Le nihilisme pour les nuls


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Message Posté le: Mar Aoû 12, 2008 13:50 pm    Sujet du message:
Culasse.

Dernière édition par Invité le Mar Aoû 26, 2008 13:31 pm; édité 2 fois
Selva
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Message Posté le: Mar Aoû 12, 2008 13:54 pm    Sujet du message:
perroquets
Xénastre
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Message Posté le: Mar Aoû 12, 2008 15:11 pm    Sujet du message:
Très restreinte, oui-da !

J’ai tenté des hypothèses faibles c’est-à-dire celles qui offrent a priori le plus de degrés de liberté au sujet – du style infinités d’infinis. Mais ça n’a rien donné : cela s’avérait des divisions par zéro que personne ne peut honnêtement établir. Alors du coup, je me suis rabattu sur l’hypothèse la plus forte, celle offrant le moins de liberté, et là, bingo, ça semble conforme !

Mais la connerie de l’infini se serait d’être prisonnier dans une galère sans fin : heureusement que rien n’est infini, au cas où l’infini correspondrait à de l’affect négatif i.e. douleur.

En informatique, il n’y a que des 0 et des 1, toute réalité finie est potentiellement binarisable – peut-être même le corps humain, numérisable comme d’après le code génétique ? Prenez un CD i.e. Compact Disc ou un DVD i.e. Digital Video Disc, c’est du néant formaté, le néant étant ici de la négation négative du rien, parce que si vous observez un CD ou un DVD à la loupe, il n’y a qu’un trou en ordre dispersé – fût-ce même ce que j’écris là.

L’informatique reproduit des images hyperréelles (cf hyperréalité) mais moyennant virus, pannes, disfonctionnements, servages, etc…

Et les images observées ne sont que des illusions rétroprojetées par votre appareil télévisuel (dûment payé). Et c’est justement cette hypothèse forte – le binarisable, qui a remporté un succès. Alors je me suis dit, plus c’est restreint et nul et plus ça marche. Du coup, j’ai retrouvé une hypothèse encore plus forte que le binaire, à savoir que rien n’existe.

Paradoxe :

Je n’ai pas d’âme parce que la conscience n’est qu’une sorte de cohérence ondulatoire polarisée par un réseau de neurones : l’âme n’est qu’une illusion du fonctionnement neurologique.

Je n’ai pas d’esprit parce que les mots qui se forment sur le moment ne proviennent que d’une langue qu’on m’a forcé d’acquérir : à l’école, l’esprit, on nous l’a rentré au forceps !

Je n’ai pas de corps parce le corps n’est qu’un agrégat atomique difforme
nullement du ressort que quelque volonté de ma part.

N’ayant ni corps, ni âme, ni esprit : je n’existe pas.

NB : L’ordinateur comporte un interrupteur en ordre dispersé. Or pour autant que l’interrupteur fasse l’équivalent du « non », je t’en fais un homme révolté i.e. « l’homme révolté est l’homme qui dit non » (Camus) - et sacrément révolté !
Lyriss
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Message Posté le: Mar Aoû 12, 2008 18:08 pm    Sujet du message:
Xénastre a écrit:

Je n’ai pas de corps parce le corps n’est qu’un agrégat atomique difforme
nullement du ressort que quelque volonté de ma part.

N’ayant ni corps, ni âme, ni esprit : je n’existe pas.


si seulement ca pouvait être vrai ...
Xénastre
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Message Posté le: Mer Aoû 13, 2008 10:43 am    Sujet du message:
Comme disait un certain poète : « La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde ».

La vraie vie est absente parce que la vraie vie est gratuite contrairement à la notre ou tout est forcément payant, en monnaie ou en unités dolométriques.

Nous ne somme pas au monde parce que nos mouvements de par ce monde sont confinés dans la 3-D (i.e. espace tridimensionnel) qui ne semble après coup qu’un artifice de calcul, tels ces paradis artificiels curieusement ornementés. Mais je crains qu’aucun calcul ne soit gratuit – pour l’ordinateur, il faut payer la facture d’électricité. Après tout, la lumière, ce n’est également qu’une facture d’électricité à payer.

