Jongleries insomniaques.


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Message Posté le: Mer Mar 23, 2011 00:44 am    Sujet du message: Jongleries insomniaques.
Ce topic a pour toute vocation d'être une poubelle. Régulièrement nourrie.


Bataille l'exprimait si bien - il ne fut ni le premier, ni le seul ! - : écrire, c'est toujours, ou presque, vouloir se délivrer de quelque chose. Quelque chose de visqueux, quelque chose de sordide, quelque chose de sale. On voudrait bien se purifier, en écrivant, on voudrait bien mais chaque fois, cela revient, pestilentiel.

Je te tue, tu repousses.

Je te chie, mais j'ai faim.

Et toujours, ça recommence, chaque fois ça reflue, on n'en finit jamais de produire jugement sur jugement, regret sur regret, de commenter les actualités. On n'en finit jamais de mettre en route la parlotte nauséabonde, celle qui rend tout acte impossible et trace en étriquant nos perceptions le dessin tortueux de notre labyrinthe.

Si je parvenais à ne plus produire un seul mot... si le silence se faisait... alors, alors peut-être je pourrais faire quelque chose de signifiant. Alors peut-être je cesserais d'errer dans ces couloirs interminables jalonnés de déceptions, peut-être une clarté, même fulgurante, viendrait me dire où diable je dois bien aller.

Qu'est-ce que j'attends ?

Il est là, dans le creux de ma main, l’œuf d'un petit phœnix. Le coup de feu qui dynamiterait le reste. A-t-on besoin d'impeccables mains pour se faire exploser, tout simplement ? Pour se donner, comme Langlois, les "dimensions de l'univers" ? A-t-on besoin d'être parfait pour sentir en soi remuer le semblant suffisant de nécessité qui susurre à la fleur : "Pousse !" et qui, contre l'hiver, parfois, la fait fleurir ?

Écrevisse ignorante, je mange. Je mange et je chie en attendant, en y pendant. Gageons que l'or est dans l'ordure et qu'il faut l'y chercher. Gageons que sans la nuit, il n'y aurait point d'aube... et gageons que le coq un jour annoncera la venue du phœnix.
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Message Posté le: Jeu Mar 24, 2011 00:47 am    Sujet du message:
Qu'est-ce que je veux ?
Qu'est-ce que je fais ?
Qu'est-ce que je goûte ?

J'ai couru tant et tant après des multitudes qu'aujourd'hui, les mains pleines, je sais sans rien connaître. Il aurait fallu naître. Apprendre à écouter. Rester assise des heures, vivre en silence auprès.

La précipitation recherche tant le bruit... c'est là tout le problème.

Alors on a couru, on a ingurgité et englouti. Oui, je dis "on" de honte ou bien de confusion. Je ne sais pas vraiment si j'étais moi, à cette époque. Bien sûr, je le croyais mais en cet instant même, je doute d'être moi.

Le bon vin que tu bois, en ouvrant sa bouteille, à l'instant même où le bouchon ôté a laissé l'air entrer, tu l'as créé en le tuant. Jamais il n'avait eu ce goût, cette couleur ou cette robe, tout aurait dû changer, imperceptiblement, dans le secret de la bouteille scellée or en l'ouvrant, tu as stoppé sa vie. Tu l'as goûté et tu as dit : "Ce vin est bon !" ou "Ce vin est mauvais !" et ainsi pour toujours son nom a pris un sens. On ne se rappellera de lui que cet instant de mise à mort et de consécration. Quand il quitta la scène pour des coulisses organiques.

Ainsi j'attends le jour de ma mort pour parler de moi. Un bon miroir est endeuillé et seuls les imbéciles écrivent eux-mêmes l'épitaphe. Qui sait ce que la mort fera de nous ? D'ailleurs, il serait sot de dire "mon épitaphe"... Une fois enterré, elle appartient au monde plus qu'à celui qu'elle commente et clôt. Ah, cette identité nous fuit en déployant de si vilaines ruses... tandis que le nom, impassible, ignore les changements.

Images de la perfection.


