chiron
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Posté le: Mar Déc 14, 2010 01:09 am Sujet du message: Petite piqure d'Epicure
Bonjour à tous,
A cheval entre la Philo et l'Histoire, je vous propose ici de discuter
d'Epicurisme.
Tout d'abord, en voici les quelques règles de base via le quadruple-remède
(tetrapharmakon)
on ne doit pas craindre les dieux ;
on ne doit pas craindre la mort ;
le bien est facile à atteindre ;
on peut supprimer la douleur.
« Et maintenant y a-t-il quelqu’un que tu mettes au-dessus du sage ? Il
s’est fait sur les dieux des opinions pieuses ; il est constamment sans
crainte en face de la mort ; il a su comprendre quel est le but de la nature ;
il s’est rendu compte que ce souverain bien est facile à atteindre et à
réaliser dans son intégrité, qu’en revanche le mal le plus extrême est
étroitement limité quant à la durée ou quant à l’intensité ; il se
moque du destin, dont certains font le maître absolu des choses. »
Epicure est né à Athènes en -343. Sa philosophie prône le contentement (de
ses avoirs, de son état affectif, de son rang social) et la vie communautaire
entre amis, dans un site agréable et dans un bonheur stable.
Que pensez-vous donc de cette divine philosophie ?
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Gelmah de Rothmir
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Posté le: Mar Déc 14, 2010 02:53 am Sujet du message:
De droit on ne peut qu'être d'accord mais de fait il faudrait que l'on rompe
avec la société de consommation et le capitalisme en général.
Cela dit, quant aux dieux et à la mort ce sont des points amplement
applicables.
Sa démonstration sur la stupidité de la peur de la mort m'avait
époustouflé de simplicité et en même temps de pertinence : En gros, il ne
faut pas avoir peur de la mort car lorsqu'on sera mort on n'aura plus de
perception et donc on ne percevra pas qu'on est mort puisque notre corps et
notre esprit ont été anéantis. La dernière perception que l'on a est une
perception vivante.
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Invité
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Posté le: Mar Déc 14, 2010 12:51 pm Sujet du message:
Se contenter du nécessaire, sans excès. Ce que je suis tout bonnement
incapable de faire. Je me dirigerais d'avantage vers l'hédonisme...
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mikee
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Posté le: Mar Déc 14, 2010 13:19 pm Sujet du message:
Je pousse mon besoin de satisfaction à l'excès.
En fait, j'aime le désir d'être satisfait de divers manières, car cela
contribue à mon bien-être, en dépit d'autres facteurs (mon porte-monnaie,
mes poumons, mon foie...), et me permet de me sentir vivant. Contradictoire et
stupide je sais, mais j'y peux rien c'est ma façon d'être.
Ceci dit, j'ai un profond respect pour ceux qui adoptent ce principe dans la
vie de tous les jours. Malheureusement, je n'ai pas vocation à vivre heureux
avec une vie simple, j'en sortirais frustré.
Par contre Chiron, je serais plutôt curieux de savoir si tu suis ce principe
philosophique ...
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Criterium
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Posté le: Mar Déc 14, 2010 16:05 pm Sujet du message:
Ces règles de bases, comme tu les appelles, sont extrêmement difficiles à
suivre ; certaines constituent à elles seules déjà l'aboutissement de
certaines démarches mystiques, comme supprimer la peur de la mort, ou
supprimer la douleur. — Car autant, comme Gelmah le dit, comprendre par l'intellect que la peur de la mort n'est
pas nécessaire (et donc potentiellement nuisible), c'est aisé (et encore) ;
autant le comprendre physiquement,
c'est-à-dire en être intimement persuadé, c'est très difficile. Je n'ai
jamais rencontré personne, ni eu vent de personne — à part des héros
mythiques — qui ait vaincu sa peur de la mort ou de la douleur. Il paraît
que pour le premier cas, certaines personnes ayant vécu une expérience de
mort imminente et une sorte d'éveil mystique à cette occasion auraient
réussi, et dans le second, certains conditionnements mentaux peuvent réussir
(cf. certains yogis, ou pratiquants d'okinawa-te, etc.).
Ensuite, le bien étant facile à atteindre et le mal réduit, tout cela
dépend de toute manière en premier lieu de ce que l'on appelle le bien ou le
mal, deux notions qui me semblent trop arbitraires pour que cela signifie
quelque chose. Au moins sans le contexte de ce que signifiait bien et mal pour
Épicure — (ne peut-on pas retrouver dans les textes quel mot a été
traduit par "bien"? car j'ai à l'esprit cette traduction pratiquement abusive
que l'on fait de ἡ ἀρέτη en le traduisant par
"vertu"...).
Somme toute, tout cela sont de biens grands mots si l'on souhaite évoquer,
plutôt, le contentement (de ses avoirs, de
son état affectif, de son rang social) et la vie communautaire entre amis,
dans un site agréable et dans un bonheur stable.
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chiron
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 01:00 am Sujet du message:
Gelmah de Rothmir a
écrit: | Sa démonstration sur
la stupidité de la peur de la mort m'avait époustouflé de simplicité et en
même temps de pertinence : En gros, il ne faut pas avoir peur de la mort car
lorsqu'on sera mort on n'aura plus de perception et donc on ne percevra pas
qu'on est mort puisque notre corps et notre esprit ont été anéantis. La
dernière perception que l'on a est une perception
vivante. |
Tu pourrais nous retrouver le texte et nous le poster ici? Je suis sûr que
les ateliers d'éducation ouverts auraient plu à Epicure .
mikee a
écrit: | Je pousse mon besoin de
satisfaction à l'excès.
|
Hybris que cela! Attention à la démesure qui empêche le bonheur!
Citation: |
Par contre Chiron, je serais plutôt curieux de savoir si tu suis ce principe
philosophique ... |
C'est la philosophie dont je suis le plus proche. Le quadruple remède n'est
pas simplement pour moi une ligne directrice à suivre mais fait partie de ma
nature. Donc je n'ai aucun mérite à appliquer ces règles car je ne fais
aucun effort.
Par contre tout comme toi, j'ai des problèmes avec l'hybris (mes passions qui
m'emportent quelquefois) et dois faire des efforts pour ma Dikè (sens de la
mesure, de la morale et de la justice).
Sinon j'aime bien l'idée d'une école philosophique où l'on peut vivre sa
philosophie entre amis et où la quête philosophique devient un plaisir
partagé. néanmoins, "La morale épicurienne n’est en aucune manière un
ascétisme. S’il faut «vivre de peu», c’est afin de ne pas souffrir
d’un manque en cas de revers de fortune, mais afin que si l'abondance nous
manque, nous sachions nous contenter du peu que nous aurons".
