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oeildenuit
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Message Posté le: Mar Mai 12, 2009 23:46 pm    Sujet du message:
Dans ce cas là on fait du cinéma ou on écrit des scénarios.
La littérature est un art; en ce sens elle a son propre particularisme.
La forme passe avant tout même s'il est evident que l'histoire a son importance et que la forme pour la forme ça n'a pas grand interêt.

Mais bon, le style, la plupart des gens s'en moquent.
K
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Message Posté le: Mer Mai 13, 2009 10:36 am    Sujet du message:
Ma prof de prépa nous flagellait quand nous osions suggérer une différentiation du "fond" et de la "forme". Les cours de collège ont la vie dure.
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Message Posté le: Jeu Mai 14, 2009 20:14 pm    Sujet du message:
Pour la forme, oeildenuit devrait écrire la suite.
oeildenuit
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Message Posté le: Jeu Mai 14, 2009 20:17 pm    Sujet du message:
Si tu le dis ^^


3/


Il rit.
- Que je vous emmène ? Pourquoi pas… mais vous vous rendez où ?
- Oh mais je vous l’ai dit déjà, comme ça vous arrange…je ne voudrais pas vous ennuyer surtout, répondis-je.
Il arbora un nouveau rictus condescendant.
-J’ai bien compris mais je dois au moins savoir dans quelle direction vous allez… Puisque si je vais à droite et vous à gauche, on ne s’en sortira pas.
- Oh, dis-je, mais je ne vais nulle part en particulier. Je vais là où vous allez.
Il me dévisagea, l’air de me dire «  mais tu vas bien quelque part, non ? » mais il n’en fit rien. On sortit.
On monta dans son camion. Un truc crade je vous raconte pas.
C’était un vieux van volkswagen déglingué avec une forme bizzaroide mais qui avait de la gueule malgré tout. Il était initialement de couleur blanche… mais c’était aujourd’hui un blanc rouille, usé. L’intérieur respirait le mauvais goût. Le sol était jonché de CD et de boites disloquées sur lesquels mes prédécesseurs avaient dû marcher impunément. Des miettes s’entassaient à des endroits stratégiques sur les tapis et le tableau de bord. L’aiguille du compteur de vitesse était cassée; il roulait à l’oreille m’a-t-il dit lorsque je le questionnai.
Il a mis la radio, histoire qu’on ait pas à causer.
Mais le silence devenant pesant je me suis trouvé dans l’obligation de lui dire quelque chose, n’importe quoi.
- Vous allez où au fait… je veux dire… dans quel coin ?
On passait Perfect Day de Lou Reed sur les ondes. Le type écoutait avec un calme religieux qui m’étonna. Il mit du temps à répondre.
- Je croyais que vous vous moquiez de ce détail ? Dit-il d’un air de reproche, apparemment vexé que je l’interrompe dans son écoute.
J’étais tétanisé.
- Heu…dis-je, vous avez raison mais c’était par pure curiosité…et pour parler aussi.
Il se mit à rire très fort, tout seul. S’ensuit un autre silence, qui me parut durer une éternité.
J’entendais mon cœur palpiter doucement mais avec une force qui me semblait faire vibrer la bagnole. Je n’avais jamais fait de stop auparavant et, bien que j’imaginais aisément le contraire je n’étais pas spécialement aventurier. Et ce gars m’effrayait un peu aussi. Il reprit.
- Je sais bien petit, je blaguais…il se mit à rire de plus belle, par saccades entrecoupées, puis, après une légère pause: je vais à Sète.
Je ne connaissais pas Sète, même pas de nom. J’ai dû grommeler quelque chose comme «  bien » ou « c’est cool » pour éviter d’avoir à étaler mon ignorance. Mais il a forcément compris, même s’il a probablement voulu me préserver.
Ma montre indiquait vingt-deux heures alors que je pensais qu’il faisait nuit depuis bien plus longtemps. Hors l’angle des phares, on ne voyait pas à dix mètres… il faut dire qu’aucun monceau de Lune n’apparaissait.
Après une âpre lutte de quelques minutes et malgré l’apparence et les défenses qu’il fallait, me suis-je dit, que je conserve, je me suis assoupi, collant mon front lourd contre la vitre tiède… la linéarité de l’autoroute permettant à celle-ci de ne pas trop vrombir.
J’ai dormi plus longtemps que prévu et me suis réveillé aux alentours de minuit, alors qu’on approchait de Sète.
Il somnolait un peu et paraissait content que je me sois réveillé.
Je remarquai pour la première fois qu’il était laid. Laid et gros.
On a discuté quelques minutes. Il n’était pas originaire de Sète mais il y allait chaque année pour faire une sorte de pèlerinage.
Pour montrer toute son admiration envers Valéry et Brassens, surtout Brassens d’ailleurs… C’était un type bien étrange en somme mais il me faisait bien marrer parce qu’il était hyper solennel et cérémonieux dans tout ce qu’il disait bien que cela me parût totalement loufoque.
Je connaissais peu Brassens et il me fit écouter avec un entrain extraordinaire. Il a mit un disque qu’il a sorti de la discographie complète. Je faisais semblant de m’intéresser mais j’appréciais assez . La musique retentissait dans sa voiture comme si on l’avait pourvu d’une chaîne dernier cri.

« La camarde, qui ne m'a jamais pardonné
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d'un zèle imbécile.
Alors, cerné de près par les enterrements,
J'ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille. »