Dernière édition par Invité le Jeu Mar 24, 2011 21:29 pm; édité 3 fois
Nitiya fusion
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Message Posté le: Jeu Mar 24, 2011 00:59 am    Sujet du message:
faut pas trop forcer sur la sauge
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Message Posté le: Jeu Mar 24, 2011 08:24 am    Sujet du message:
Non, ça fait bien longtemps que je n'en ai pas consommé, quoique ce soit divin ! Wink
lililule
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Message Posté le: Jeu Mar 24, 2011 10:29 am    Sujet du message:
Cacocalie a écrit:
Ah, cette identité nous fuit en déployant de si vilaines ruses... tandis que le nom, impassible, ignore les changements.

Images de la perfection.


Mais il n'ignore pas les interprétations. Il y a toujours plus à faire avec le présent et le futur.
Romulus
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Message Posté le: Jeu Mar 24, 2011 19:57 pm    Sujet du message:
Cacocalie a écrit:
D'ailleurs, il serait sot de dire "mon épitaphe"... Une fois enterré, elle appartient au monde plus qu'à celui qu'elle commente et clôt.

Tiens j'ai bien aimé cette phrase Razz

C'est l'insomnie qui te fait écrire comme ça?
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Message Posté le: Ven Mar 25, 2011 01:28 am    Sujet du message:
Romulus a écrit:
C'est l'insomnie qui te fait écrire comme ça?

Oui. Écrire me rassure. J'écris toujours ou presque avant de dormir. Même sur mon téléphone, parfois. Sinon, je passe trois quarts d'heure à me retourner.

C'est important pour moi, au moins une fois dans la journée, de sortir les choses telles que je les pense et non telles que je les crois audibles ou lisibles. Mais on repart dans de l'autobiographique... Désolée pour cette réponse bidon.

-------------------------------------------------

4'33".

Faut-il être fou ? On appelle les livres de pages blanches des cahiers. On s'en sert pour déclamer, le menton relevé, d'absurdes métaphores, en guise de formule magique, en guise de rite acceptable ; tu dois écrire le livre de ta vie, noircis les pages de notre histoire, et patati et patata. <insipide poésie de supermarché, Ben en a fait son beurre à la joie des bobos...>

Remplir, engrosser, souiller. Il faut tout bien remplir, sans dépasser les lignes, puisque l’œil humain ne sait plus qu'être un facteur de lignes et de surfaces. En saturant l'espace, nous avons prévenu tout risque de méditation... Le bruit de nos visions nous dit qu'il faut payer des cours de yoga, des psychothérapies pour apprendre à ne plus rien voir, à ne plus rien penser. Le vide disparu, ou presque, la conscience de la vacuité devient un truc de riches. Quant à la vacuité elle même... Rien n'y fait ; elle est bien là, dessous le bruit, et son quasi-fantôme nous pousse à l'arrêt maladie. Tôt ou tard.

Frontières et territoires ont envahi l'espace, et pour parfaire ce déni universel de tout déterminisme naturel, bientôt le microcosme comme le macrocosme auront été conquis. Aussi...
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Message Posté le: Dim Mar 27, 2011 02:21 am    Sujet du message:
J'étais dans la voiture, au fond. Un hypermarché, un grand parking - nous repartions.

Un homme, dans une partie inutilisée de ce parking, debout, étrangement vêtu. Même de loin, il a l'air d'un beauf. Je ne le vois qu'une fraction de seconde mais il me semble qu'un bout de chair point au niveau de son ventre. Je crois ou j'imagine qu'il se masturbe, comme ça, en plein air. Qu'est-ce qu'il se passerait sinon ?

Puis mes pensées se braquent sur mon voisin - je ne sais pas pourquoi, cet homme m'y fait penser. Et là, sans vraiment savoir pourquoi non plus, je me dis qu'au fond, les fachos sont juste des gens qui aiment bien pouvoir identifier ce qu'ils ont face à eux. C'est ça qui les fâche, je crois ; de ne pas s'y retrouver, de ne pas savoir à qui ils ont affaire. La perte des repères, l'impossibilité de se situer, de se projeter un peu au-delà.

A bien regarder, les stéréotypes, ce sont surtout des généralisations. Ça part d'un sentiment très compréhensible... Chercher du sens. Rendre cohérence, systématisme, à cette jungle qu'est le réel. Toujours brouillé par les désirs - nombreux, inavoués, déçus, tronqués, vaincus, réalisés, sublimés...