Citation: |
Lectures suivies (oral bac) - Épicure - Lettre à Ménécée
Traduction de Jean Salem (recherche google sur ce critère voue renvoie à
l'étude)
" |
Criterium a
écrit: | Ces règles de bases,
comme tu les appelles, sont extrêmement difficiles à suivre ;
|
Comme dit plus haut, cela ne m'est vaiment pas difficile.
Citation: |
certaines constituent à elles seules déjà l'aboutissement de certaines
démarches mystiques, comme supprimer la peur de la mort,
|
Pas si tu cherches à diminuer la souffrance des vivants. Les morts sont
morts, mais les vivants souffrent et donc ont besoin de toi. Par exemple, mon
beau-frère est mort il y a un mois et c'était un chouette copain. Mais
plutôt que de pleurer sur lui (et au final sur moi), j'ai préféré
organiser la cérémonie avec les deux familles, éviter les souffrances,
permettre la communion de ses proches et amis et désormais gère la
succession. Ce n'est pas que je sois insensible, mais lui-même aurait
préféré que je m'occupe de sa famille plutôt que de mon chagrin.
Quant à ma mort je la souhaire douce mais ne la redoute pas: je ne serais
plus embêté par des fâcheux et pourrais enfin dormir mon content.
D'ailleurs j'ai déjà prévu des cartes de voeux post-mortem du genre "Ici
ils sont sympas mais un peu bigot", ou alors "mais ils sont malades à mettre
le chauffage aussi fort", ou bien "j'ai vu grand-mère hier et elle te passe
son bonjour" ou encore "et n'oublie pas que d'ici je vois tout"
Citation: |
ou supprimer la douleur. —
|
C'est atténuer ou supprimer la douleur chez les autres qu'il faut comprendre,
en faisant le bien comme d'être amis, de partager, de bien s'occuper des
siens.
Ce n'est pas un effort mental mais des actes pour le bien.
Citation: |
Ensuite, le bien étant facile à atteindre et le mal réduit, tout cela
dépend de toute manière en premier lieu de ce que l'on appelle le bien ou le
mal, deux notions qui me semblent trop arbitraires pour que cela signifie
quelque chose. Au moins sans le contexte de ce que signifiait bien et mal pour
Épicure — (ne peut-on pas retrouver dans les textes quel mot a été
traduit par "bien"? car j'ai à l'esprit cette traduction pratiquement abusive
que l'on fait de ἡ ἀρέτη en le traduisant par
"vertu"...).
|
Ta remarque est pleine de bon sens et l'exercice pas facile car à la fois
philosophique et historique.
Au sens de la philosophie des grecs connue à cette époque et par exemple
pour Hésiode, le bien est généralement la
Dikè (la mesure, la morale, la pondération à opposée au mal: l'Hybris (la démesure, la passion qui
nous obsède, sources des envies et des crimes).
Par exemple, avoir une femme, et un amant: c'est la Dikè
Avoir plusieurs amants ou tenter de rédober ceux des amis: c'est l'hybris
Gouverner son peuple et exécuter de temps en temps un conseiller présompteux
ou arrogant: c'est la diké.
Vouloir conquérir les autres royaumes et massacrer inutilement des
populations, c'est l'hybris.
Mais pour Epicure, le plaisir est le bien et
l'origine de la vertu, et la douleur le mal (la privation de bien).
Citation: | "
C'est pourquoi nous disons que le plaisir est le commencement et la fin de la
vie heureuse. En effet, d'une part, le plaisir
est reconnu par nous comme le bien primitif et conforme à notre
nature, et c'est de lui que nous partons pour déterminer ce qu'il faut
choisir et ce qu'il faut éviter ; d'autre part, c'est toujours à lui que
nous aboutissons, puisque ce sont nos affections qui nous servent de règle
pour mesurer et apprécier tout bien quelconque si complexe qu'il soit.
Epicure, lettre à Ménécée" |
Donc je crois que le bien pour Epicure est un mélange de plaisir et de Dikè,
donc des plaisirs naturels et raisonables, dénué d'envie ou d'excès.
Par exemple, je crois qu'Epicure aurait apprécié un bon Cognac mais sans
pour autant siffler la bouteille et se prendre une murge .
Dernière édition par chiron le Mer Déc 15, 2010 01:12 am; édité 1 fois
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 01:09 am Sujet du message:
Je parlais de supprimer la peur de la mort pour soi et la peur de la
souffrance pour soi ; et à mon avis,
il faut bien plus que prévoir des messages plaisantins pour son cercueil pour
réellement ne plus avoir peur de la
mort. — En d'autres termes, je pense que dans ce que tu décris, tu as
effectivement décrit une baisse de ces deux peurs, mais principalement pour les autres, plutôt que pour toi.
Il faudrait retrouver les termes exacts d'Épicure, car la Dikê (ἡ
δική) signifie surtout la justice ; la modération serait
plutôt — de ce que j'ai appris — ἡ
σωφρόσυνη. — De plus, supprimer
la peur de la mort, par exemple, pourrait presque être prise comme une
démarche finalement éloignée d'une modération en toute chose, du fait de
tous les dépassements physiologiques qu'elle requiert.
Vouloir conquérir d'autres peuples n'a vraiment pas toujours été pris pour
quelque chose de mal, de démesuré, ou en quelconque rapport avec l'hybris.
En fait je serais même curieux de voir, si quelqu'un sait, s'il y a un texte
d'un auteur grec qui rapproche sans ambiguïté une telle conquête et
ὕϐρις.
À part cela, baser le bien sur le plaisir est possible, mais ne modère-t-il
pas lui-même ses propos justement avec la nécessité de la tempérance?
|
chiron
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 01:31 am Sujet du message:
Criterium a
écrit: | Je parlais de supprimer
la peur de la mort pour soi et la peur de la souffrance pour soi ;
|
Oui dans le sens où il ne faut pas s'en faire ni que cette peur diminue notre
existence:
" Toujours la lettre à Ménécée
Prends l'habitude de penser que la mort n'est rien pour nous. Car tout bien et
tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute
sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort
n'est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non
pas en y ajoutant la perspective d'une durée infinie, mais en nous enlevant
le désir de l'immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la
vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n'y a rien de
redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort
est à craindre non pas parce qu'elle sera douloureuse étant réalisée, mais
parce qu'à est douloureux de l'attendre. Ce serait en effet une crainte vaine
et sans objet que celle qui serait produite par l'attente d'une chose qui ne
cause aucun trouble par sa présence.
"
Citation: |
et à mon avis, il faut bien plus que prévoir des messages plaisantins pour
son cercueil pour réellement ne plus
avoir peur de la mort.
|
C'est plus que cela: il faut en rire de cette faucheuse ridicule qui
fatalement aura notre peau !