La loi dominante de la nature c’est « manger et être mangé » : tu manges, tu manges, mais sais-tu par quoi tu vas être mangé, par une sinistre douleur d’agonie ou par je ne sais quel monstre ou emporté par je ne sais quelle maladie ?

Dans la société de consommation, tu prends, tu consommes et tu jettes. Mais ensuite, tu es pris par la maladie, tu es consommé par la douleur, et tu es jeté comme un déchet : on crève ! Interchangeable dans le travail où nul n’est irremplaçable, puis recyclable, conformément à une thermodynamique immystérieuse (i.e. sans mystère) sous cet aspect dérisoire.

Mon avis, c’est que la vraie vie et le vrai monde sont impossibles – et c’est dans le réel qu’on éprouve l’impossibilité d’exister.

A mon avis, il n’y a pas de vraie vie, pas plus que de monde vrai, métaphysique – pour autant que la vérité soit relative à la fausseté, à la ruse, à l’esprit de calcul.

Sinon vous avez un livre d’Alain Badiou « logique des mondes » énonçant l’antithèse : « oui, la vraie vie est présente. Nous sommes au monde »

Fou, ouf, j’ai la migraine.




Remarque : si la lumière n’est qu’une facture d’électricité à payer.

On a une grosse lampe au-dessus de la tête, « le Grand Zéro Dans le Ciel ». De tous les symboles mathématiques, on n’a retenu du ciel que le Zéro voire le zéro pointé multiplié : le sot laye dans l’âpre aime y dit. Caisse qui paye la facture d’électricité pour ce bazar ?

La serveuse du « reste au rang » me demande : je vais m’occuper de votre cas, que désirez-vous ? - Oh, moi, pas Incas, pour moi Aztèque haché purée !

En effet, les Aztèque faisaient des sacrifices humains (d’où le surnom d’Aztèque haché), quand d’autres sacrifiaient des animaux, pour payer la facture d’électricité et bénéficier de récoltes prospères, sachant que les plantes poussent entre autre grâce à la lumière.

A l’aune de la post-modernité, la croix gammée ou swastika est précisément emblème solaire, et de nombreux sacrifices humains ont eu lieu – toujours cette satanée facture d’électricité à payer ! Avec la mondialisation, la machine sacrificielle et bien remontée et au mieux de sa forme. Les apparences sont sauves en retrouvant du lustre, et la vérité refoulée dans les ténèbres.

Le progrès : au nom du trafiquant de mines anti-personnelles, de l’unijambiste, et du concepteur de prothèses, éclate-toi ! On démolit les gens bien portant et on rafistole les infirmes. Ça parait nul, mais ça fait marcher le commerce : du coup, l’immonde n’est qu’une grosse usine à fric ! Où, du moins, si ça n’est pas de fric, on dirait une société anonyme a but dolométriquement rentable. La religion, ça marche fort pour l’usine à fric !
K
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Message Posté le: Mer Aoû 13, 2008 16:53 pm    Sujet du message:
c'est marrant, hein, comme avec la même langue, les mêmes lettres, les mêmes règles de grammaire, certains arrivent à faire de la crême, et d'autre de la boue.
Romulus
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Message Posté le: Mer Aoû 13, 2008 19:50 pm    Sujet du message:
Van Damme on t'a reconnu! Tu me signe un autographe steuplait?
Ozimandias
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 10:46 am    Sujet du message:
K a écrit:
c'est marrant, hein, comme avec la même langue, les mêmes lettres, les mêmes règles de grammaire, certains arrivent à faire de la crême, et d'autre de la boue.


de la merde.
Silver Mercure
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 11:24 am    Sujet du message:
comme tu es vulgaire, garçon.
Xénastre
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 14:31 pm    Sujet du message:
Le monde n’est peut-être pas aussi parfait d’une série indéfinie d’opposés qui s’annulent. Les opposés qui s’annulent, c’est ce qu’on peut appeler la trace du rien – le rien laissant une trace dans la réalité.

Bon, nos mouvements sont confinés dans la 3-D ?

Mais si, au lieu de paraître tridimensionnel, l’environnement nous paraissait infini-dimensionnel, ce serait l’horreur intégrale n’est-ce pas, ne serait-ce pas une effroyable et incommensurable folie, terreur absolue que d’être dans le réel au lieu d’appréhender une illusion de contact avec la réalité – chaos intégral ?