La pensée miracle contre le racisme et contre toute forme de discrimination : apprendre aux gens à accepter la non-classification. Le vague. Le flou. Ou l'inconfort.

Dans la voiture, cette succession de pensées a duré moins d'une minute. Je me suis dit ensuite que j'aurais mieux fait de "me taire".

Moi qui recherchais l'inconfort psychologique, de mon gré, je n'ai atteint qu'un tout petit niveau de folie, et puis j'ai rebroussé chemin. Alors, des gens qui n'en ont surtout pas envie, qui lutteront contre cela... des gens qui veulent juste être tranquilles. Ceux qui trouvent qu'Electre est une femme à problèmes... ces gens-là n'accepteront jamais la folie, même à petite dose. Ils ont trop peur de se tromper, parce que la vérité existe pour eux.

C'est émouvant en fait. Ça me rappelle les lumières dorées et pastels de mon enfance. Sweet memories et puis... voilà. Il y a eu le reste de l'arc-en-ciel.

Des fois je me demande ce que je rate de la vie en étant pas le voisin de mes parents : Joe, 27 ans, skinhead, raciste par principe, buveur de kro et garagiste au black, aussi. Casé à une fille du village, un gosse. A longtemps vécu du RMI. Comment c'est dans sa tête glabre ? Est-ce qu'il voit des couleurs que je ne connais pas ? ...


Trouver juste un peu de silence... Dormir.
http://www.youtube.com/watch?v=BYJwHFauN_U
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Message Posté le: Lun Mar 28, 2011 00:14 am    Sujet du message:
Soudain, on se sent vieux...

«C'est toujours l'même disque. Mes p'tites odalisques.»


L'amour... L'amour est semblable au soleil.

Au matin, il éveille un nombre inattendu d'habitants de nos mondes et dans le brouillard printanier, c'est comme une merveille de découvrir autant de petits êtres magnifiques, vifs, différents. Le frimas de la Nuit sur les moustaches du renard se change en perles de rosées et c'est ainsi partout ; les arbres qu'on avait toujours vus là se couvrent de diamants éphémères. L'éblouissant matin... Sur ses coussins numineux flotte un soleil tout rouge, le ciel en devient rose et violet.

Puis vient midi, l'heure à laquelle les ombres se cachent sous les corps. L'heure à laquelle tout s'est dissipé des brumes. A quelle heure est-il plus difficile de penser qu'à celle-ci, quand il tape sur nos têtes et qu'on ne peut pas le regarder droit dans l’œil ? Indécence de la clarté, l'amour a fleuri dans une forme impossible. Qui soutiendrait la vision de cette boule de flammes, quel fou irait chercher la cécité à l'affronter ? Nul ne le fait jamais. C'est juste l'heure de faire bonne chaire et de dormir, un peu, sans se soucier de rien. Rassasions-nous, le soleil est trop haut mais jouissons de sa chaleur.

Enfin viennent les vêpres et de nouveau, on peut le regarder. On peut suivre sa route, il est si bas. Il disparaît. Il meurt à l'ouest, à la bifurcation du sentier - un chemin mènera à d'autres soi plutôt qu'à l'autre. Il faut bien de la Nuit et il faut bien du froid pour apprécier demain de faire bonne chaire et de cuire au soleil, tout bête qu'on sera. Il faut bien qu'il se couche, pour qu'on admire encore ces traînées rouges, somptueuses, le rouge avant le noir.

A l'aube nous guérirons des «nous».


Parfois, quand je repense à ceux que j'ai appelés «Toi», je sens, mêlés à toute la nostalgie, les battements joyeux du cœur qui a tambouriné pour eux et ce cœur me ramène aux battements de l'existence. Naître, fleurir et puis mourir enfin, pour renaître demain. Nous fûmes un sursaut de vie et le bruit de la mer lui fait écho... Toi, ma marée haute, et lui, la suivante !

Et je m'en vais, dans le désert, dans la nuit noire, vivre ma marée basse en attendant, sourire aux lèvres, mon prochain amour ; quelque avatar du vent. Saluant ce passé dont le ciel a rougi.
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Message Posté le: Mar Avr 05, 2011 01:28 am    Sujet du message:
Pour ses solitudes palpables.