De plus la mort c'est la liberté pour soi et les autres; la mort des autres
étant notre liberté à nous (Sinon imagine Staline encore vivant ), et donc par
réciproque, notre mort à nous, la liberté des autres !
Et puis sinon, avec toute la lignée, bonjour l'ambiance dans les repas de
famille et la ruine à Noel !
Citation: |
— En d'autres termes, je pense que dans ce que tu décris, tu as
effectivement décrit une baisse de ces deux peurs, mais principalement pour les autres, plutôt que pour toi.
|
Non. J'ai peur d'une mort pénible, j'ai peur d'une petite mort qui serait
qu'on m'impose de devenir la négation de ce que je suis et je souhaite une
mort suite à une maladie "courte et rigolotte", comme disait Desproges.
Mais je ne redoute pas la mort, cette dernière grande aventure qui nous
attend tous. Et oui j'aime m'imaginer les mémés grabataires comme des
aventurières sur le départ... vers un inconnu qui ne peut être que drôle
et paradoxal car la divinité est ainsi.
Citation: |
Il faudrait retrouver les termes exacts d'Épicure, car la Dikê (ἡ
δική) signifie surtout la justice ; la modération serait
plutôt — de ce que j'ai appris — ἡ
σωφρόσυνη. —
|
Non là, j'ai extrapolé selon Hésiode pas Epicure mais c'était pour donne
run contexte sur le philosophie grecque.
Citation: |
Vouloir conquérir d'autres peuples n'a vraiment pas toujours été pris pour
quelque chose de mal, de démesuré, ou en quelconque rapport avec l'hybris.
En fait je serais même curieux de voir, si quelqu'un sait, s'il y a un texte
d'un auteur grec qui rapproche sans ambiguïté une telle conquête et
ὕϐρις.
|
Pourtant Hésiode parle bien d'hybris guerrière dans l'âge de bronze. Mais
nous ne sommes plus dans Epicure.
Citation: |
À part cela, baser le bien sur le plaisir est possible, mais ne modère-t-il
pas lui-même ses propos justement avec la nécessité de la
tempérance? |
Mais je crois qu'il le fait en parlant de plaisir naturel et de ne jouir que
de ce qui préserve notre indépendance pour ne pas devenir envieux, ni à
s'habituer aux richesses qui renvoient encore à l'hybris.
Ne pas s'habituer à une grande richesse et rester humble et fidèle à ses
amis est je crois importants pour les grecs, dont un des sages ne considérait
le bonheur d'une personne une fois sa mort connue (et si elle était
glorieuse, au sein d'une grande famille de fils honorables, elle paraissait
d'autant plus belle).
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Criterium
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 01:59 am Sujet du message:
Diable, le retour des posts longs.
Pour le début, à propos de supprimer la peur de la mort, citer la lettre à
Ménécée ne constitue pas un contre-argument ; je redis qu'il existe une
très grande différence entre la supprimer en formulant le concept
consciemment, et réellement, physiquement, le ressentir. — Rien ne te
permet d'affirmer que tu as, toi, de plus, réussi à annihiler cette peur en
toi ; le même discours serait tenu par quelqu'un qui croit l'avoir annihilée
— le véritable test ne sera pas les mots, mais ta vie, donc hors-Genaisse
par définition — mais inconsciemment y est encore soumis : or ceux-ci sont
l'énorme majorité. De
plus, notre héritage judéo-chrétien nous empêche d'avoir la vision grecque
ou païenne de la mort (ce qui pour autant ne signifie pas que la peur de la
mort ait été moins présente chez eux, je crois).
Ceci étant dit, oui, rire c'est bien. Et puis parfois c'est même drôle.
Merci pour Hésiode ; est-ce dans la Théogonie? Je vais vérifier demain,
j'ai le livre chez moi, quoique pas en grec. Cela montrera qu'au moins une
fois, un auteur (et important qui plus est ; mais comme tu le dis, qui n'est
pas Épicure) a associé conquête et hybris.
Sinon, j'entends bien qu'Épicure parlait plutôt de plaisir naturel, sans
outrance ; cependant je serais très curieux de le lire dans le texte : de
telles philosophies, qui plaisent beaucoup au lecteur d'aujourd'hui, sont trop
souvent extrêmement déformées par rapport à ce qu'elles signifiaient
réellement.
|
chiron
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 02:25 am Sujet du message:
Criterium a
écrit: |
Pour le début, à propos de supprimer la peur de la mort, citer la lettre à
Ménécée ne constitue pas un contre-argument ; je redis qu'il existe une
très grande différence entre la supprimer en formulant le concept
consciemment, et réellement, physiquement, le ressentir. — Rien ne te
permet d'affirmer que tu as, toi, de plus, réussi à annihiler cette peur en
toi ;
|
Regardes donc à qui tu parles ! Mon seul pseudo te démontre que j'accepte ma
mortalité et que je la revendique.
La mort est une amie qui nous dévivre des souffrances de la viellesse et de
la maladie et donc du mal.
Et c'est très épicurien... mais d'inspiration libre
Citation: |
De plus, notre héritage judéo-chrétien nous empêche d'avoir la vision
grecque ou païenne de la mort (ce qui pour autant ne signifie pas que la peur
de la mort ait été moins présente chez eux, je
crois). |
Oui mais notre quête philosophique nous permet des choix conscients hors de
la culture qui nous a été transmise.
Citation: |
Merci pour Hésiode ; est-ce dans la Théogonie?
|
Non c'est dans les travaux et les jours, via le mythe des races (hommes d'or,
d'argent, de bronze, les héros, homme de fer).
Je te conseille de plus l'univers, les dieux, les hommes de JP Vernant pour
une très bonne critique d'Hésiode.
Citation: |
Sinon, j'entends bien qu'Épicure parlait plutôt de plaisir naturel, sans
outrance ; cependant je serais très curieux de le lire dans le texte : de
telles philosophies, qui plaisent beaucoup au lecteur d'aujourd'hui, sont trop
souvent extrêmement déformées par rapport à ce qu'elles signifiaient
réellement. |
Je crois que la lettre à Ménécée contient plusieurs éléments à ce
sujet.
Mais il est vrai que même à son époque, Epicure a été calmonié et
traité de débauché par les philosophes concurrents.
Ainsi l'Epicurisme a été souvent confondu avec la recherche de la jouissance
ou de la débauche.
|
Exist@ncE
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 19:26 pm Sujet du message:
mikee a
écrit: | Par contre Chiron, je
serais plutôt curieux de savoir si tu suis ce principe philosophique
... |
Mikee, ton crédo serait alors primum vivere
deinde philosophari ?
Ce crédo est complètement faux ^^ de mon point de vu.