Le philosophe Jean Baudrillard, expose dans le premier chapitre de son livre « le crime parfait » :

http://www.usm.maine.edu/bcj/issues/three/baudrillard.html

Je cite :

« Heureusement que les objets qui nous apparaissent ont toujours déjà disparu. Heureusement que rien ne nous apparaît en temps réel, pas plus que les étoiles dans le ciel nocturne. Si la vitesse de la lumière était infinie, toutes les étoiles seraient là simultanément, et la voûte du ciel serait d'une incandescence insupportable. Heureusement que rien n'a lieu en temps réel, sinon nous serions soumis, dans l'information, à la lumière de tous les événements, et le présent serait d'une incandescence insupportable. Heureusement que nous vivons sur le mode d'une illusion vitale, sur le mode d'une absence, d'une irréalité, d'une non-immédiateté des choses. Heureusement que rien n'est instantané, ni simultané, ni contemporain. Heureusement que rien n'est présent ni identique à soi-même. Heureusement que la réalité n'a pas lieu. Heureusement que le crime n'est jamais parfait. »

En effet, heureusement que l’environnement ne nous paraît pas infini-dimensionnel !
Heureusement que le quantum d’affect ne se divise pas indéfiniment par zéro !

Remarque : avec une logique de tiers inclus, il m’est arrivé par exemple d’éprouver un rire de peine avec un pleuré de joie manifesté en une seule et même affreuse grimace !



Jean Baudrillard
Le crime parfait


S'il n'y avait pas les apparences, le monde serait un crime parfait, c'est-à-dire sans criminel, sans victime et sans mobile. Dont la vérité se serait à jamais retirée, et dont le secret ne serait jamais levé, faute de traces.

Mais, justement, le crime n'est jamais parfait, car le monde se trahit par les apparences, qui sont les traces de son inexistence, les traces de la continuité du rien. Car le rien lui-même, la continuité du rien laisse des traces. Et c'est par là que le monde trahit son secret. C'est par la qu'il se laisse pressentir, tout en se dérobant derrière les apparences.

L'artiste lui aussi est toujours proche du crime parfait, qui est de ne rien dire. Mais il s'en détache et son œuvre est la trace de cette imperfection criminelle. L'artiste est, selon Michaux, celui qui résiste de toutes ses forces à la pulsion fondamentale de ne pas laisser de traces.

La perfection du crime réside dans le fait qu'il est toujours déjà accompli - perfectum. Détournement, dès avant qu'il se produise, du monde tel qu'il est. Il ne sera donc jamais découvert. Il n'y aura pas de Jugement dernier pour le punir ou pour l'absoudre. Il n'y aura pas de fin parce que les choses ont toujours déjà eu lieu. Ni résolution ni absolution, mais déroulement inéluctable des conséquences. Précession du crime originel - dont peut-être on retrouverait la forme dérisoire dans la précession actuelle des simulacres? Notre destin ensuite, c'est l'accomplissement de ce crime, son déroulement implacable, la continuité du mal, la continuation du rien. Nous n'en vivrons jamais la scène primitive, mais nous en vivons à tout moment la prosécution et l'expiation. Il n'y a pas de fin à cela, et les conséquences en sont incalculables.

De même que les quelques secondes initiales du Big Bang sont insondables, les quelques secondes du crime originel son irrepérables. Crime fossile donc, comme les bruits fossiles épars dans l'univers. Et c'est l'énergie de ce crime, comme celle de l'explosion initiale, qui va se distribuer de par le monde, jusqu'à son épuisement éventuel.

Telle est la vision mythique du crime originel, celle de l'altération du monde dans le jeu de la séduction et des apparences, et de son illusion définitive.

Telle est la forme du secret.

La grande question philosophique était : "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien?". Aujourd'hui, la véritable question est: "Pourquoi y a-t-il rien plutôt que quelque chose?".

L'absence des choses à elles-mêmes, le fait qu'elles n'aient pas lieu tout en en prenant l'air, le fait que tout se retire derrière sa propre apparence et n'est donc jamais identique à lui-même, c'est là l'illusion matérielle du monde. Et celle-ci reste au fond la grande énigme, celle qui nous plonge dans l'effroi et dont nous nous protégeons par l'illusion formelle de la vérité.

