monde en un unique
marché. Les Etats ne sont que des entreprises avec des gérants en guise de
gouvernements, et les nouvelles alliances régionales ressemblent davantage à
une fusion commerciale qu’à une fédération politique. L’unification que
produit le néolibéralisme est économique ; dans le gigantesque hypermarché
planétaire ne circulent librement que les marchandises, pas les personnes.
Cette mondialisation répand aussi un modèle général de pensée.
L’American way of life, qui avait suivi les troupes américaines en Europe
lors de la deuxième guerre mondiale, puis au Vietnam et, plus récemment,
dans le Golfe, s’étend maintenant à la planète par le biais des
ordinateurs. Il s’agit d’une destruction des bases matérielles des
Etats-nations, mais également d’une destruction historique et culturelle.
Toutes les cultures que les nations ont forgées - le noble passé indigène
de l’Amérique, la brillante civilisation européenne, la sage histoire des
nations asiatiques et la richesse ancestrale de l’Afrique et de l’Océanie
- sont corrodées par le mode de vie américain. Le néolibéralisme impose
ainsi la destruction de nations et de groupes de nations pour les fondre dans
un seul modèle. Il s’agit donc bien d’une guerre planétaire, la pire et
la plus cruelle, que le néolibéralisme livre contre l’humanité.
Nous voici face à un puzzle. Pour le reconstituer, pour comprendre le monde
d’aujourd’hui, beaucoup de pièces manquent. On peut néanmoins en
retrouver sept afin de pouvoir espérer que ce conflit ne s’achèvera pas
par la destruction de l’humanité. Sept pièces pour dessiner, colorier,
découper et tenter de reconstituer, en les assemblant à d’autres, le
casse-tête mondial.
La première de ces pièces est la double accumulation de richesse et de
pauvreté aux deux pôles de la société planétaire. La deuxième est
l’entière exploitation du monde. La troisième est le cauchemar d’une
partie désoeuvrée de l’humanité. La quatrième est la relation
nauséabonde entre le pouvoir et le crime. La cinquième est la violence de
l’Etat. La sixième est le mystère de la mégapolitique. La septième, ce
sont les formes multiples de résistance que déploie l’humanité contre le
néolibéralisme.
PIÈCE NUMÉRO 1
CONCENTRATION DE LA RICHESSE
ET RÉPARTITION DE LA PAUVRETÉ
La figure 1 se construit en dessinant un signe monétaire.
Dans l’histoire de l’humanité, divers modèles se sont disputé pour
proposer l’absurde comme marque de l’ordre mondial. Le néolibéralisme
occupera une place privilégiée lors de la remise des médailles. Sa
conception du « partage » de la richesse est doublement absurde :
accumulation des richesses pour quelques-uns, et de besoins pour des millions
d’autres. L’injustice et l’inégalité sont les signes distinctifs du
monde actuel. La Terre compte 5 milliards d’êtres humains : 500 millions
vivent confortablement, 4,5 milliards souffrent de pauvreté. Les riches
compensent leur minorité numérique grâce à leurs milliards de dollars. A
elle seule, la fortune des 358 personnes les plus riches du monde,
milliardaires en dollars, est supérieure au revenu annuel de la moitié des
habitants les plus pauvres de la planète, soit environ 2,6 milliards de
personnes.
Le progrès des grandes entreprises transnationales ne suppose pas
l’avancée des nations développées. Au contraire, plus ces géants
s’enrichissent, et plus s’aggrave la pauvreté dans les pays dits riches.
L’écart entre riches et pauvres est énorme ; loin de s’atténuer, les
inégalités sociales se creusent.
Ce signe monétaire que vous avez dessiné représente le symbole du pouvoir
économique mondial. Maintenant, donnez-lui la couleur vert dollar. Négligez
l’odeur nauséabonde ; cet arôme de fumier, de fange et de sang est
d’origine.
PIÈCE NUMÉRO 2
GLOBALISATION
DE L’EXPLOITATION
La figure 2 se construit en dessinant un triangle
L’un des mensonges néolibéraux consiste à dire que la croissance
économique des entreprises produit une meilleure répartition de la richesse
et de l’emploi. C’est faux. De même que l’accroissement du pouvoir
d’un roi n’a pas pour effet un accroissement du pouvoir de ses sujets
(c’est plutôt le contraire), l’absolutisme du capital financier
n’améliore pas la répartition des richesses et ne crée pas de travail.
Pauvreté, chômage et précarité sont ses conséquences structurelles.