Suivre un principe philosophique comme spirituel est aussi simple que de
s'abandonner à la débauche (qui est en fait un principe matérialiste ^^).
S'il y a difficulté c'est dans la durée (faire ses prières 5 fois par
jour).
Vis-à-vis de la peur de la douleur (et de la mort), Friedrich Nietzsche en a écrit une marrante :
<< L'homme qui jubile jusque sur le bûcher triomphe non de souffrir,
mais de ne pas souffrir, alors qu'il s'y attendait, Il y a là un symbole.
>>
|
Romulus
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Posté le: Mer Déc 15, 2010 22:26 pm Sujet du message:
Je trouve aussi que Epicure est plein de bon sens.
Criterium a
écrit: | Ces règles de bases,
comme tu les appelles, sont extrêmement difficiles à suivre ; certaines
constituent à elles seules déjà l'aboutissement de certaines démarches
mystiques, comme supprimer la peur de la mort, ou supprimer la douleur. —
Car autant, comme Gelmah le dit, comprendre par l'intellect que la peur de la mort n'est pas nécessaire
(et donc potentiellement nuisible), c'est aisé (et encore) ; autant le
comprendre physiquement, c'est-à-dire
en être intimement persuadé, c'est très difficile. Je n'ai jamais
rencontré personne, ni eu vent de personne — à part des héros mythiques
— qui ait vaincu sa peur de la mort ou de la douleur. Il paraît que pour le
premier cas, certaines personnes ayant vécu une expérience de mort imminente
et une sorte d'éveil mystique à cette occasion auraient réussi, et dans le
second, certains conditionnements mentaux peuvent réussir (cf. certains
yogis, ou pratiquants d'okinawa-te, etc.). |
Je ne suis pas persuadé que cela soit si difficile que ça à atteindre même
si c'est vrai que ça demande peut être un certain cheminement
philosophique.
Après tout dépend ce qu'on entend par ne pas
craindre la mort. Pour la peur instinctive, par exemple face à un
grand danger imminent, sans doute est-ce très difficile, car elle est
téllement naturelle et ancrée dans nos pulsions qu'il faudrait surement un
puissant conditionnement de plusieurs années pour pouvoir en faire
abstraction.
En revanche "la peur de la fin" (C'est à dire, le fait de s'inquiéter ou
s'angoisser de sa mort future au cour de sa vie) c'est différent, bien que
très répandue, je ne suis pas sur déjà qu'elle soit naturelle. .
C'est plus à mon avis une première réflexion métaphysique peu développée
qui crée une inquiétude chez l'individu sur "la mort" c'est à dire un état
supposé après la vie qui n'en est pas un.
Et là les épicuriens ou leurs disciples viennent remettre les pendules à
l'heure en disant assez simplement et assez logiquement que la mort n'est
rien, qu'elle est juste l'absence de quelquechose et donc qu'elle n'est pas à
craindre.
Et par ailleurs je suis proche de la "démarche" de Chiron, c'est à dire
savoir dans une certaine mesure dédramatiser la mort. Mais bon c'est toujours
assez délicat, car on peut rapidement passer pour un insensible.
Chiron a
écrit: | De plus la mort c'est
la liberté pour soi et les autres; la mort des autres étant notre liberté
à nous |
Tiens oui, je crois qu'on retrouve aussi des préceptes voisins chez les
stoïciens.
Après je ne vois pas trop comment on peut "supprimer la douleur" il faut sans doute comprendre ça par
"diminuer la douleur".
Parce que techniquement le vivant va inévitablement ressentir des souffances
physiques ou morales au cour de son existence, mais il peut les réduire ou
les éviter avec un certain état d'esprit. Et finalement comme l'a dis Chiron
il peut les diminuer pour les autres et réciproquement ce qu'on peut appeler
approximativement "faire le bien" de
manière quasi universel tellement ce précepte tombe en accord avec la
logique et la nature humaine. Et là oui c'est facilement à la portée de
tout le monde.
Pour ce qui est de ne pas craindre les
dieux je n'ai pas lu les livres d'Epicure et encore moins dans leur
langue originale, ce qu'il conviendrait de faire pour bien en comprendre le
sens.
Mais je me permet une hypothèse, on peut peut-être (et en tout cas on
devrait à mon sens) comprendre ça comme "ne peut avoir peur de la
destinée". Car oui chez les grecs anciens la notion de divinité est souvent
associée à celle de destin, les dieux peuvent être perçus comme les forces
de la nature ou de cosmos qui guident la destinée des hommes.
On retrouverait alors une forme de "fatalisme positif" qu'on retrouve chez
certains auteurs de l'antiquité : le destin est ce qu'il est, il est
inévitable, ce qui est arrive est dans l'ordre naturel des choses...donc à
partir de là il n'est pas à craindre.
Criterium a
écrit: | Diable, le retour des
posts longs.
 |
Chiron sans les posts longs ce n'est pas Chiron ^^
|
Criterium
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Posté le: Jeu Déc 16, 2010 00:18 am Sujet du message:
Romulus a
écrit: | Pour la peur
instinctive, par exemple face à un grand danger imminent, sans doute est-ce
très difficile, car elle est téllement naturelle et ancrée dans nos pulsions qu'il
faudrait surement un puissant conditionnement de plusieurs années pour
pouvoir en faire abstraction. |
Voilà précisément la chose.
L'on peut également supprimer la douleur — même si c'est très difficile
— : il y a des explications organiques pour cela (j'avoue toutefois ne pas
très bien m'en souvenir, histamine ou autre... il faudrait que je refasse des
recherches ; il y a aussi le sommeil, qui nous en donne un avant-goût,
déconnectant certaines parties physiques), et certains en ont été
capables.
Ne pas avoir peur de la destinée, et tout simplement vivre, d'ailleurs,
est-ce vraiment une philosophie propre à Épicure? Je ne le crois pas.
|
Romulus
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Posté le: Jeu Déc 16, 2010 13:46 pm Sujet du message:
Non c'est vrai, il y a certaines idées que je tire là des stoïciens pour
mon interprétation, mais il me semble qu'il y a des proximités entre les
deux écoles. Après tout leur fondement respectifs est : le renoncement (les
stoïciens) et le contentement (les épicuriens), donc on voit assez bien
qu'il y a une approche similaire.