Sous peine d'effroi, nous devons déchiffrer le monde, et donc en anéantir l'illusion première. Nous ne supportons ni le vide, ni le secret, ni l'apparence pure. Et pourquoi devrions-nous le déchiffrer, au lieu d'en laisser rayonner l'illusion comme telle, dans tout son éclat? Eh bien, cela aussi est une énigme, cela fait partie de l'énigme, que nous ne puissions en supporter le caractère énigmatique. Cela fait partie du monde, que nous ne puissions en supporter l'illusion ni l'apparence pure. Nous n'en supporterions pas mieux, si elle devait exister, la vérité radicale et la transparence.

La vérité, elle, veut se donner nue. Elle cherche nudité désespérément, comme Madonna dans le film qui l'a rendue célèbre. Ce strip-tease sans espoir est celui même de la réalité, qui se "dérobe" au sens littéral, offrant aux yeux des voyeurs crédules l'apparence de la nudité. Mais justement, cette nudité l'enveloppe d'une pellicule seconde, qui n'a même plus le charme érotique de la robe. Il n'y a même plus besoin de célibataires pour la mettre à nu, puisqu'elle a renoncé d'elle-même au trompe-l'œil pour le strip-tease.

La principale objection à la réalité est d'ailleurs son caractère de soumission inconditionnelle à toutes les hypothèses qu'on peut faire sur elle. C'est ainsi qu'elle décourage les esprits les plus vifs, par son conformisme le plus misérable. Vous pouvez la soumettre, elle et son principe (que font-ils d'ailleurs ensemble, sinon copuler platement et engendrer d'innombrables évidences?) aux sévices les plus cruels, aux provocations les plus obscènes, aux insinuations les plus paradoxales, elle se plie à tout avec une servilité inexorable. La réalité est une chienne. Quoi d'étonnant d'ailleurs, puisqu'elle est née de la fornication de la bêtise avec l'esprit de calcul - déchet de l'illusion sacrée livrée aux chacals de la science?

Pour retrouver la trace du rien, de l'inachèvement, de l'imperfection du crime, il faut donc ôter à la réalité du monde. Pour retrouver la constellation du secret, il faut ôter à l'accumulation de réalité et de langage. Il faut ôter un à un les mots du langage, ôter une à une les choses de la réalité, arracher le même au même. Il faut que, derrière chaque fragment de réalité, quelque chose ait disparu, pour assurer la continuité du rien - sans cependant céder à la tentation de l'anéantissement, car il faut que la disparition reste vivante, que la trace du crime reste vivante.

Ce que nous avons désappris de la modernité, où nous n'avons de cesse d'accumuler, d'additionner, de surenchérir, c'est que c'est la soustraction qui donne la force, que de l'absence naît la puissance. Et pour n'être plus capables d'affronter la maîtrise symbolique de l'absence, nous sommes aujourd'hui plongés dans l'illusion inverse, celle, désenchantée, de la prolifération des écrans et des images.

Or l'image ne peut plus imaginer le réel, puisqu'elle l'est. Elle ne peut plus le rêver, puisqu'elle en est la réalité virtuelle. C'est comme si les choses avaient avalé leur miroir, et étaient devenues transparentes à elles-mêmes, toutes entières présentes à elles-mêmes, en pleine lumière, en temps réel, dans une transcription impitoyable. Au lieu d'être absentes d'elles-mêmes dans l'illusion, elles sont forcées de s'inscrire sur les milliers d'écrans à l'horizon desquels non seulement le réel, mais l'image a disparu. La réalité a été chassée de la réalité. Seule la technologie relie peut-être encore les fragments épars du réel. Mais où est passée la constellation du sens?

Le seul suspense qui reste, c'est de savoir jusqu'où le monde peut se déréaliser avant de succomber à son trop peu de réalité, ou inversement jusqu'où peut-il s'hyperréaliser avant de succomber sous le trop de réalité (c'est-à-dire lorsque, devenu parfaitement réel, devenu plus vrai que le vrai, il tombera sous le coup de la simulation totale).