Dans les années 60 et 70, le nombre de pauvres (définis par la Banque
mondiale comme disposant de moins de 1 dollar par jour) s’élevait à
quelque 200 millions. Au début des années 90, leur nombre était de 2
milliards.
Davantage d’êtres humains pauvres et appauvris. Moins de personnes riches
et enrichies, telles sont les leçons de la pièce 1 du puzzle. Pour obtenir
ce résultat absurde, le système capitaliste mondial « modernise » la
production, la circulation et la consommation de marchandises. La nouvelle
révolution technologique (l’informatique) et la nouvelle révolution
politique (les mégapoles émergentes sur les ruines de l’Etat-nation)
produisent une nouvelle « révolution » sociale, en fait une réorganisation
des forces sociales, principalement de la force du travail.
La population économiquement active (PEA) mondiale est passée de 1,38
milliard en 1960 à 2,37 milliards en 1990. Davantage d’êtres humains
capables de travailler, mais le nouvel ordre mondial les circonscrit dans des
espaces précis et en réaménage les fonctions (ou les non-fonctions, comme
dans le cas des chômeurs et des précaires). La population mondiale employée
par activité (PMEA) s’est modifiée radicalement au cours des vingt
dernières années. Le secteur agricole et la pêche sont tombés de 22 % en
1970 à 12 % en 1990, le manufacturier de 25 % à 22 %, mais le tertiaire
(commerce, transports, banque et services) est passé de 42 % à 56 %. Dans
les pays en voie de développement, le tertiaire a crû de 40 % en 1970 à 57
% en 1990, l’agriculture et la pêche chutant de 30 % à 15 % (2).
De plus en plus de travailleurs sont orientés vers des activités de haute
productivité. Le système agit ainsi comme une sorte de mégapatron pour
lequel le marché planétaire ne serait qu’une entreprise unique, gérée de
manière « moderne ». Mais la « modernité » néolibérale semble plus
proche de la bestiale naissance du capitalisme que de la « rationalité »
utopique. Car la production capitaliste continue de faire appel au travail des
enfants. Sur 1,15 milliard d’enfants dans le monde, au moins 100 millions
vivent dans la rue et 200 millions travaillent - ils seront, d’après les
prévisions, 400 millions en l’an 2000. Rien qu’en Asie, on en compterait
146 millions dans les manufactures. Et, dans le Nord aussi, des centaines de
milliers d’enfants travaillent pour compléter le revenu familial ou pour
survivre. On emploie également beaucoup d’enfants dans les industries du
plaisir : selon les Nations unies, chaque année, un million d’enfants sont
jetés dans le commerce sexuel.
Le chômage et la précarité de millions de travailleurs dans le monde,
voilà une réalité qui ne semble pas à la veille de disparaître. Dans les
pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), le chômage est passé de 3,8 % en 1966 à 6,3 % en 1990 ; en Europe,
il est passé de 2,2 % à 6,4 %. Le marché mondialisé détruit les petites
et moyennes entreprises. Avec la disparition de marchés locaux et régionaux,
celles-ci, privées de protection, ne peuvent supporter la concurrence des
géants transnationaux. Des millions de travailleurs se retrouvent ainsi au
chômage. Absurdité néolibérale : loin de créer des emplois, la croissance
de la production en détruit - l’ONU parle de « croissance sans emploi ».
Mais le cauchemar ne s’arrête pas là. Les travailleurs doivent accepter
des conditions précaires. Une plus grande instabilité, des journées de
travail plus longues et des salaires plus bas. Telles sont les conséquences
de la mondialisation et de l’explosion du secteur des services.
Tout cela produit un excédent spécifique : des êtres humains en trop,
inutiles au nouvel ordre mondial parce qu’ils ne produisent plus, ne
consomment plus et n’empruntent plus aux banques. Bref, ils sont jetables.
Chaque jour, les marchés financiers imposent leurs lois aux Etats et aux
groupes d’Etats. Ils redistribuent les habitants. Et, à la fin, ils
constatent qu’il y a encore des gens en trop.
Voilà donc une figure qui ressemble à un triangle, la représentation de la
pyramide de l’exploitation mondiale.
PIÈCE NUMÉRO 3
MIGRATION,
LE CAUCHEMAR ERRANT
La figure 3 se construit en dessinant un cercle.