Il s’arrêta de chanter pour me regarder avec un sourire compréhensif. Il ne me prenait pas trop au sérieux.
- Au fait, tu as quel âge ?
- 18 ans, mentis-je.
Je ne voulais pas qu’il sache que j’étais mineur. Je ne le connaissais pas assez et puis… de toute façon, à six moi près on voit pas la différence. J’avais peur qu’il me dégage de sa caisse si je lui disais que j’étais mineur. Surtout que depuis quelques temps avec toutes les violences et tous ces couvres feu il ne fallait pas être vu le soir tard… à des kilomètres de chez soi et en compagnie d’un type un peu fou.
Il laissa couler mon mensonge. Il me couvrait.
- Et pourquoi partir comme ça…je veux dire tout seul, dans un endroit que tu ne connais pas ?
J’ai voulu mentir une nouvelle fois mais je ne pus le faire. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je lui ai parlé naturellement, sans sourciller, sans même m’en rendre vraiment compte.
- C’est à cause de Lou… ma copine… elle est partie il y’a deux mois et…
Il ne me laissa pas terminer.
- Attends, tu es jeune… des filles tu en connaîtras des dizaines gamin et des mieux…et des plus belles, des plus intelligentes…et puis certaines, tu sais…au lit…Il avait l’œil complice, mais il reprit vite son sérieux: si elle t’a quitté c’est qu’elle n’en valait pas la peine.
Je pouvais encore reculer, rire à sa blague et écouter Brassens mais la vérité jaillit comme un poison.
- Elle ne m’a pas quitté, dis-je avec un flegme qui me fit frissonner, elle est morte.
Et pendant que je disais ça je me rendis compte que je mentais aussi. Qu’elle n’était qu’un prétexte, qu’une mauvaise excuse… qu’il fallait que je me donne l’image de la pleurer. Que je ne pouvais décemment pas ne pas la pleurer. Je me devais de faire quelque chose d’immense, de totalement fou pour elle. Mais la vérité était ailleurs. Je ne la pleurais plus. Je ne me souvenais même plus ni de son odeur, ni de sa gueule. Et quand je m‘en aperçus, je me mis à fondre en larmes. Et pour le coup, il me prit au sérieux.
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Message Posté le: Jeu Mai 14, 2009 20:27 pm    Sujet du message:
J'ai trouvé cette partie beaucoup moins hachée, beaucoup moins entrecoupée d'innombrables mots négatifs polaro-miséreux, beaucoup plus fluide; et comme c'est là que l'histoire, semble-t-il, commence réellement, je vote tout à fait pour. Très bien. Smile

(quelques fautes d'inattention, mais on s'en fout)

Seul mot me gênant: "prédecesseurs". On bute dessus.

J'aurais plaisir à lire la suite Aux anges
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Message Posté le: Jeu Mai 14, 2009 21:26 pm    Sujet du message:
K a écrit:
Ma prof de prépa nous flagellait quand nous osions suggérer une différentiation du "fond" et de la "forme". Les cours de collège ont la vie dure.

On vous assène à longueur de temps qu'il ne faut pas distinguer le fond de la forme, et cependant, on emploie quand même deux mots distincts. C'est malhonnête de la part des professeurs. Ils n'ont pourtant pas le choix. Pour répondre à Lyriss, j'ai envie de dire que l'histoire, ce n'est pas de la littérature. C'est un petit truc en plus - un petit truc sans lequel il n'y aurait plus de chef d'oeuvre - qu'ont en commun toutes les disciplines de la création artistique: de la sculpture à la peinture en passant par la musique et le cinéma.
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Message Posté le: Jeu Mai 14, 2009 21:35 pm    Sujet du message:
Je trouve qu'il y de bon, voir très bon, passage alors que d'autres font taches ce qui donne l'impression de lire un de ces navets commerciaux ...
Il y a un certain déséquilibre au sein du texte ...


Malgré cela l'histoire reste assez intéressante & bien conduite Smile
Vivement la suite.
oeildenuit
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Message Posté le: Jeu Mai 14, 2009 22:52 pm    Sujet du message:
Dis moi ce qui fait tache Chii, histoire que je change ( même si je sais à peu près de quoi tu parles ).

Ce qui fait commercial - même si je n'ai jamais lu un de ces navets commerciaux - c'est peut être le côté maladroit, peu maitrisé du récit.
Ca viendra.

Eh crit, signale moi les fautes aussi ^^
J'aime bien qu'on me mache le travail. Smile
Chii
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Message Posté le: Ven Mai 15, 2009 17:28 pm    Sujet du message:
Citation:
même s’il a probablement voulu me préserver.

Le sol était jonché de CD et de boites disloquées sur lesquels mes prédécesseurs avaient dû marcher impunément. Des miettes s’entassaient à des endroits stratégiques sur les tapis et le tableau de bord. L’aiguille du compteur de vitesse était cassée; il roulait à l’oreille m’a-t-il dit lorsque je le questionnai.
Il a mis la radio, histoire qu’on ait pas à causer.

C’était un type bien étrange en somme mais il me faisait bien marrer parce qu’il était hyper solennel et cérémonieux dans tout ce qu’il disait bien que cela me parût totalement loufoque.


Je trouve ces passages assez lourds, pleines de maladresses ...

Citation:
Et pendant que je disais ça je me rendis compte que je mentais aussi. Qu’elle n’était qu’un prétexte, qu’une mauvaise excuse… qu’il fallait que je me donne l’image de la pleurer. Que je ne pouvais décemment pas ne pas la pleurer. Je me devais de faire quelque chose d’immense, de totalement fou pour elle. Mais la vérité était ailleurs. Je ne la pleurais plus. Je ne me souvenais même plus ni de son odeur, ni de sa gueule. Et quand je m‘en aperçus, je me mis à fondre en larmes. Et pour le coup, il me prit au sérieux.


Par contre, j'aime beaucoup ce passage !
J'ai relevé quelques fautes d'orthographes mais je laisse cette partie du travail à Critérium Smile


Dernier point, je voulais te demandais si ce texte est une autobiographie ? Une autobiographie romancée ? Ou aucun rapport ?
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Message Posté le: Lun Juin 01, 2009 20:21 pm    Sujet du message:
J'aimerais quand même lire une suite, je sais qu'oeildenuit est capable de nous faire quelque chose de drôle et frais. Exclamation
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Message Posté le: Lun Juin 01, 2009 22:47 pm    Sujet du message:
Période d'exams.
On verra après. Mais il y'aura une suite. Smile
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Message Posté le: Jeu Oct 15, 2009 17:52 pm    Sujet du message:
Bon texte revu et terminé.
Il doit y avoir pleins de fautes.
Je corrigerai tout ça plus tard, pas le temps pour l'heure.