J'ai tant aimé en l'air que dans la nuit, dans le
Silence obscur qui me retient comme une chaîne,
Je me vois moi, piano désaccordé sans haine
Prêt à souffler sur vous des poussières bleues.

Je me vois moi, piano désaccordé, Géhenne
Des espoirs enfouis, là, dans ce faux requiem
Dans une fausse note, impossible baptême
Moi qui aimai en l'air et que la nuit malmène.



Le temps a suspendu son vol. Ainsi réalisé le vœux du stupide poète, de cet insatisfait qui voulait que le monde s'accordât à lui et qui, vexé, le bouda sans cesser pour autant d'y gémir, nous voilà arrêtés, au creux de la Nuit.

Le vent porte le son d'une locomotive, de sa puissante cheminée ; on voit encore quelques nuages blancs, vestiges mélancoliques des fureurs passées. Dire qu'elle menaçait d'exploser. Dire qu'elle nous causait des frayeurs, des frayeurs si sucrées, à faire bouillir le sang. Dire que tout cela est révolu, qu'il n'y a plus d'ennemi, plus de prétexte pour se mettre en colère.

La Dame du Lac s'est noyée. A moins qu'elle ne dorme. Pourrions-nous la réveiller ? Réfléchissons sans bruit, nous pourrions bien la déranger.

Réfléchissons, les yeux fixés sur ce nuage qui nous dit "Autrefois" et qui finira bien par nous faire mourir de faim.
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Message Posté le: Mer Avr 06, 2011 00:47 am    Sujet du message:
Certains amours sont comme des feux de paille : ça prend très vite, ça fait de hautes flammes et au final, ça pue.
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Message Posté le: Mer Avr 06, 2011 00:57 am    Sujet du message:
C'est certain.
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Message Posté le: Mer Avr 06, 2011 08:13 am    Sujet du message:
Je ne trouve pas que ça sente mauvais un feu de paille. Mais on compense chacun à sa manière la déception que cette flambée pourtant si bien partie retombe plus vite qu'un soufflé. Mais il reste que, même brêve, c'était une belle flambée.
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Message Posté le: Mar Avr 19, 2011 00:23 am    Sujet du message:
Dans le silence ou dans des pluies de mots, je sentais mes pupilles s'élargir tandis qu'il me parlait et que me revenaient les souvenirs d'avant. Dans la pluie de ses mots - dans mon silence épais, enflé de résonances ; nos regards se croisant voulaient-ils se mentir ? Je n'en suis pas si sûre mais il me semble bien qu'ils n'ont pas voulu prendre cette peine.

Quand ses yeux ont glissé de ma nuque à mes seins, j'ai senti comme hier - sur mon ventre posée cette main paternelle qui me serrait si fort, qui me serrait tandis que l'autre autour du cou resserrait son étreinte...

Il sentait très bon tout à l'heure, en plus d'avoir bien meilleure mine. J'en ai presque oublié où nous étions ; plus encore que la dernière fois, les fleurs ont pris des couleurs différentes, neuves. Les fleurs ont rarement eu ce relief, cette subtilité extrême. Il a perdu beaucoup de temps à prendre une douche et il a veillé pourtant à remettre des vêtements sales. Mignon, comme il veut retrouver sa dignité incognito. Ni vu ni connu, j'étais pas si sale, quand tu es arrivée ! - Il sait très bien pourtant que l'odeur de sa peau me plaît, que sous les parfums, je la cherche, il sait... Veut-il s'en souvenir ?

J'attends encore l'hiver de ses malaises. D'ici là, Churchill s'invite avec Roméo et Juliette et il faut bien patienter. Quelques mois, sans doute. D'ici là, il me tremblera plus du tout.
Souki
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Message Posté le: Jeu Nov 17, 2011 05:18 am    Sujet du message:
Solitude enfermée dans une nuit sans astre
La dispersion errait, vaste nuée de spectres ;
Robinson crut zoé la ménie saisonnière ;
Le despote oublié règne sur un désert ;
Et moi, qui m'aimera ? Qu'ai-je fait de ces eaux ?
Souki
Modératrice


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Message Posté le: Sam Nov 19, 2011 03:36 am    Sujet du message:
Omar Khayam. Giordano Bruno. Le brio même.