Nous avons déjà parlé de l’existence, à la fin de la troisième guerre
mondiale, de nouveaux territoires (les anciens pays socialistes) à
conquérir, et d’autres à reconquérir. D’où la triple stratégie des
marchés : les « guerres régionales » et les « conflits internes »
prolifèrent ; le capital poursuit un objectif d’accumulation atypique ; et
de grandes masses de travailleurs sont mobilisées. Résultat : une grande
roue de millions de migrants à travers la planète. « Etrangers » dans un
monde « sans frontières », selon la promesse des vainqueurs de la guerre
froide, ils souffrent de persécutions xénophobes, de la précarité de
l’emploi, de la perte de leur identité culturelle, de la répression
policière et de la faim, quand on ne les jette pas en prison ou qu’on ne
les assassine. Le cauchemar de l’émigration, quelle qu’en soit la cause,
continue de croître. Le nombre de ceux qui relèvent du Haut-Commissariat des
Nations unies pour les réfugiés a littéralement explosé, passant de 2
millions en 1975 à plus de 27 millions en 1995.
La politique migratoire du néolibéralisme a davantage pour but de
déstabiliser le marché mondial du travail que de freiner l’immigration. La
quatrième guerre mondiale - avec ses mécanismes de
destruction-dépeuplement, reconstruction-réorganisation - entraîne le
déplacement de millions de personnes. Leur destinée est d’errer, leur
cauchemar sur le dos, afin de constituer une menace pour les travailleurs
disposant d’un emploi, un épouvantail de nature à faire oublier le patron
et un prétexte pour le racisme.
PIÈCE NUMÉRO 4
MONDIALISATION FINANCIÈRE
ET GÉNÉRALISATION DU CRIME
La figure 4 se construit en dessinant un rectangle.
Si vous pensez que le monde de la délinquance est synonyme d’outre-tombe et
d’obscurité, vous vous trompez. Durant la période dite de guerre froide,
le crime organisé a acquis une image plus respectable. Non seulement il a
commencé à fonctionner comme une entreprise moderne, mais il a aussi
pénétré profondément les systèmes politiques et économiques des
Etats-nations.
Avec le début de la quatrième guerre mondiale, le crime organisé a
globalisé ses propres activités. Les organisations criminelles des cinq
continents se sont approprié l’« esprit de coopération mondial » et,
associées, participent à la conquête des nouveaux marchés. Elles
investissent dans des affaires légales, non seulement pour blanchir
l’argent sale, mais pour acquérir du capital destiné à leurs affaires
illégales. Activités préférées : l’immobilier de luxe, les loisirs, les
médias, et... la banque.
Ali Baba et les 40 banquiers ? Pis. Les banques commerciales utilisent
l’argent sale pour leurs activités légales. Selon un rapport des Nations
unies, « le développement des syndicats du crime a été facilité par les
programmes d’ajustement structurel que les pays endettés ont été
contraints d’accepter pour avoir accès aux prêts du Fonds monétaire
international (3) ».
Le crime organisé compte aussi sur les paradis fiscaux. Il y en a quelque 55
- l’un d’eux, les »les Ca man, occupe la cinquième place comme centre
bancaire et possède plus de banques et de sociétés enregistrées que
d’habitants. Outre le blanchiment de l’argent sale, les paradis fiscaux
servent à échapper aux impôts. Ce sont des lieux de contact entre
gouvernants, hommes d’affaires et chefs mafieux.
Voici donc le miroir rectangulaire dans lequel légalité et illégalité
échangent leurs reflets. De quel côté du miroir se trouve le criminel ? De
quel côté celui qui le poursuit ?
PIÈCE NUMÉRO 5
LÉGITIME VIOLENCE
D’UN POUVOIR ILLÉGITIME ?
La figure 5 se construit en dessinant un pentagone.
Dans le cabaret de la globalisation, l’Etat se livre à un strip-tease au
terme duquel il ne conserve que le minimum indispensable : sa force de
répression. Sa base matérielle détruite, sa souveraineté et son
indépendance annulées, sa classe politique effacée, l’Etat-nation devient
un simple appareil de sécurité au service des méga-entreprises. Au lieu
d’orienter l’investissement public vers la dépense sociale, il préfère
améliorer les équipements qui lui permettent de contrôler plus efficacement
la société.