Mais en fait je pense que ces philosophies bien qu'elles aient une empreinte
culturelle (celle de la Grèce et de la Rome antique) ont un caractère
rationnel et donc universel. D'ailleurs j'ai l'impression qu'on peut leur
trouver des similitudes avec certaines philosophies asiatiques (bouddhisme,
confucianisme,...) qui se sont développées en parallèle dans des contrées
lointaines sans échanges culturels.
|
Leguman
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Posté le: Jeu Déc 16, 2010 21:40 pm Sujet du message:
Jyestha a
écrit: | Se contenter du
nécessaire, sans excès. Ce que je suis tout bonnement incapable de faire. Je
me dirigerais d'avantage vers l'hédonisme... |
A moins que je me trompe, c'est justement ça le fondement de l'hédonisme, la
vie sans excès : o
|
chiron
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Posté le: Ven Déc 17, 2010 00:24 am Sujet du message:
Romulus a
écrit: |
Et par ailleurs je suis [pour,] dans une certaine mesure dédramatiser la
mort. Mais bon c'est toujours assez délicat, car on peut rapidement passer
pour un insensible.
|
Peut-être mais c'est très Epicurien, car la mort, par définition, nous ne
la rencontrons jamais: "quand nous sommes, la mort n’est pas là, et quand
la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus !"
Citation: |
Après je ne vois pas trop comment on peut "supprimer la douleur" il faut sans doute comprendre ça par
"diminuer la douleur".
|
Ou plutôt se modérer pour éviter la douleur dans un acte et ne pas devenir
dépendant. Boire est un plaisir, trop boire est une douleur. Ainsi, l'abus,
la démesure, le remède pris en exés est synonyme de poison: « Rien n'est
poison, tout est poison : seule la dose fait le poison. (Paracelse, 1520)»
Citation: |
Criterium a
écrit: | Diable, le retour des
posts longs.
 |
Chiron sans les posts longs ce n'est pas Chiron ^^ |
Voilà la triste époque, faite de de gens pressés,
Après l'âge du fer, l'âge du résumé.
Tous ces hommes qui courrent, s'arrêtent-ils un jour ?
Romulus a
écrit: |
Après tout leur fondement respectifs est : le renoncement (les stoïciens) et
le contentement (les épicuriens), donc on voit assez bien qu'il y a une
approche similaire.
|
Je crois que le point commun est la modération et la lutte contre les
passions destructrices. Voilà pourquoi j'ai proposé comme complément
l'opposition Hybris/dikè exposé par Hésiode (VIIIe AJC).
Hybris:la méchanceté, le crime, identifiés comme "la démesure"
Dikè: le droit, le respect.
que j'ai pillé chez JP Vernant.
Citation: |
Mais en fait je pense que ces philosophies bien qu'elles aient une empreinte
culturelle (celle de la Grèce et de la Rome antique) ont un caractère
rationnel et donc universel. D'ailleurs j'ai l'impression qu'on peut leur
trouver des similitudes avec certaines philosophies asiatiques (bouddhisme,
confucianisme,...) qui se sont développées en parallèle dans des contrées
lointaines sans échanges culturels. |
On y trouve aussi des différences exposées aussi par Vernant d'ailleurs et
d'un matérialisme historique qui ferait fuir exist@nce.
En effet, pour Vernant, les Grecs sont des bergers et toute leur philosophie
consiste à diriger la nature ou soi-même comme on dirige un troupeau. On
force donc la nature, soi et les autres.
Au contraire, les chinois sont des cultivateurs dont la philosophie consiste
à accompagner la nature. On module donc la croissance des plantes, la sienne
ou celle les hommes.
Citation: |
je n'ai pas lu les livres d'Epicure
|
Mais moi non plus avant de proposer le sujet. Mais les exposés forment
toujours plus les enseignants que les enseignés . Mais
c'est là un tort qu'on qu'on peut vite réparer.
Parmi les vastes travaux d'Epicure qui sont cités par d'autres textes, il ne
nous reste que trois lettres:
- la lettre à Hérodote, qui traite de physique
- La lettre à Pythoclès sur l'astronomie
- la lettre à Ménécée sur l'éthique et le bonheur
Etant donné que nous sommes ici dans la quête du bonheur, et qu'il ne faut
pas se contenter de commenter des commentaires, je vous publie ici la lettre
à Ménécée.
Voici donc pour vous, écrivant dans son jardin, Epicure...
|
chiron
Actif


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Posté le: Ven Déc 17, 2010 00:30 am Sujet du message:
EPICURE
Lettre à Ménécée
Epicure à Ménécée,
Même jeune, on ne doit pas hésiter à philosopher. Ni, même au seuil de la
vieillesse, se fatiguer de l’exercice philosophique. Il n’est jamais trop
tôt, qui que l’on soit, ni trop tard pour l’assainissement de l’âme.
Tel, qui dit que l’heure de philosopher n’est pas venue ou qu’elle est
déjà passée, ressemble à qui dirait que pour le bonheur, l’heure n’est
pas venue ou qu’elle n’est plus. Sont donc appelés à philosopher le
jeune comme le vieux. Le second pour que, vieillissant, il reste jeune en
biens par esprit de gratitude à l’égard du passé. Le premier pour que
jeune, il soit aussi un ancien par son sang-froid à l’égard de l’avenir.
En définitive, on doit donc se préoccuper de ce qui crée le bonheur, s’il
est vrai qu’avec lui nous possédons tout, et que sans lui nous faisons tout
pour l’obtenir.
Ces conceptions, dont je t’ai constamment entretenu, garde-les en tête. Ne
les perds pas de vue quand tu agis, en connaissant clairement qu’elles sont
les principes de base du bien vivre.
D’abord, tenant le dieu pour un vivant immortel et bienheureux, selon la
notion du dieu communément pressentie, ne lui attribue rien d’étranger à
son immortalité ni rien d’incompatible avec sa béatitude. Crédite-le, en
revanche, de tout ce qui est susceptible de lui conserver, avec
l’immortalité, cette béatitude. Car les dieux existent : évidente est la
connaissance que nous avons d’eux. Mais tels que la foule les imagine
communément, ils n’existent pas : les gens ne prennent pas garde à la
cohérence de ce qu’ils imaginent. N’est pas impie qui refuse des dieux
populaires, mais qui, sur les dieux, projette les superstitions populaires.
Les explications des gens à propos des dieux ne sont pas des notions
établies à travers nos sens, mais des suppositions sans fondement. De là
l’idée que les plus grands dommages sont amenés par les dieux ainsi que
les bienfaits. En fait, c’est en totale affinité avec ses propres vertus
que l’on accueille ceux qui sont semblables à soi-même, considérant comme
étranger tout ce qui n’est pas tel que soi.
Accoutume-toi à penser que pour nous la mort n’est rien, puisque tout bien
et tout mal résident dans la sensation, et que la mort est l’éradication
de nos sensations. Dès lors, la juste prise de conscience que la mort ne nous
est rien autorise à jouir du caractère mortel de la vie : non pas en lui
conférant une durée infinie, mais en l’amputant du désir
d’immortalité.