1

C’était le déluge lorsque je partis. Il pleuvait des cordes, une vraie tempête, un temps dégueulasse. Le genre d’averse qu’on voit dans les pays tropicaux et qui détruit tout, inonde tout.
La météo n’avait rien annoncé pourtant, ça devait être un cas de force majeure, quelque chose d’imprévisible.
En plus j’étais parti léger, avec pas grand-chose : un sac de randonnée qui tenait bien le dos, de l’eau, des barres de céréales, et une cartouche de cigarettes. Le strict nécessaire quoi, pas de place pour le superflu, j’allais probablement marcher beaucoup.
Il faut dire que je n’avais pas vraiment prévu qu’il pleuve comme ça en plein été. Ils nous bassinent tous avec leur speech sur le réchauffement climatique, la fonte des neiges et toutes ces conneries sur l’écologie mais faut bien admettre qu’ils ont raison sur un point : il y’a quelque années encore, le temps n’était pas si lunatique et il ne pleuvait pas de la sorte en plein mois de Juin.
J’avais bien anticipé en prenant un parapluie au cas où, mais c’était un parapluie de misère, d’un mauve fade sur lequel étaient collés des papillons incandescents et immondes type manga. Les baleines étaient déglinguées et risquaient à tout moment de piquer ceux qui auraient eu l’idée saugrenue de me côtoyer de trop près. Mais il ne protégeait guère que le haut de mon crâne- chevelu et peu frileux - et, disloqué comme il l’était, il penchait sur les côtés qui eux-mêmes s’affaissaient, baillant presque dans un style burtonien et la pluie ruisselait en rigoles violentes puis s’écrasait sur mes chaussures elles mêmes, abîmées, trouées, grotesques… et j’essayais gauchement d’éviter le geyser en adoptant une démarche chaloupée parfaitement ridicule.
C’était pas vraiment le départ que j’escomptais. J’avais pas visé trop gros pourtant, ni cadillac, ni bières, ni filles à gogo mais j’avais au moins espéré qu’il fasse un temps correct- à défaut d’un soleil radieux- pour que je pusse me balader tranquille, flânant dans les rues, dévoilant des perspectives, consolidant des objectifs pour l’heure très vagues.
La pluie s’est calmée assez vite mais j’ai marché longtemps sur un asphalte fangeux et jonché de cailloux minuscules, longeant le bord du trottoir, se noyant dans un flot de boue.

Plus je quittais la ville et plus l’animation s’amenuisait. Les foules se dispersaient dans les brumes en autant de fantômes et ce n’était pas pour me déplaire. J’avais toujours eu du mal à nouer des contacts, à m’inscrire dans un style, une pensée ou une confrérie
Le ciel commençait à s’assombrir et les réverbères venaient juste de s’allumer, espacés les uns des autres par une centaine de mètres environ. Gros marcheur, j’avais une cadence assez importante et, la musique aidant, j’avais déjà parcouru plusieurs kilomètres lorsque le soir vint. Les parents devaient ne rentrer que le lendemain matin; il ne me restait plus qu’à trouver où aller.


2

Lou était partie deux mois plus tôt et j‘avais été malade à en crever. Je m’étais même mis à boire beaucoup alors que j’avais toujours trouvé l’ivresse maladroite et que j’avais une peur bleue de tout vomir. J’avais vomi plusieurs fois depuis lors et même si je trouvais l’ivresse toujours aussi empruntée je me sentais étrangement mieux car je pensais alors comme dans un nid de coton qu’aucune émotion ne pouvait transpercer.
Nous étions au lycée ensemble, en terminale littéraire, dans la même classe.
Pas vraiment téméraire et fort peu enclin au suicide, je ne me tuai pas ce jour là. C’était pourtant un fait assez usité chez les jeunes, voire rock‘n‘roll, mais je ne pus franchir le pas malgré les idées qui me traversèrent l’esprit. Le soir venu, ma valise prête, j’ai voulu partir quelques temps assez loin d‘ici, pour tout plaquer puis je me suis ravisé. Pour mes parents me suis-je dit… pour mon année scolaire aussi… en fait j’avais tout un tas de raison de ne rien faire de spectaculaire
Puis l’été survint rapidement et je n’avais plus d’autres choix que de partir; me l‘étant trop de fois imaginée je ne pouvais me résoudre à oublier cette idée.
Question d’orgueil.
Il fallait cependant éviter que les parents ne le remarquassent tout de suite et ne prévinssent la police. J’ai donc attendu qu’ils partissent un long week-end à la mer. Je voulais pas de leur aide : ils ne connaissaient rien de Lou, ne savaient même pas qu’elle était ma copine ni qu’elle était partie… et puis… ils auraient probablement essayé de me dissuader ou m’auraient demandé d’aller au moins chez des amis à eux, des connaissances, ou pire, des membres de la famille, et je ne voulais absolument pas de ça. Pourtant, cela m’aurait arrangé…question de commodité… mais je devais être seul.
Je leur ai laissé un petit mot rassurant avant de filer.

En traversant la ville j’ai croisé d’inhabituelles personnes.
Des femmes drapé de misère et aux regards ternes marchaient dans je ne sais quelle direction. Des jeunes entamaient leur bière devant le perron des hôtels particuliers. J’ai aussi croisé des vieux, tous plus au moins vieux et plus ou moins fatigués. Certains avaient l’air gentil, bon : c’est qu’ils sont rassurants ces vieux habillaient en vieux avec du vers et du velours, des chapeaux désuets. D’autres semblaient déjà absent ou jouaient les aigris jusqu’au jaune essoufflé du mégot qu’ils tenaient, impassibles, à la commissure de leurs lèvres à longueur de journée.

Il faisait nuit et je me demandais toujours où aller…
En attendant, je me mis à faire du stop et, rapidement, une voiture s’arrêta pour m’emmener quelques kilomètres plus loin, à l’ouest, dans les terres. Le conducteur était un hippie, un type assez débile qui écoutait une musique rock abominable.
Je me suis arrêté dîner - après que le type m’eut déposé au milieu de nulle part - sur une aire d’autoroute miteuse dans un self-service qui proposait de la bouffe infâme et malpropre. J’ai pris l’un des plateaux beiges entassés sur le côté gauche du restaurant, à proximité des couverts mais il était encore tout baigné de l’eau sale du lavage approximatif fait quelques minutes auparavant; et ça m’a coupé l’appétit. La femme qui servait la nourriture stockée dans des bacs en aluminium était obèse mais sympathique et on a échangé quelques mots avant que je ne rejoigne ma place.
J’ai mangé mon steack frites élastique en bouquinant. D’après les regards des voisins environnants, je devais faire assez tache dans le décor. Un type au fond m’épiait d’un air méfiant avec une opiniâtreté indécente mais, de l’entier restaurant, c’était apparemment le seul à qui je pusse demander un service. En outre, il était seul également.
Je me suis approché de lui pour lui demander s’il était envisageable qu’il m’emmenât quelque part, où cela l’arrangeait…je n’étais pas spécialement exigeant.