Pourtant il n'est pas sûr que la constellation du secret soit anéantie par la transparence de l'univers virtuel, ni que la puissance de l'illusion soit balayée par l'opération technique du monde. On peut pressentir derrière toutes les techniques une sorte d'affectation absolue et de double jeu - leur exorbitance même en faisant un jeu de transparition du monde, derrière l'illusion de le transformer. La technique est-elle l'alternative meurtrière à l'illusion du monde, ou bien n'est-elle qu'un avatar gigantesque de la même illusion fondamentale, son ultime et subtile péripétie, la dernière hypostase?

A travers la technique, c'est peut-être le monde qui se joue de nous, l'objet qui nous séduit par l'illusion du pouvoir que nous avons sur lui. Hypothèse vertigineuse: la rationalité, culminant dans la virtualité technique, serait la dernière des ruses de l'irraison, de cette volonté d'illusion, dont la volonté de vérité n'est, selon Nietzsche, qu'un détour et un avatar.

A l'horizon de la simulation, non seulement le monde a disparu, mais la question même de son existence ne peut plus être posée. Mais c'est peut-être une ruse du monde lui-même. Les iconolâtres de Byzance étaient des gens subtils qui prétendaient représenter Dieu pour sa plus grande gloire, mais qui, simulant Dieu dans les images, dissimulaient par là même le problème de son existence. Derrière chacune d'elles, en fait, Dieu avait disparu. Il n'était pas mort, il avait disparu. C'est-à-dire que le problème ne se posait même plus. Il était résolu par la simulation. Ainsi faisons-nous du problème de la vérité ou de la réalité de ce monde: nous l'avons résolu par la simulation technique, et par la profusion d'images où il n'y a rien à voir.

Mais n'est-ce pas la stratégie de Dieu lui-même que de profiter des images pour disparaître, obéissant lui-même à la pulsion de ne pas laisser de traces?

Ainsi la prophétie est réalisée: nous vivons dans un monde où la plus haute fonction du signe est de faire disparaître la réalité, et de masquer en même temps cette disparition. L'art aujourd'hui ne fait pas autre chose. Les media aujourd'hui ne font pas autre chose. C'est pourquoi ils sont voués au même destin.

Parce que rien ne veut plus exactement être regardé, mais seulement visuellement absorbé et circuler sans laisser de traces, dessinant en quelque sorte la forme esthétique simplifiée de l'échange impossible, il est difficile aujourd'hui de ressaisir les apparences. Si bien que le discours qui en rendrait compte serait un discours où il n'y a rien à dire - l'équivalent d'un monde où il n'y a rien à voir. L'équivalent d'un objet pur, d'un objet qui n'en est pas un. L'équivalence harmonieuse du rien par le rien, du Mal par le Mal. Mais l'objet qui n'en est pas un ne cesse de vous obséder par sa présence vide et immatérielle. Tout le problème est, aux confins du rien, de matérialiser ce rien - aux confins du vide, de tracer le filigrane du vide, - aux confins de l'indifférence, de jouer selon les règles mystérieuses de l'indifférence.

L'identification du monde est inutile. Il faut saisir les choses dans leur sommeil, ou dans toute autre conjoncture où elles s'absentent d'elles-mêmes. Comme dans les Belles Endormies, ou les vieillards passent la nuit auprès de ces femmes, fous de désir, mais sans y toucher, et s'éclipsent avant leur réveil. Eux aussi sont allongés auprès d'un objet qui n'en est pas un, et dont l'indifférence totale aiguise le sens érotique. Mais le plus énigmatique, c'est que rien ne permet de savoir si elles dorment vraiment ou si elles ne jouissent pas malicieusement, du fond de leur sommeil, de leur séduction et de leur propre désir en suspens.

N'être pas sensible à ce degré d'irréalité et de jeu, de malice et de spiritualité ironique du langage et du monde, c'est n'être pas capable de vivre en effet. L'intelligence n'est rien d'autre que ce pressentiment de l'illusion universelle, jusque dans la passion amoureuse, sans que celle-ci pourtant en soit altérée dans son mouvement naturel. Il y a quelque chose de plus fort que la passion : l'illusion. Il y a quelque chose de plus fort que le sexe ou le bonheur : la passion de l'illusion.