Il s’ensuit qu’il n’y a rien d’effrayant dans le fait de vivre, pour
qui est authentiquement conscient qu’il n’existe rien d’effrayant non
plus dans le fait de ne pas vivre. Stupide est donc celui qui dit avoir peur
de la mort non parce qu’il souffrira en mourant, mais parce qu’il souffre
à l’idée qu’elle approche. Ce dont l’existence ne gêne point, c’est
vraiment pour rien qu’on souffre de l’attendre ! Le plus effrayant des
maux, la mort ne nous est rien, disais-je : quand nous sommes, la mort n’est
pas là, et quand la mort est là, c’est nous qui ne sommes plus ! Elle ne
concerne donc ni les vivants ni les trépassés, étant donné que pour les
uns, elle n’est point, et que les autres ne sont plus. Beaucoup de gens
pourtant fuient la mort, soit en tant que plus grands des malheurs, soit en
tant que point final des choses de la vie.
Le sage, lui ne craint pas le fait de n’être pas en vie : vivre ne lui
convulse pas l’estomac, sans qu’il estime être mauvais de ne pas vivre.
De même qu’il ne choisit jamais la nourriture la plus plantureuse, mais la
plus goûteuse, ainsi n’est-ce point le temps le plus long, mais le plus
fruité qu’il butine ? Celui qui incite d’un côté le jeune à bien
vivre, de l’autre le vieillard à bien mourir est un niais, non tant parce
que la vie a de l’agrément, mais surtout parce que bien vivre et bien
mourir constituent un seul et même exercice. Plus stupide encore celui qui
dit beau de n’être pas né, ou « sitôt né, de franchir les portes de
l’Hadès ».
S’il est persuadé de ce qu’il dit, que ne quitte-t-il la vie sur-le-champ
? Il en a l’immédiate possibilité, pour peu qu’il le veuille vraiment.
S’il veut seulement jouer les provocateurs, sa désinvolture en la matière
est déplacée.
Souvenons-nous d’ailleurs que l’avenir, ni ne nous appartient, ni ne nous
échappe absolument, afin de ne pas tout à fait l’attendre comme devant
exister, et de n’en point désespérer comme devant certainement ne pas
exister.
Il est également à considérer que certains d’entre les désirs sont
naturels, d’autres vains, et que si certains des désirs naturels sont
nécessaires, d’autres ne sont seulement que naturels. Parmi les désirs
nécessaires, certains sont nécessaires au bonheur, d’autres à la
tranquillité durable du corps, d’autres à la vie même. Or, une réflexion
irréprochable à ce propos sait rapporter tout choix et tout rejet à la
santé du corps et à la sérénité de l’âme, puisque tel est le but de la
vie bienheureuse. C’est sous son influence que nous faisons toute chose,
dans la perspective d’éviter la souffrance et l’angoisse. Quand une bonne
fois cette influence a établi sur nous son empire, toute tempête de l’âme
se dissipe, le vivant n’ayant plus à courir comme après l’objet d’un
manque, ni à rechercher cet autre par quoi le bien, de l’âme et du corps
serait comblé. C’est alors que nous avons besoin de plaisir : quand le
plaisir nous torture par sa non-présence. Autrement, nous ne sommes plus sous
la dépendance du plaisir.
Voilà pourquoi nous disons que le plaisir est le principe et le but de la vie
bienheureuse. C’est lui que nous avons reconnu comme bien premier et
congénital. C’est de lui que nous recevons le signal de tout choix et
rejet. C’est à lui que nous aboutissons comme règle, en jugeant tout bien
d’après son impact sur notre sensibilité.
Justement parce qu’il est le bien premier et né avec notre nature, nous ne
bondissons pas sur n’importe quel plaisir : il existe beaucoup de plaisirs
auxquels nous ne nous arrêtons pas, lorsqu’ils impliquent pour nous une
avalanche de difficultés. Nous considérons bien des douleurs comme
préférables à des plaisirs, dès lors qu’un plaisir pour nous plus grand
doit suivre des souffrances longtemps endurées. Ainsi tout plaisir, par
nature, a le bien pour intime parent, sans pour autant devoir être cueilli.
Symétriquement, toute espèce de douleur est un mal, sans que toutes les
douleurs soient à fuir obligatoirement. C’est à travers la confrontation
et l’analyse des avantages et désavantages qu’il convient de se décider
à ce propos. A certains moments, nous réagissons au bien selon les cas comme
à un mal, ou inversement au mal comme à un bien.
Ainsi, nous considérons l’autosuffisance comme un grand bien : non pour
satisfaire à une obsession gratuite de frugalité, mais pour que le minimum,
au cas où la profusion ferait défaut, nous satisfasse. Car nous sommes
intimement convaincus qu’on trouve d’autant plus d’agréments à
l’abondance qu’on y est moins attaché, et que si tout ce qui est naturel
est plutôt facile à se procurer, ne l’est pas tout ce qui est vain. Les
nourritures savoureusement simples vous régalent aussi bien qu’un ordinaire
fastueux, sitôt éradiquée toute la douleur du manque : pain et eau
dispensent un plaisir extrême, dès lors qu’en manque on les porte à sa
bouche. L’accoutumance à des régimes simples et sans faste est un facteur
de santé, pousse l’être humain au dynamisme dans les activités
nécessaires à la vie, nous rend plus aptes à apprécier, à l’occasion,
les repas luxueux et, face au sort, nous immunise contre l’inquiétude.
Quand nous parlons du plaisir comme d’un but essentiel, nous ne parlons pas
des plaisirs du noceur irrécupérable ou de celui qui a la jouissance pour
résidence permanente - comme se l’imaginent certaines personnes peu au
courant et réticentes à nos propos, ou victimes d’une fausse
interprétation - mais d’en arriver au stade où l’on ne souffre pas du
corps et ou l’on n’est pas perturbé de l’âme. Car ni les beuveries, ni
les festins continuels, ni les jeunes garçons ou les femmes dont on jouit, ni
la délectation des poissons et de tout ce que peut porter une table fastueuse
ne sont à la source de la vie heureuse : c’est ce qui fait la différence
avec le raisonnement sobre, lucide, recherchant minutieusement les motifs sur
lesquels fonder tout choix et tout rejet, et chassant les croyances à la
faveur desquelles la plus grande confusion s’empare de l’âme.
Au principe de tout cela, comme plus grand bien : la prudence. Or donc, la
prudence, d’où sont issues toutes les autres vertus, se révèle en
définitive plus précieuse que la philosophie : elle nous enseigne qu’on ne
saurait vivre agréablement sans prudence , sans honnêteté et sans justice,
ni avec ces trois vertus vivre sans plaisir. Les vertus en effet participent
de la même nature que vivre avec plaisir, et vivre avec plaisir en est
indissociable.