Je me demande parfois – souvent – ce qui peut pousser un homme ou une femme à se laisser hisser au-delà du commun. Ont-ils joué les funambules ? Ont-ils senti la terre ferme sous leurs pas ?

Le doute me transperce, me cloue, me ronge alors que c'est beau, une pensée. Lire un livre, c'est un travail de jardinier ; on observe, étape par étape, la naissance de ramifications nécessaires, harmonieuses. Ça se développe, et l'arbre est là. Un arbre qui aura poussé par le haut, en dix jours, jusqu'à se faire un fondement. Jusqu'à donner à la pensée une Présence.

Ces édifices de mots utilisent le matériau même de la pétrification et malgré tout, ils prennent vie, plus sauvagement que quoi que ce soit d'autre. Alors, je me demande si ces hommes qu'on appelle des auteurs étaient, comme leur œuvre, portés par l'évidence ou s'ils ont douté. Comme moi je doute tant.

La forêt de béton qui me fait face à des allures factices. Je n'aime pas trop sa dégaine de mirage, tout ça est trop solide et des fois trop mouvant. On a beau chercher un sens, vouloir construire un quelque chose qui donne des raisons de faire sans réfléchir plus jamais, l'emmerdant c'est la vie, les sentiments qui tapissent l'intérieur de ces monstruosités de béton, l'emmerdant c'est qu'il y a, dedans, des cœurs qui battent et qui tous ensemble s'unissent pour animer la matière, lui conférer son unité. Au sacrifice de la mienne...

À moins que l'emmerdant ce soit la tête qui choisit pour se justifier la négation de son choix, pour assurer sa domination.

Maudite tête, si je te perdais, j'y verrais bien plus clair.
Souki
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Message Posté le: Lun Nov 21, 2011 02:55 am    Sujet du message:
«Quand la nuit tombe et qu'il est loin de moi, je me dis que mes seins ne servent plus à rien. Je l'imagine seul. Je me demande ce qu'il fait de ses bras, de ses lèvres ou bien de sa beauté. Les range-t-il dans un placard ? C'est qu'il n'a pas ma paresse, lui. L'idée me fait sourire mais que sait-on d'Ailleurs ? Peut-être que les autres font cela. Peut-être qu'ils habitent tous ensemble et qu'ils s'endorment blottis les uns contre les autres ?

– Peut-être qu'ils n'habitent pas du tout. Qu'ils disparaissent après avoir franchi la ligne d'horizon ?

– Oh. Pas tous, quand même ? Pas lui ?!

– Et pourquoi pas ?

– Il faudrait alors que j'habite une plaine, ou mieux, le sommet d'une montagne, pour les garder bien en vue, tous. Mon horizon lointain protègerait tous ceux que j'aime du néant d'Ailleurs. Ils pourraient vivre tout le temps.

– Et ceux que tu n'aimes pas ?

– Ils me font peur ici, dans la forêt, mais...

– Balivernes et conte à dormir debout. Tu parles comme si tu connaissais la fin. Je reviendrai mais pour tromper l'ennui.
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Message Posté le: Jeu Nov 24, 2011 04:22 am    Sujet du message:
- Ils me font peur dans la foret mais si nous avons faim, un soir, nous pourrons bien tous les manger. Il ne restera plus alors que ceux que j'aime et nous serons heureux, toujours, ensemble.

- Et vous vous mangerez après, toi et tes savoureux amis ?

- Non, nous serons heureux !»

L'enfant s'entêta si longtemps qu'il en devint adulte. Un jour, un vieillard lui cassa le nez à coups de canne et lui hurla dessus : «Il repoussera mieux ! On ne t'a jamais dit que certains détours sont des raccourcis ?». Et puis il s'en alla, parce que, si vieux, ils doivent choisir entre leurs vieux souvenirs et de nouveaux. Or ce vieux-là préférait vivre en boucle sa vie de vieux plutôt que de poursuivre sur la ligne une expérience sénile.
Souki
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Message Posté le: Ven Nov 25, 2011 05:08 am    Sujet du message:
Le vieillard s'en alla et le bonhomme resta bien en place, immobile au centre de son paradis de miettes. Un jour, une meunière passa par là et le fixa. Elle avait les joues toutes roses et la démarche sautillante, elle lui dit :

«Bonjour, je suis Elise ! Et toi, comment t'appelles-tu ?»