3/


Il rit.
- Que je vous emmène ? Pourquoi pas… mais vous vous rendez où ?
- Oh mais je vous l’ai dit déjà, comme ça vous arrange…je ne voudrais pas vous ennuyer surtout, répondis-je.
Il arbora un nouveau rictus condescendant.
-J’ai bien compris mais je dois au moins savoir dans quelle direction vous allez… Puisque si je vais à droite et vous à gauche, on ne s’en sortira pas.
- Oh, dis-je, mais je ne vais nulle part en particulier. Je vais là où vous allez.
Il me dévisagea, l’air de me dire «  mais tu vas bien quelque part, non ? » mais il n’en fit rien. On sortit.
Il me fit monter dans son camion. Un truc crade je vous raconte pas.
C’était un vieux van volkswagen déglingué avec une forme bizzaroide mais qui avait de la gueule malgré tout. Il était initialement de couleur blanche… mais c’était aujourd’hui un blanc rouille, usé. L’intérieur respirait le mauvais goût et la saleté. Le sol était jonché de CD et de boites disloquées sur lesquels mes prédécesseurs avaient dû marcher impunément. Des miettes s’entassaient à des endroits stratégiques sur les tapis et le tableau de bord. L’aiguille du compteur de vitesse était cassée; il roulait à l’oreille m’a-t-il dit lorsque je le questionnai.
Il a mis la radio, histoire qu’on ait pas à causer.
Mais le silence devenant pesant je me suis trouvé dans l’obligation de lui dire quelque chose, n’importe quoi.
- Vous allez où au fait… je veux dire… dans quel coin ?
On passait Perfect Day de Lou Reed sur les ondes. Le type écoutait avec un calme religieux qui m’étonna. Il mit du temps à répondre.
- Je croyais que vous vous moquiez de ce détail ? Dit-il d’un air de reproche, apparemment vexé que je l’interrompe dans son écoute.
J’étais tétanisé.
- Heu…dis-je, vous avez raison mais c’était par pure curiosité…et pour parler aussi.
Il se mit à rire très fort, tout seul. S’ensuit un autre silence, qui me parut durer une éternité.
J’entendais mon cœur palpiter doucement mais avec une force qui paraissait faire vibrer la bagnole. Je n’avais jamais fait de stop auparavant et, bien que j’imaginais aisément le contraire je n’étais pas spécialement aventurier. Et ce gars m’effrayait un peu aussi. Il reprit.
- Je sais bien petit, je blaguais…il se mit à rire de plus belle, par saccades entrecoupées, puis, après une légère pause: je vais à Sète.
Je ne connaissais pas Sète, même pas de nom. J’ai dû grommeler quelque chose comme «  bien » ou « c’est cool » pour éviter d’avoir à étaler mon ignorance. Mais il a forcément compris, même s’il a probablement voulu me préserver.
Ma montre indiquait vingt-deux heures alors que je pensais qu’il faisait nuit depuis bien plus longtemps. Hors l’angle des phares, on ne voyait pas à dix mètres… il faut dire qu’aucun monceau de Lune n’apparaissait.
Après une âpre lutte de quelques minutes et malgré l’apparence et les défenses qu’il fallait, me suis-je dit, que je conserve, je me suis assoupi, collant mon front lourd contre la vitre tiède… la linéarité de l’autoroute permettant à celle-ci de ne pas trop vrombir.
J’ai dormi plus longtemps que prévu et me suis réveillé aux alentours de minuit, alors qu’on approchait de Sète.
Il somnolait un peu et paraissait content que je me sois réveillé.
Je remarquai pour la première fois qu’il était laid. Laid et gros et sale.
On a discuté quelques minutes. Il n’était pas originaire de Sète mais il y allait chaque année pour faire une sorte de pèlerinage.
Pour montrer toute son admiration envers Valéry et Brassens, surtout Brassens d’ailleurs… C’était un type bien étrange en somme mais il me faisait rire parce qu’il était terriblement solennel et cérémonieux dans tout ce qu’il disait bien que cela me parût totalement loufoque.
Je connaissais peu Brassens et il me fit écouter avec un entrain extraordinaire. Il a mit un disque qu’il a sorti de la discographie complète. Je faisais semblant de m’intéresser mais tout compte fait j’appréciais assez . La musique retentissait dans sa voiture comme si on l’avait pourvue d’une chaîne dernier cri.

« La camarde, qui ne m'a jamais pardonné
D'avoir semé des fleurs dans les trous de son nez
Me poursuit d'un zèle imbécile.
Alors, cerné de près par les enterrements,
J'ai cru bon de remettre à jour mon testament,
De me payer un codicille. »

Il s’arrêta de chanter pour me regarder avec un sourire compréhensif. Il ne me prenait pas trop au sérieux.
- Au fait, tu as quel âge ?
- 18 ans, mentis-je.
Je ne voulais pas qu’il sache que j’étais mineur. Je ne le connaissais pas assez et puis… de toute façon, à six moi près on ne voit pas la différence. J’avais peur qu’il me dégage de sa caisse si je lui disais que j’étais mineur. Surtout que depuis quelques temps avec toutes les violences et tous ces couvres feu il ne fallait pas être vu le soir tard… à des kilomètres de chez soi et en compagnie d’un type un peu fou.
Il laissa couler mon mensonge. Il me couvrait.
- Et pourquoi partir comme ça…je veux dire tout seul, dans un endroit que tu ne connais pas ?
J’ai voulu mentir une nouvelle fois mais je ne pus le faire. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je lui ai parlé naturellement, sans sourciller, sans même m’en rendre vraiment compte.
- C’est à cause de Lou… ma copine… elle est partie il y’a deux mois et…
Il ne me laissa pas terminer.
- Attends, tu es jeune… des filles tu en connaîtras des dizaines gamin et des mieux…et des plus belles, des plus intelligentes…et puis certaines, tu sais…au lit…Il avait l’œil complice, mais il reprit vite son sérieux: si elle t’a quitté c’est qu’elle n’en valait pas la peine.
Je pouvais encore reculer, rire à sa blague et écouter Brassens mais la vérité jaillit comme un poison.
- Elle ne m’a pas quitté, dis-je avec un flegme qui me fit frissonner, elle est morte.
Et pendant que je disais ça je me rendis compte que je mentais aussi. Qu’elle n’était qu’un prétexte, qu’une mauvaise excuse… qu’il fallait que je me donne l’image de la pleurer. Que je ne pouvais décemment pas ne pas la pleurer. Je me devais de faire quelque chose d’immense, de totalement fou pour elle. Mais la vérité était ailleurs. Je ne la pleurais plus. Je ne me souvenais même plus ni de son odeur, ni de sa gueule. Et quand je m‘en aperçus, je me mis à fondre en larmes. Parce que j’étais triste et seul et parce que je savais la puissance persuasive des larmes. Les pleurs comme l’apanage de la tristesse. J’étais quand même en deuil, il fallait bien ça.
Et pour le coup, il me prit au sérieux.