D’après toi, quel homme surpasse en force celui qui sur les dieux nourrit
des convictions conformes à leurs lois ? Qui face à la mort est désormais
sans crainte ? Qui a percé à jour le but de la nature, en discernant à la
fois comme il est aisé d’obtenir et d’atteindre le "summum" des biens, et
comme celui des maux est bref en durée ou en intensité ; s’amusant de ce
que certains mettent en scène comme la maîtresse de tous les événements
– les uns advenant certes par nécessité, mais d’autres par hasard,
d’autres encore par notre initiative –, parce qu’il voit bien que la
nécessité n’a de comptes à rendre à personne, que le hasard est
versatile, mais que ce qui vient par notre initiative est sans maître, et que
c’est chose naturelle si le blâme et son contraire la suivent de près (en
ce sens, mieux vaudrait consentir à souscrire au mythe concernant les dieux,
que de s’asservir aux lois du destin des physiciens naturalistes : la
première option laisse entrevoir un espoir, par des prières, de fléchir les
dieux en les honorant, tandis que l’autre affiche une nécessité
inflexible). Qui témoigne, disais-je, de plus de force que l’homme qui ne
prend le hasard ni pour un dieu, comme le fait la masse des gens (un dieu ne
fait rien de désordonné), ni pour une cause fluctuante (il ne présume pas
que le bien ou le mal, artisans de la vie bienheureuse, sont distribués aux
hommes par le hasard, mais pense que, pourtant, c’est le hasard qui nourrit
les principes de grands biens ou de grands maux) ; l’homme convaincu qu’il
est meilleur d’être dépourvu de chance particulière tout en raisonnant
bien que d’être chanceux en déraisonnant ; l’idéal étant évidemment,
en ce qui concerne nos actions, que ce qu’on a jugé « bien » soit
entériné par le hasard.
A ces questions, et à toutes celles qui s’y rattachent, réfléchis jour et
nuit pour toi-même et pour qui est semblable à toi, et jamais tu ne seras
troublé ni dans la veille ni dans tes rêves, mais tu vivras comme un dieu
parmi les humains. Car il n’a rien de commun avec un animal mortel,
l’homme vivant parmi des biens immortels."
Merci à l'Académie de Toulouse d'avoir publié cette Lettre
L'académie de Grenoble (google sur Lectures suivies (oral bac) - Épicure -
Lettre à Ménécée) propose de plus des commentaires
|
Romulus
Suprème actif


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|
Posté le: Ven Déc 17, 2010 14:01 pm Sujet du message:
Chiron a
écrit: |
Citation: | Criterium a
écrit: | Diable, le retour des
posts longs.
 |
Chiron sans les posts longs ce n'est pas Chiron ^^ | Voilà la triste époque, faite de de gens pressés,
Après l'âge du fer, l'âge du résumé.
Tous ces hommes qui courrent, s'arrêtent-ils un jour ?
|
Arrêtes de radoter papy, là j'ai l'impression d'entendre une voie
chevrotante me dire "aaaah ces jeuuunes qui ne font que courrir"
Chiron a
écrit: |
Citation: |
Mais en fait je pense que ces philosophies bien qu'elles aient une empreinte
culturelle (celle de la Grèce et de la Rome antique) ont un caractère
rationnel et donc universel. D'ailleurs j'ai l'impression qu'on peut leur
trouver des similitudes avec certaines philosophies asiatiques (bouddhisme,
confucianisme,...) qui se sont développées en parallèle dans des contrées
lointaines sans échanges culturels. |
On y trouve aussi des différences exposées aussi par Vernant d'ailleurs et
d'un matérialisme historique qui ferait fuir exist@nce.
|
Oui il y a des différences bien entendu, mais cela n’empêche pas les
similitudes. Et pour moi on la puise dans la rationalité qu’on trouve de
façon éparse dans des philosophies. D’ailleurs ce que tu tires de Vernant
: les philosophies greco-romaines guide la nature, les philosophies asiatiques
l’accompagnent. Cela ne créent peut être pas au fond une différence si
fondamentale que cela.
Je m’explique : dans les deux cas à priori l’homme et le reste de la
nature (animaux, arbres, montagnes…) font partie « d’un grand tout »,
d’une sorte d’ordre cosmique. Dans les deux cas l’homme a une place
précise dans l’ordre cosmique qu’on pourrait appeler Nature (cette fois
avec un grand N). Et même chez les Grecs est-ce que l’homme ne se contente
de remplir son rôle au sein de cette Nature en guidant et dominant notamment
la nature ?
En gros dans les deux cas l’homme a une destinée et il doit (il est
souhaitable pour lui) s’en contenter.
Cette destinée c’est son karma ou ce sont les humeurs des dieux de
l’Olympe ou c’est la volonté de Yavhé. Ou enfin si on est rationaliste
c’est la causalité (la chaine des causes et des conséquences), mais tout
cela n’est-il pas la même chose avec des points de vue culturels
différents finalement?
Chiron a
écrit: | Mais moi non plus avant
de proposer le sujet. Mais les exposés forment toujours plus les enseignants
que les enseignés . Mais c'est là un tort qu'on qu'on peut vite réparer.
|
Oui on est d’accord. Cela dis différentes approches sont légitimes.
Critérium a eu une approche plus historienne, en cherchant plutôt le sens de
la pensée de l’auteur. Qu’est-ce que lui il entend par là ? Quelle est
sa véritable vision des choses quand il dis ceci ? Probablement pas
exactement celle qu’on a exposée.
Nous deux avons eu une approche plus philosophique, finalement qu’importe ce
qu’Épicure a précisément pensé. De sa pensée on peut tirer une «
substantifique moelle » suffisamment riche pour qu’elle inspire de nombreux
adeptes à des époques et en des lieux différents. Peut être que leur
pensée ou leur interprétation n’est pas strictement celle d'Épicure mais
en tout cas il y a une essence qui est récupérable et c’est à mon sens
l’essence rationnelle qui transcende les cultures et donc les époques.
|
chiron
Actif


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Messages: 1191
|
Posté le: Mar Déc 21, 2010 00:42 am Sujet du message:
Romulus a
écrit: |
Chiron a écrit: | Citation: | Criterium a
écrit: | Diable, le retour des
posts longs.
 |
Chiron sans les posts longs ce n'est pas Chiron ^^ | Voilà la triste époque, faite de de gens pressés,
Après l'âge du fer, l'âge du résumé.
Tous ces hommes qui courrent, s'arrêtent-ils un jour ?
|
Arrêtes de radoter papy, là j'ai l'impression d'entendre une voie
chevrotante me dire "aaaah ces jeuuunes qui ne font que courrir"
|
Hé Romulus, faudrait pas non plus pousser pépé dans les orties là...