Il la fixa sans trop comprendre et à son tour, ses joues rosirent. Après un long silence, il finit par lui avouer :

«Je crois que je n'ai pas de nom. C'est très curieux, je n'y avais jamais pensé. Ça fait comment, d'avoir un nom ?

- Je ne sais plus, j'ai oublié.

- Mais tu as bien un nom !

- C'est que j'en ai plusieurs ! Mes parents ont eu de très nombreux enfants, alors ils ont bien dû nous accorder un petit quelque chose, pour nous différencier les uns des autres. On l'appelait alors Marie-la-grande II. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Et puis j'entendais tous les jours, mais surtout dans la nuit, le vent appeler une Elise. Je ne comprenais pas alors j'ai demandé aux gens qui était cette Elise qu'appelait le vent. Les gens se sont moqués, parce qu'il paraîtrait que le vent ne parle pas. C'est idiot, non ?

- Je crois que je n'ai jamais entendu parler le vent...

- C'est qu'en voyant tes jolis yeux, j'ai cru que tu entendais toutes ces choses qu'il raconte... Ils se sont mis à m'appeler Anémone, et ils ont commencé à parler de moi, souvent. Quand ils voulaient rire ou bien parler d'un fou, surtout. C'est comme ça que j'ai compris que personne n'écoutait le vent, moi mise à part. Donc c'était moi qu'il appelait. Je suis fille de meuniers, après tout !

- Tu lui as parlé, au vent ?

- Bien sûr ! Il m'a demandé de le suivre, alors je suis partie. Le vent m'a fait un enfant. Mes parents, qui n'ont pas vraiment de mémoire, l'appellent Marie-la-grande II. Ils ne se sont aperçus de rien mais j'ai pu m'en aller.

-Et les gens du village ? N'ont-ils rien remarqué ?

- Bien avant mon départ, ils avaient oublié qui était Anémone !
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Message Posté le: Lun Nov 28, 2011 02:01 am    Sujet du message:
- Oubliée ?! Mais tu vivais pourtant là-bas !

- C'est qu'un petit garçon est mort, quelques semaines après que j'aie parlé du vent. Il n'est pas mort n'importe comment, il a été assassiné. D'abord on a parlé de lui, avec beaucoup de peine et puis on a trouvé son assassin. Et de lui, on a parlé encore plus longtemps, mais avec haine, cette fois. On l'a jugé pour pouvoir en parler un peu plus longtemps – imagine un peu, un meurtrier, c'est formidable ! Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de haïr aussi tranquillement ! On te l'a fait durer aussi longtemps que possible, en lui posant cent mille questions. On n'avait jamais pu décortiquer un homme comme ça, on s'y est mis tous ensemble. Des fois, on ne savait plus du tout quoi lui dire et on sentait qu'on allait bientôt devoir s'en détacher, et parler d'autre chose. Alors quelqu'un trouvait quelque chose, même absurde. La taille immense de ses mains, les rapports qu'il avait avec sa mère, les plats qu'ils aimait prendre le matin, tout, tout, tout y est passé !

- Et quand il n'y a plus rien eu à dire ?

- Eh bien, ce fut terrible ! Tu comprends, tout le monde était tellement curieux de lui, on s'y était attaché. Et puis, pendant ce temps, tout le monde s'est aimé sans problème. C'est là que j'ai eu mon enfant, personne ne l'a vu ! On savait bien que sans le monstre, tout le monde recommencerait à surveiller tout le monde sans faire exister personne. On était triste d'avance mais on l'a lapidé.

- Pourquoi le lapider ? C'est horrible !

- On l'a fait parce qu'on en avait le droit ! Et puis le bourreau avait un rhume, ce jour-là...

- Et vous n'avez plus parlé de lui, ensuite ?

- Oh, si, quelques fois... Un assassin, ça ne s'oublie pas. Quand je suis partie, on entendait encore beaucoup son nom.»

Ce mot lui rappela que lui n'en avait pas. Il fronça les sourcils et pensa que peut-être, on l'avait oublié. «Ce serait bien fâcheux que l'on m'oublie, moi qui suis resté planté là, au sommet de ma colline, pour eux... Il faut que je me trouve un nom et que les autres s'en souviennent !»

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