IV/



Je me suis mis à regretter amèrement de lui avoir causé.
Heureusement, il a eu la bienveillance et l’intelligence de ne plus me questionner à ce propos. Il n’avait pas l’air fin psychologue et ni lui ni moi n’avions envie d’en parler. Il a donc tout naturellement changé de sujet, pour que la conversation tourne plus léger, et le voyage s’est terminé sans encombre.
Il s’est garé dans un parking non éclairé aux abords de la ville. Un champ de bitume miné, un truc gratuit… mais il fallait marcher un peu plus pour rejoindre le centre. Rien de bien méchant, quelques kilomètres tout au plus mais il commençait à me taper sur le système à parler poésie avec des élans de grandiloquence de plus en plus expressifs. Je comptais me barrer discrètement une fois qu’on serait arrivés sur une voie importante pour que je retape du stop. Il n y avait pas grand monde dans les rues obscurcies à cette heure là; personne à vrai dire et, quand on s’est approchés du centre je l’ai remercié et lui ai adressé un signe de la main, l’air de dire «  nos routes se séparent ici, mec » mais il m’a demandé si je ne voulais pas, par hasard, aller boire un verre avant avec lui et, comme il régalait, j’ai accepté.

Il avait une allure étrange quand il marchait. Les genoux tournés vers l’extérieur rendaient sa démarche surprenante, gauche, chaloupée. Presque ridicule. On a traversé une bonne partie de la ville sans se dire la moindre chose. Il sifflotait discrètement un air que je ne connaissais pas.
On est finalement allés dans un bar dans lequel il avait ses habitudes puisqu‘il y allait tous les ans. Sur ses recommandations on s’est attablés dans le fond, un peu à l’écart de l’animation et de la populace. Il est allé nous prendre à boire et on a commencé à picoler une bouteille de vin blanc du sud-ouest. Quelque chose de typique apparemment et de très connu. Bu aux Etats-Unis et tout. C’était pas mal mais je n’y connaissais rien donc j’ai pas pu vraiment lui donner mon avis.
On se regardait dans le blanc des yeux puisque c’était du genre à ne pas parler s’il n’avait rien de très intelligent à dire.
Ça m’énervait qu’il ne dise rien. Il m’avait quand même demandé de rester - d’un ton comme suppliant - et tout ça pour subir ces silences gênés.
Il avait peur d’être seul, ce con.
Le bar avait le charme suranné des choses qui ne sont plus. La musique, le mobilier, la populace, etc… tout semblait venir d’une autre époque et ça me plaisait pas mal. Nous étions assis sur des chaises inconfortables, entourant une table en bois foncé, graisseuse.
Puis deux types l’air louche se sont approchés. Assez vieux quand même. Entamés. Avec un look et une attitude d’ados attardés. Piliers de bar. Puis, quand ils sont arrivés suffisamment près pour nous distinguer pleinement ils se sont mis à hurler et j’ai eu l’impression que le bar entier se retournait :
- «  Etienne ! Mon vieux ’Tienne ! p***** ça fait un bail ! »
Je réalisais que je ne connaissais même pas son prénom.
Ils sont restés un peu debout, causant tous les trois.
- Salut les gars.
- Et qu’est-ce que tu viens faire ici, nom de dieu ?
- Ben, c’est que…
Il paraissait gêné de les voir. A moins que ce ne fût ma présence qui le mît mal à l’aise.
- Ah oui, toujours ton truc sur Brassens ! p***** t’es cinglé, dit l’un des deux gars en riant. Tu te tapes des heures de routes pour venir sur la tombe de ce type et tu penses même pas à appeler tes vieux potes.
- C’est pas ça Henri, mais j’ai pas de téléphone.
- ça te dit qu’on aille se taper un p*** ? Il y en a une nouvelle pas mal foutue et pas chère, tu vas l’adorer.
Il se mit carrément à rougir. Moi je m’en foutais assez qu’il aille au p***.
- Le moment est plutôt mal choisi… je suis avec… un ami.
Il me pointa. On se salua vaguement et les deux types s’installèrent à notre table.
Comme je m’emmerdais sec j’ai picolé. La bouteille n’a pas duré vingt minutes et il m’a filé de l’argent pour que j’aille en commander une autre. Aubaine inespérée, je me suis levé aussi sec mais malhabilement et j’ai trébuché sur un tabouret planté là.
J’étais fatigué et j’avais pas mal bu. J’ai traversé la bar tant bien que mal. Il y avait du monde et un boucan infernal. Les chaises suaient, la musique était forte et inaudible.
Je me suis appuyé au comptoir pégueux en attendant que le barman vienne. Il était à peine plus vieux que moi. Un pédé avec un piercing à la lèvre inférieur. J’ai commandé une autre bouteille de blanc, la même. Deux types me regardaient et rigolaient mais comme je n’entendais rien à ce qu’ils disaient je les ai ignorés. L’un deux s’est approché et m’a soufflé à l’oreille :
- « T’es pas un peu jeune pour boire toi ?
- Pardon ? Dis-je, surpris.
Il n’avait pas l’air très sérieux.
- Je te demandais si t’étais pas un peu jeune pour boire ?
J’entendais l’autre pouffer derrière mon dos.
- Je suis majeur.
J’essayais de rester le plus calme possible. De paraître relaxé.
- Ah oui ? j’étais persuadé du contraire.
- Mais bordel qu’est-ce qui se passe, vous êtes flics ou quoi ?
Ils rirent de nouveau. À ce moment le barman revint avec la bouteille. Je me suis excusé auprès d’eux et ai ramené la bouteille à la table.
J’ai continué à picoler puisque je n’avais rien à dire.
Je n’étais pas à ma place. Je regrettais d’avoir accepté l’ invitation même si c’est vrai que je n’avais rien de mieux à faire.
Maintenant c’était délicat de se barrer comme ça, surtout que je n’avais absolument aucun prétexte.
L’un des deux types à notre table n’arrêtait pas de jacquasser en racontant comment il avait baisé sa femme la veille et d’autres conneries dans le genre. J’en surpris un fragment parmi les salves alcoolisées qui m’embrumaient.
- J’ai oublié de te raconter. La dernière fois on était bourrés avec Louis et on a joué au foot avec mon chien. Un deux contre un tu vois. A un moment donné je sais pas bien pourquoi, je devais être trop dedans, j’ai taclé le chien… et figure toi que je lui ai fracturé la patte.
Ils riaient tous. Vulgairement.
- Ah merde.
- Tu l’as dit, et je te raconte même pas ce que le vétérinaire m’a fait payé.
J’avais maintenant envie de dégueuler. Mes tempes bourdonnaient et je sentais des graines de pluie dégringoler du haut de mon crâne vers mon estomac et des relents acides me remonter dans la gorge. Une sensation que j’avais toujours détestée. Je me suis excusé auprès d’eux et je suis sorti prendre l’air et fumer.
Ça m’a requinqué.
J’avais mal à la gorge et chaque bouffée m’embrasait littéralement la gorge mais je continuais à tirer frénétiquement sur ma clope comme si ma vie en dépendait.
Quand on s’ennuie et qu’on est fumeur, ça passe plus vite.
D’autres personnes fumaient aussi dehors et je me suis mis à l’écart.
A un moment donné les deux types que j’ai rencontrés au comptoir sont sortis accompagnés d’une femme qui devait avoir la trentaine mais qui était bien conservée dans sa robe moulante, décolletée, en laine grise. Sans vraiment savoir pourquoi j’ai voulu lui faire du gringue.
Je me suis adossé au mur dans une position avantageuse, un peu loubarde, prétentieuse mais tout en fumant avec une grâce guindée et superficielle.
Elle m’a regardé d’un air désintéressé, condescendant et ça m’a ruiné. Elle aurait au moins pu se foutre de moi j’ai pensé. Alors j’ai écrasé ma clope même pas terminée et je me suis dirigé vers l’entrée du bar mais le type qui m’avait causé au comptoir revint à la charge :
« - Pour tout à l’heure, dit-il, je blaguais tu t’en es bien rendu compte, hein ?
- Evidemment, j’ai répondu.
En fait pas du tout, j’étais parano depuis que j’avais quitté ma ville. Je cherchais à jouer au type sûr de lui, au mec habitué, mais je ne savais pas bien ce que je foutais là, même si l’idée de faire des rencontres, de découvrir de nouveaux lieux me plaisait.
- D’accord, il a dit. Je voulais pas qu’il y’ait de malentendu. Dis moi, t’as une cigarette ? »
J’ai voulu rire ou lui faire une petite réflexion mais j’étais ivre et j’en ai pas eu le courage. Je lui ai filé une clope, il m’a remercié et j’ai franchi la porte du bar avant de ressortir en tout hâte.
Je n’avais absolument pas envie d’y retourner… après tout c’était pas parce qu’Etienne - c’était son nom - avait été brave avec moi un temps que je devais me sentir obligé de me le coltiner toute la soirée.