Que faire quand la violence découle des lois du marché ? Où est la violence
légitime ? Où l’illégitime ? Quel monopole de la violence peuvent
revendiquer les malheureux Etats-nations quand le libre jeu de l’offre et la
demande défie un tel monopole ? N’avons-nous pas montré, dans la pièce no
4, que le crime organisé, le gouvernement et les centres financiers sont tous
intimement liés ? N’est-il pas évident que le crime organisé compte de
véritables armées ? Le monopole de la violence n’appartient plus aux
Etats-nations : le marché l’a mis à l’encan... Si la contestation du
monopole de la violence invoque, non les lois du marché, mais les intérêts
de « ceux d’en bas », alors le pouvoir mondial y verra une agression.
C’est l’un des aspects les moins étudiés (et les plus condamnés) du
défi lancé par les indigènes en armes et en rébellion de l’Armée
zapatiste de libération nationale (EZLN) contre le néolibéralisme et pour
l’humanité.
Le symbole du pouvoir militaire américain est le Pentagone. La nouvelle
police mondiale veut que les armées et les polices nationales soient un
simple corps de sécurité garantissant l’ordre et le progrès dans les
mégapoles néolibérales.
PIÈCE NUMÉRO 6
LA MÉGAPOLITIQUE
ET LES NAINS
La figure 6 se construit en faisant un gribouillage.
Nous avons dit que les Etats-nations sont attaqués par les marchés
financiers et contraints de se dissoudre au sein de mégapoles. Mais le
néolibéralisme ne mène pas seulement sa guerre en « unissant » des
nations et des régions. Sa stratégie de destruction-dépeuplement et de
reconstruction-réorganisation produit, de surcroît, des fractures dans les
Etats-nations. C’est l’un des paradoxes de cette quatrième guerre :
destinée à éliminer les frontières et à unir des nations, elle provoque
une multiplication des frontières et une pulvérisation des nations.
Si quelqu’un doute encore que cette globalisation soit une guerre mondiale,
qu’il prenne en compte les conflits qui ont provoqué l’éclatement de
l’URSS, de la Tchécoslovaquie et de la Yougoslavie, victimes de ces crises
qui brisent les fondements économiques des Etats-nations et leur cohésion.
La construction des mégapoles et la fragmentation des Etats sont une
conséquence de la destruction des Etats-nations. S’agit-il d’événements
séparés ? Sont-ce des symptômes d’une mégacrise à venir ? Des faits
isolés ? La suppression des frontières commerciales, l’explosion des
télécommunications, les autoroutes de l’information, la puissance des
marchés financiers, les accords internationaux de libre-échange, tout cela
contribue à détruire les Etats-nations. Paradoxalement, la mondialisation
produit un monde fragmenté, fait de compartiments étanches à peine reliés
par des passerelles économiques. Un monde de miroirs brisés qui reflètent
l’inutile unité mondiale du puzzle néolibéral.
Mais le néolibéralisme ne fragmente pas seulement le monde qu’il voudrait
unifier, il produit également le centre politico-économique qui dirige cette
guerre. Il est urgent de parler de la mégapolitique. La mégapolitique
englobe les politiques nationales et les relie à un centre qui a des
intérêts mondiaux, avec, pour logique, celle du marché. C’est au nom de
celle-ci que sont décidés les guerres, les crédits, l’achat et la vente
de marchandises, les reconnaissances diplomatiques, les blocus commerciaux,
les soutiens politiques, les lois sur les immigrés, les ruptures
internationales, les investissements. Bref, la survie de nations entières.
Les marchés financiers n’ont que faire de la couleur politique des
dirigeants des pays : ce qui compte, à leurs yeux, c’est le respect du
programme économique. Les critères financiers s’imposent à tous. Les
maîtres du monde peuvent tolérer l’existence d’un gouvernement de
gauche, à condition que celui-ci n’adopte aucune mesure pouvant nuire aux
intérêts des marchés. Ils n’accepteront jamais une politique de rupture
avec le modèle dominant.
Aux yeux de la mégapolitique, les politiques nationales sont conduites par
des nains qui doivent se plier aux diktats du géant financier. Il en sera
toujours ainsi... jusqu’à ce que les nains se révoltent.
Voici donc la figure qui représente la mégapolitique. Impossible de lui
trouver la moindre rationalité.
PIÈCE NUMÉRO 7
LES POCHES
DE RÉSISTANCE
La figure 7 se construit en dessinant une poche.
« Pour commencer, je te prie de ne point confondre la Résistance avec
l’opposition politique. L’opposition ne s’oppose pas au pouvoir, et sa
forme la plus aboutie est celle d’un parti d’opposition ; tandis que la
Résistance, par définition, ne peut être un parti : elle n’est pas faite
pour gouverner, mais... pour résister. » (Tomás Segovia, Alegatorio,
Mexico, 1996.)