Il faut bien quelques lignes pour planter un décor, une ambiance et aussi
planter les fâcheux...
Citation: |
Oui il y a des différences bien entendu, mais cela n’empêche pas les
similitudes. Et pour moi on la puise dans la rationalité qu’on trouve de
façon éparse dans des philosophies.
|
Oui mais le point commun me semble dans la définition. Une philosophie est un
cadre explicatif supposé rationel... sinon c'est pour moi une religion ou un
mythe.
Mais supposé rationel seulement car le choix de la rationalité me semble
justement inconscient et culturel . Pour Vernant c'est très orienté
matérialisme historique (en gros les condition d'existence et les rapports
sociaux influent sur les modèles de pensée)
Citation: |
D’ailleurs ce que tu tires de Vernant : les philosophies greco-romaines
guide la nature, les philosophies asiatiques l’accompagnent. Cela ne créent
peut être pas au fond une différence si fondamentale que cela.
|
Ben déjà cela rappelle à des "occidentalistes" que la philosophie grecque
n'est pas la seule ni la première et que ce qu'il s'est passé à Milet
(Turquie occidentale) avec Thalès est toujours un mystère...
Pourquoi donc exclure les dieux et partager les mystères ? Une révolution
sociale ? Une perte de la foi ? Une éducation de masse d'un milieu?
Mais néanmoins la philosophie chinoise me semble plus contemplative, à la
recherchje d'une sérénité intérieure liée aux sensations et la grecque
beaucoup plus rationnelle car liée à la pensée et à la construction
logique.
Citation: |
Je m’explique: dans les deux cas à priori l’homme et le reste de la
nature (animaux, arbres, montagnes…) font partie « d’un grand tout »,
d’une sorte d’ordre cosmique. Dans les deux cas l’homme a une place
précise dans l’ordre cosmique qu’on pourrait appeler Nature (cette fois
avec un grand N). Et même chez les Grecs est-ce que l’homme ne se contente
de remplir son rôle au sein de cette Nature en guidant et dominant notamment
la nature ?
|
Oui mais définir la place de l'homme au sein de l'univers et ses rapports
avec les autres hommes et la divinité, c'est le service minimum d'une
philosophie, d'une religion ou d'un parti politique. Si cela n'explique pas
tout et justifie l'existence, à quoi cela sert-il ? Ou alors y'a un truc que
j'ai pas compris...
Citation: |
En gros dans les deux cas l’homme a une destinée et il doit (il est
souhaitable pour lui) s’en contenter.
Cette destinée c’est son karma ou ce sont les humeurs des dieux de
l’Olympe ou c’est la volonté de Yavhé. Ou enfin si on est rationaliste
c’est la causalité (la chaine des causes et des conséquences), mais tout
cela n’est-il pas la même chose avec des points de vue culturels
différents finalement?
|
Ben... non .
Dans un cas il y peut rien car c'est un dieu qui décide de tout et dans un
autre il a des moyens d'infléchir le destin.
Pour ma part à la base il existe un fond culturel issu de liens tribaux,
liés à la nature du territoire. (Marxiste un jour... )
De cette culture nait une religion avec magies et miracles.. jusqu'à
éducation d'une bourgeoisie. La bourgeoisie entraîne la philosophie et le
rejet de miracles non prouvés (via rejet de l'autorité des prêtres dasn une
lutgte sociale?). Puis une fois le peuple éduqué viennent les partis
politiques.
Aussi pour ma part religion, philosophie et parti politiques sont des
expressions culturelles du moins au plus évolué et fonction de l'éducation.
Après en politique y'en a qui croient en Ségolène et donc on en revient à
la religion .
Chiron a
écrit: |
Critérium a eu une approche plus historienne, en cherchant plutôt le sens de
la pensée de l’auteur. Qu’est-ce que lui il entend par là ? Quelle est
sa véritable vision des choses quand il dis ceci ? Probablement pas
exactement celle qu’on a exposée.
|
Ben il est compliqué de retraduire un contexte historique du fait des valeurs
différentes des mots et expressions. Néanmoins entre Hésiode et le hasard
en trame générale, c'était pas si mal comme contexte.
Personnellement, j'étais à l'origine trop axé vers le bien des autres alors
que ce que j'en ai lu est surtout bien de soi (mais quand même transmis aux
autres...). J'ai été en cela un peu troublé par les comparaisons avec
Jesus.
Citation: |
Nous deux avons eu une approche plus philosophique, finalement qu’importe ce
qu’Épicure a précisément pensé. De sa pensée on peut tirer une «
substantifique moelle » suffisamment riche pour qu’elle inspire de nombreux
adeptes à des époques et en des lieux différents. Peut être que leur
pensée ou leur interprétation n’est pas strictement celle d'Épicure mais
en tout cas il y a une essence qui est récupérable et c’est à mon sens
l’essence rationnelle qui transcende les cultures et donc les
époques. |
Les époques oui, mais les cultures, j'en doute, à moins de trouver un
luthérien épicurien
Mais il est vrai qu'Epicure aime qu'on philosophe, sans crainte des dieux, que
l'on fasse le bien et qu'on diminue les souffrances.
C'était un gars bien et il aurait fait un chouette pote! Dommage qu'il ne
nous aie pas laissé plus de blagounettes à la manière de Desproges
|
alcibiade
Suprème actif


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|
Posté le: Mar Déc 28, 2010 10:25 am Sujet du message:
Epicure est certes à l'origine d'un courant de pensée intéressant, mais je
n'ai jamais trouvé son argument sur la mort très convaincant, bien que
l'intention soit louable. La peur de la mort engendre des monstruosités
intellectuelles, il est donc fondé de vouloir l'éliminer.
On ne doit pas craindre la mort, parce que tant qu'on est vivant on est pas
mort: ça revient à dire qu'on ne doit pas craindre les Huns, parce qu'ils ne
nous sont pas encore tombés dessus. Le propre de la peur, c'est justement de
craindre un évènement futur.
En revanche, ses idées sur les dieux sont très intéressantes: loin d'être
athée, comme se plaisent à répéter ceux qui veulent se trouver d'illustres
prédecesseurs, ils soutient que les dieux existent mais ne se préoccupent
pas de nous. Cette conception du divin montre l'inanité de l'argument si
souvent avancé ces temps-ci: "Si Dieu existe, pourquoi y a-t-il des
guerres/famines/maladies... ?". ça nous montre aussi qu'on peut croire en un
ou des dieux sans qu'ils soient pour autant des nourrices chargée(s) de nous
éviter le moindre bobo. En des temps où lon nous gonfle à longueur de
journée avec l'équation "dieu= un gros nounours qui fait bisou bisou", c'est
vraiment un bon bol d'air frais, je trouve.
|