J’ai pris la tangente et longé une voie qui m’avait l’air plus important que les autres. J’ai atterri dans un vieux bar, probablement le seul d’encore ouvert à cette heure tardive et j’ai commandé une bière.
Il y’ avait un groupe de femmes vindicatives et le barman parmi les meubles. Le comptoir était vide et je m’affalais à moitié. Le serveur avait l’air de s’ennuyer autant que moi voire plus. Le groupe de filles gloussait comme à leur habitude et j’étais terriblement déprimé. J’ai commandé un whisky sec que j’ai avalé prestement. Puis j’ai demandé qu’il m’en serve un autre.
« - C’est pas possible, monsieur, je suis désolé, il a dit.
- Comment ça c’est pas possible ?
J’étais énervé et j’attendais une explication.
- Vous êtes ivre monsieur, et le bar va bientôt fermer. »
Je savais qu’il mentait et que le bar ne fermerait pas tant qu’il y’avait des idiots comme moi pour continuer à consommer mais j’allais pas faire de la résistance.
J’ai grommelé quelque chose du genre que j’allais l’assigner en justice puis je suis parti.

Je titubais et il fallait que je dorme. Il était trois heures du matin à ma montre et je me suis décidé à trouver un endroit où dormir. Un parc fera l’affaire.
Il n’y avait pas de parc. Même pas un petit coin de verdure sur lequel je pus m’endormir…C’est parce qu’il me fallait quelque chose d’un peu isolé quand même, pas un quelconque rond point où l’on aurait pu me voir. J’avais toujours été mal à l’aise confronté aux situations délicates.
J’ai traîné un peu dans la ville à la recherche des fantômes insomniaques mais je devais être un des seuls ce soir là ou alors c’est que j’ai pris une direction déserte.
J’ai atterri à la gare. Elle était fermée mais sur la devanture deux banc permettaient qu’on y dormît. Un clochard m’avait devancé et dormait sur l’un deux alors je me suis installé sur l’autre.
Il était immense et d’une forme conique. Il paraissait incrusté dans le sol, jumelé, comme un excrément qui sortirait de la terre.
Il devait être en granit. Il était particulièrement informe, profondément inesthétique.
Mais on y était bien pour dormir. Je m’essayai une position, j’enlevai mes chaussures avant de ma raviser puis je me mis en boule avec mon sac entre les bras, en guise d’oreiller plus d’ailleurs pour le protéger des vols éventuels que pour mon propre confort car ce n’était pas le cas.
Mais Je ne trouvais pas le sommeil….incapable de m’endormir à côté de cet ivrogne débile, incapable de m’apparenter à cela…effrayer à l’idée que quelque un, en allant prendre son train, eût pu me voir allongé ici, comme un SDF, seul et saoul dans des habits de misère.

J’ai fermé les yeux deux secondes puis je me suis tiré, attendant le matin pour refaire du stop,  impossible de faire confiance à un type qui vous prend en stop à trois heures du matin, me suis-je dit. 
Seuls quelques lampadaires éclairaient mon chemin. Il faisait encore bon pour 4 heure du matin. Encore ivre je marchais machinalement comme sur un tapis roulant, mes pieds s’enfonçaient, j’imprégnais des cadences.
Je me suis perdu à moitié et me suis mis à être un peu triste.
Je pensais à Lou, à son visage, à ses seins, à ses pommettes gorgées d’existence. Je pensais à nos moments passés ensemble, à sa mort qui m’avais foudroyé en vol.
Je me répétais sans cesse ce mot et j’essayais de lui inculquer un sens : mort… mort…M.O.R.T.
Je pensais à ma fugue et ne lui trouvait désormais nulle raison à moins que ce ne soit le confort qui me manquait.
Finalement je me suis retrouvé de nouveau devant le bar. J’avais fait un grand tour.
Il était là, Etienne, endormi sur le perron bordant la chaussée…assis, la tête enfoui dans ses mains, les coudes appuyés mollement sur ses genoux, dans une position inconfortable.
Je l’ai réveillé en le remuant un peu.
«  - Ah, c’est toi, il a dit.
Apparemment, on se tutoyait.
- Ouais, je me suis perdu… qu’est- ce tu fais encore là ?
- Je t’attendais, dit-il, l’air surpris que je lui demande la raison de sa raison, je savais que t’étais seul et sans endroit où dormir; c’est un peu con, moi j’ai un appartement à cinq minutes à pied.
- C’est gentil, je lui ai répondu, mais je crois que je vais rentrer chez moi.
- Tu es complètement cinglé, il est tard, tu ne trouveras personne pour te ramener à cette heure-là. Viens chez moi et tu repartiras demain matin si tu veux.
- Tu crois ?
- Ouais. »
Il m’a tendu la bouteille qu’il avait posé à ses pieds et j’ai allumé une cigarette.
Son appartement était vraiment tout proche, heureusement. Au dernier étage d’un vieux bâtiment. J’ai vomi dans l’escalier au tournant du troisième étage.
Il m’a allongé dans la chambre d’amis et j’ai sombré dans le sommeil le plus profond que j’aie eu depuis des jours.