L’apparente infaillibilité de la mondialisation se heurte à l’obstinée
désobéissance de la réalité. Tandis que le néolibéralisme poursuit sa
guerre, des groupes de protestataires, des noyaux de rebelles se forment à
travers la planète. L’empire des financiers aux poches pleines affronte la
rébellion des poches de résistance. Oui, des poches. De toutes tailles, de
différentes couleurs, de formes variées. Leur seul point commun : une
volonté de résistance au « nouvel ordre mondial » et au crime contre
l’humanité que représente cette quatrième guerre.
Le néolibéralisme tente de soumettre des millions d’êtres, et veut se
défaire de tous ceux qui seraient « de trop ». Mais ces « jetables » se
révoltent. Femmes, enfants, vieillards, jeunes, indigènes, écologistes,
homosexuels, lesbiennes, séropositifs, travailleurs, et tous ceux qui
dérangent l’ordre nouveau, qui s’organisent et qui luttent. Les exclus de
la « modernité » tissent les résistances.
Au Mexique, par exemple, au nom du Programme de développement intégral de
l’isthme des Tehuantepec, les autorités voudraient construire une grande
zone industrielle. Cette zone comprendra des « usines-tournevis », une
raffinerie pour traiter le tiers du brut mexicain et pour élaborer des
produits de la pétrochimie. Des voies de transit interocéaniques seront
construites : des routes, un canal et une ligne ferroviaire transisthmique.
Deux millions de paysans deviendraient ouvriers de ces usines. De même, dans
le sud-est du Mexique, dans la forêt Lacandone, on met sur pied un Programme
de développement régional durable, avec l’objectif de mettre à la
disposition du capital des terres indigènes riches en dignité et en
histoire, mais aussi en pétrole et en uranium.
Ces projets aboutiraient à fragmenter le Mexique, en séparant le Sud-Est du
reste du pays. Ils s’inscrivent, en fait, dans une stratégie de
contre-insurrection, telle une tenaille cherchant à envelopper la rébellion
anti-néolibérale née en 1994 : au centre, se trouvent les indigènes
rebelles de l’Armée zapatiste de libération nationale.
Sur la question des indigènes rebelles, une parenthèse s’impose : les
zapatistes estiment que, au Mexique, la reconquête et la défense de la
souveraineté nationale font partie de la révolution antilibérale.
Paradoxalement, on accuse l’EZLN de vouloir la fragmentation du pays. La
réalité, c’est que les seuls à évoquer le séparatisme sont les
entrepreneurs de l’Etat de Tabasco, riche en pétrole, et les députés
fédéraux originaires du Chiapas et membres du Parti révolutionnaire
institutionnel (PRI). Les zapatistes, eux, pensent que la défense de l’Etat
national est nécessaire face à la mondialisation, et que les tentatives pour
briser le Mexique en morceaux viennent du groupe qui gouverne et non des
justes demandes d’autonomie des peuples indiens.
L’EZLN et l’ensemble du mouvement indigène national ne veulent pas que
les peuples indiens se séparent du Mexique : ils entendent être reconnus
comme partie intégrante du pays, mais avec leurs spécificités. Ils aspirent
à un Mexique rimant avec démocratie, liberté et justice. Si l’EZLN
défend la souveraineté nationale, l’armée fédérale mexicaine, elle,
protège un gouvernement qui en a détruit les bases matérielles et qui a
offert le pays au grand capital étranger comme aux narcotrafiquants.
Il n’y a pas que dans les montagnes du Sud-Est mexicain que l’on résiste
au néolibéralisme. Dans d’autres régions du Mexique, en Amérique
latine,
aux Etats-Unis et au Canada, dans l’Europe du traité de Maastricht, en
Afrique, en Asie et en Océanie, les poches de résistance se multiplient.
Chacune a sa propre histoire, ses spécificités, ses similitudes, ses
revendications, ses luttes, ses succès. Si l’humanité veut survivre et
s’améliorer, son seul espoir réside dans ces poches que forment les
exclus, les laissés-pour-compte, les « jetables ».
Cela est un exemple de poche de résistance, mais je n’y attache pas
beaucoup d’importance. Les exemples sont aussi nombreux que les résistances
et aussi divers que les mondes de ce monde. Dessinez donc l’exemple qui vous
plaira. Dans cette affaire des poches, comme dans celle des résistances, la
diversité est une richesse.
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