V/

Au petit matin les premiers rayons m‘extirpèrent de mon sommeil aphone.
En ouvrant les yeux j’ai eu un moment de flottement avant de me rappeler ce que je faisais ici. L’endroit était de très bon goût malgré sa petitesse. Sobre, propre, du blanc et du bois. Il n’y avait que deux pièces et je me suis rendu compte qu’il m’avait laissé sa chambre; lui s’était installé dans le salon. Il y avait très peu de meuble, aucun tableau. Les murs sentaient les bâtonnets d’encens.
Pour un appartement de bord de mer il était drôlement sain, et peu humide. L’image de rustre que j’avais de lui s’estompa.
Etienne n’était pas là mais il avait laissé sur la table un déjeuner à mon attention. J’ai mangé comme jamais, gobant les aliments en même temps, dans la même foulée, mélangeant tout; salement. Repus, j’ai fumé une cigarette avec mon café sur la terrasse puis je suis allé me doucher.
Quand je suis sorti il était revenu.
« - Je me suis permis d’utiliser la salle de bain.
- T’as bien fait, il a dit. »
On s’est installé sur le canapé il m’a servi un autre café.
Brûlant, odorant, délicieux.
« - Alors, qu’Est-ce que tu vas faire, il a demandé.
- J’en suis pas encore bien certain, mais je pense que je vais rentrer.
- Tu fais bien.
- Je crois ouais, j’ai dit en souriant.
En dessous les yeux, il portait des sacs lourds et violacés. Cernes d’une vie trop éprouvante. Avant chacune de ses réponses il réfléchissait comme s’il fut nécessaire qu’il pesât chaque parole. Il comptait les silences.
- Je vais au cimetière cet après-midi, si tu veux venir avec moi… je te raccompagnerai par la suite.
J’étais gêné qu’il se montre si généreux envers moi. Ça avait un côté anormal qui me mettait dans l’embarras.
- Ne te dérange pas, tu en as bien assez fait, j’ai dit presque en m’excusant, reste un peu toi, tu dois avoir des choses à faire.
- ça ne me dérange pas, je comptais rentrer en début de soirée de toute façon.
- Et tes amis ? demandé-je.
- Je m’en fous pas mal. »
Je l’ai accompagné finalement.
Il faisait un temps lourd sur Sète ce jour-là. Derrière un ciel laiteux et obstrué un soleil timide se dissimulait… un soleil tamisé, aphone.
J’appris que Brassens n’était pas enterré au cimetière marin. Il dormait au cimetière du pauvre, un certain cimetière le py.
Il est allé sur sa tombe. Elle était extravagante, enfantine, sobre.
Des gens avaient laissé des mots. Il n’y avait pas de ténèbre comme dans les autres cimetières. J’ai fumé une cigarette sous le pin parasol qui surplombait la tombe et Etienne s’est mis à chantonner du Brassens avec sa guitare. Sa façon à lui de remercier autrement que par des mots qui ne pouvait prononcer. Il ne pleurait pas ni rien; il était ravi, il irradiait.
Ensuite, on est allé au cimetière marin. Il voulait me montrer la vue.
Pendant qu’il se baladait dans les allées de sépultures, froides celles-ci, je suis monté un peu plus haut, sur la colline. Au loin on apercevait la mer. Il faisait doux et pour la première fois, je parvint à ressentir le beau sans le toiser. Je voyais à la ligne d’horizon le ciel et la mer qui fusionnaient.
Puis j’ai pensé à Lou et je me suis mis à pleurer comme jamais il ne m’était arrivé de le faire.
Son absence me torturait. Je venais de comprendre que je ne la reverrai jamais plus. Je venais de réaliser qu’elle était morte et que je n’y pouvais rien faire. Ce qui est terrible dans la mort, c’est de ne plus revoir.
J’allais devoir vivre amputé, et longtemps.
J’avais fait mon deuil, il était grand temps de rentrer.
Le soleil s’étiolait et, dans la voiture restée ouverte, j’ai récupéré mes affaires avant de m’enfuir, comme un voleur.
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Message Posté le: Ven Oct 16, 2009 14:07 pm    Sujet du message:
Yippie, tu es revenu Fleurs

Je reprends la lecture depuis le début, et au fur et à mesure de celle-ci, je vais écrire mes impressions, mes commentaires, bref ce qui me passe par la tête. Et quoter si besoin est.

Alors, je constate - comme je l'avais fait à l'époque - qu'il y a ce côté "polar" du début, utilisant des mots négatifs ou du registre du langage parlé, qui me gêne (appréciation personnelle) : "(...) temps dégueulasse (...) le genre d'averse (...) En plus j'étais parti léger (...) le strict nécessaire quoi (...) Ils nous bassinent tous avec leur speech (...) parapluie de misère (...) mauve fade (...) immondes type manga.". Bon, soit : après tout, c'est un choix d'écriture. Avec l'utilisation de la première personne, le ton est donné, c'est une tranche de vie, du ton du langage parlé, du registre oral. Je ne reviendrai plus dessus, sauf s'il y a vraiment un mot ou une phrase qui me choque.

Il y a quelque chose que j'aime beaucoup faire pour analyser un texte, c'est la pratique du résumé - je vais donc le faire, maintenant que je viens de finir le chapitre 1. Le narrateur part de chez lui, ses parents ne sont pas là, il doit avoir entre 15 et 22 ans, on le devine désœuvré, il va improviser les prochaines 24 heures. Ce qui est bien, c'est que ça "marche": il ne se passe rien durant le premier chapitre mais tu arrives à le raconter en prenant ton temps et en nous présentant le protagoniste de l'intérieur. Bref, comme j'ai du le dire à l'époque, on veut lire la suite.

Chapitre 2. Introduction d'un autre personnage, sous la forme du souvenir nostalgique : Lou. (oh, et une image que je trouve bien trouvée : la "peur bleue de tout vomir"). On en apprend maintenant plus sur les motifs du narrateur, il doit donc avoir 17/18 ans finalement, il est bien désœuvré, à défaut de se suicider de part la fin de son histoire d'amour (?) il s'est dit qu'il pourrait toujours faire "n'importe quoi, n'importe où, mais ailleurs", et fugue. Peut-être n'avais-tu pensé à ses motifs que parce que l'on avait apprécié le chapitre 1, peut-être pas, mais en tout cas j'apprécie le fait que l'on n'apprenne les choses que petit à petit. Je poursuis ma lecture. J'ai croisé d'inhabituelles personnes. Les éléments perturbateurs, les péripéties arrivent! Very
Happy

Je suis content aussi de ne pas trouver de fautes d'orthographe pour le moment, mais comme il en fallait bien une : "avec du vair et du velours" (sauf si tu voulais dire que les petits vieux avaient déjà des vers, ante mortem). Une phrase à la construction un peu étrange également : "D’autres semblaient déjà absent ou jouaient les aigris jusqu’au jaune essoufflé du mégot qu’ils tenaient, impassibles, à la commissure de leurs lèvres à longueur de journée." - on comprend mal le "jusqu'au", et la transition "de leurs lèvres à longueur de journée" est un peu bancale (peut-être volontairement?) - au moins une virgule avant "à longueur de journée" pourrait peut-être aider? M'enfin, passons à la suite de l'histoire. Je passe là aussi sur la profusion extrême de qualificatifs dénigrants ; mais la fin est bien amenée : un inconnu étrange à qui le narrateur va demander un service - "... je n'étais pas spécialement exigeant" : je paraphrase Eugène Sue et je dis que cela présage au lecteur qu'il doit assister à de sordides scènes.

Chapitre 3. L'inconnu a un camion crade : impossible de ne pas s'imaginer le routier déviant que l'on nous a sorti dans d'innombrables films américains de films d'horreurs, on tremble pour le petit jeune Wink (petit aparté : "bizzaroïde", "boîtes"... attention aux accents). Je trouve assez drôle que ce ne soit qu'après un certain temps que le jeune demande "mais où fait, où c'est qu'on va?" Very Happy (tout comme un peu plus loin, il s'aperçoit que le monsieur est laid, gros et sale : il n'y a bien que dans un livre que l'on peut ne s'apercevoir de ces choses-là qu'après un chapitre entier - j'aime bien cette liberté justement ; et cela donne une sorte d'indice de "fictionnalité" du récit). Et enfin, le narrateur crache le morceau! 17 ans! (au fait, grosse faute : "à six mois près").

Rebondissement : l'on pouvait croire que Lou avait tout simplement quitté le narrateur. C'est ce que croit le gros routier. Mais finalement, ce n'est pas ça : Lou était morte. Comment? Pourquoi? Mais est-ce vraiment vrai : "(...) je me rendis compte que je mentais aussi" - ce n'est donc pas vraiment pour Lou qu'il a fugué? J'aime bien : le lecteur en est conduit à se poser une tonne de questions, et à douter... au moment même où l'autre personnage, au contraire, ne s'en pose plus, et croit le mensonge : "Et pour le coup, il me prit au sérieux".

Chapitre 4 (IV? pourquoi passer en chiffres romains?). Où l'on se rend compte que le personnage du gros routier est plus complexe qu'il n'y paraît : tant qu'il n'écoutait que du Lou Reed et du Brassens, ça allait ; le voilà maintenant à parler avec grandiloquence de poésie et adopter une démarche chaloupée en invitant le jeune à prendre un verre : cela va vraiment se terminer "fou-dingue" dans une ruelle sombre! Smile

Autre coup de cœur au pas à pas de la lecture : "Le bar avait le charme suranné des choses qui ne sont plus."
Aux anges

Où l'on voit de nouveaux personnages: deux piliers de bar louches qui abordent le gros routier et lui proposent une p-ute. Mais il rougit : le gaydar se met en branle, moi je dis. Mais le jeune s'enivre et s'enfuit. Tout ce passage, mi-parlé mi-raconté, est très fluide ; j'aime beaucoup ce passage :
oeildenuit, chapitre 4 a écrit:
A un moment donné les deux types que j’ai rencontrés au comptoir sont sortis accompagnés d’une femme qui devait avoir la trentaine mais qui était bien conservée dans sa robe moulante, décolletée, en laine grise. Sans vraiment savoir pourquoi j’ai voulu lui faire du gringue.
Je me suis adossé au mur dans une position avantageuse, un peu loubarde, prétentieuse mais tout en fumant avec une grâce guindée et superficielle.
Elle m’a regardé d’un air désintéressé, condescendant et ça m’a ruiné. Elle aurait au moins pu se foutre de moi j’ai pensé. Alors j’ai écrasé ma clope même pas terminée

Han! Papillon

Bref, le héros vadrouille et cherche un endroit où dormir, comme un SDF ; mention spéciale à cette image nauséabonde en parlant d'un banc : "Il paraissait incrusté dans le sol, jumelé, comme un excrément qui sortirait de la terre." - cela rend bien l'odeur de la rue, la reine des mictions. Il ne peut s'y faire et revadrouille dans la ville ; évidemment, il retombe sur le gros routier, ivre, endormi sur la chaussée... ils vont à son appartement. Je m'aperçois que je commence à me contenter de résumer l'histoire, c'est horrible - enfin, cela signifie que l'on s'y plonge, donc c'est très bien.

Chapitre 5. Je cesse cette manie de résumer, mais je veux juste noter deux choses qui sont révélatrices : l'une, le pèlerinage au cimetière, qui fait prendre conscience au narrateur, à nouveau, de l'inéluctabilité de la mort ; l'autre, sa manie de s'enfuir : une fois encore, il prend ses affaires et prend la poudre d'escampette, alors même que le gros routier se proposait de le ramener chez lui le soir même, sans même le violer en prime! Wink L'on en pressent que l'être le plus torturé, c'est vraiment ce jeune ; l'on se demande ce qu'il cherche vraiment en allant sans cesse vers un ailleurs très flou.

En somme, lecture agréable, surtout au fur et à mesure des chapitres. A suivre!
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Message Posté le: Ven Oct 16, 2009 14:52 pm    Sujet du message:
Hum, il y a un côté Céline à tes textes.. Pas à proprement parler dans le style, soyons clair, mais dans ta façon d'agencer le trivial à la fulgurance poétique..

L'histoire ne m'atteint pas vraiment, mais j'en fais généralement peu de cas. Bref, la lecture est agréable, le style plus que correct, et à mon avis le travail régulier, et donc la continuité, le rendra même plutôt bon. A suivre avec intérêt..

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