L'identification du monde est inutile. Même notre visage, nous ne pouvons l'identifier, puisque la symétrie en est altérée par le miroir. Le voir tel qu'il est serait de la folie, puisque nous n'aurions plus de secret pour nous-mêmes, et serions donc anéantis par transparence. L'homme n'aurait-il pas évolué vers une forme telle que son visage lui demeure invisible et qu'il devienne définitivement non identifiable, non seulement dans le secret de son visage, mais dans n'importe lequel de ses désirs? Mais il en est ainsi de tout objet, qui ne nous parvient que définitivement altéré, y compris sur l'écran de la science, y compris dans le miroir de l'information, y compris sur l'écran de notre cerveau. Toutes choses s'offrent ainsi sans espoir d'être autre chose que l'illusion d'elles-mêmes. Et c'est bien ainsi.

Heureusement que les objets qui nous apparaissent ont toujours déjà disparu. Heureusement que rien ne nous apparaît en temps réel, pas plus que les étoiles dans le ciel nocturne. Si la vitesse de la lumière était infinie, toutes les étoiles seraient là simultanément, et la voûte du ciel serait d'une incandescence insupportable. Heureusement que rien n'a lieu en temps réel, sinon nous serions soumis, dans l'information, à la lumière de tous les événements, et le présent serait d'une incandescence insupportable. Heureusement que nous vivons sur le mode d'une illusion vitale, sur le mode d'une absence, d'une irréalité, d'une non-immédiateté des choses. Heureusement que rien n'est instantané, ni simultané, ni contemporain. Heureusement que rien n'est présent ni identique à soi-même. Heureusement que la réalité n'a pas lieu. Heureusement que le crime n'est jamais parfait.

[ Jean Baudrillard, Le crime parfait, Paris, 1993, pp 13-21 ]


Dernière édition par Xénastre le Mer Sep 03, 2008 13:03 pm; édité 1 fois
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 15:51 pm    Sujet du message:
J'avoue faire fréquemment l'expérience que tu décris dans tes deux dernières lignes, ces derniers temps, à ceci près que mon "pleurer de joie" est chez moi remplacé par un "pleuré de rire".
Quoi qu'il en soit, la grimace est bel et bien affreuse, et à l'image du texte qui l'a initiée.
Xénastre
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 17:37 pm    Sujet du message:
Mais la logique du tiers exclu n’est pas géniale, car par exemple avec le scandale des « sans papiers », ce que l’on appelle un « sans papiers », se fout éventuellement de quelque identité nationale. J’imagine qu’il ne demande qu’à vivre. Avec le tiers exclu, n’ayant pas d’identité, on lui colle une fausse identité de « sans papiers », puis on le bannit. Et le malheureux ne trouve plus sa place dans le monde. La civilisation actuelle me semble affreusement barbare.
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 17:45 pm    Sujet du message:
Drame. Je t'offre mon épaule secourable pour pleurer, si tu veux.
Selva
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 18:48 pm    Sujet du message:
moi je préfèrerai ta carte de credit sa me rendrai vite le sourire dans ce monde de barbare
Silver Mercure
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Message Posté le: Jeu Aoû 14, 2008 19:03 pm    Sujet du message:
Xénastre a écrit:
ce que l’on appelle un « sans papiers », se fout éventuellement de quelque identité nationale. J’imagine qu’il ne demande qu’à vivre. Avec le tiers exclu, n’ayant pas d’identité, on lui colle une fausse identité de « sans papiers », puis on le bannit.

il peut aussi se foutre d'être banni.
alcibiade
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Message Posté le: Ven Aoû 15, 2008 18:12 pm    Sujet du message:
L'idél serait une joute verbale Xénastre/Onozimandias.
Ozimandias
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Message Posté le: Ven Aoû 15, 2008 22:14 pm    Sujet du message:
alcibiade a écrit:
L'idél serait une joute verbale Xénastre/Onozimandias.


Le problème c'est qu'il y a d'autres hurluberlu dont la nature de leur pensée est tellement éloignée de la mienne qu'il me faudrait presque leur mettre des couches et les nourrir à la béquée pour espérer obtenir quelque chose ...

Assurément je n'ai pas la fibre paternelle.


Et puis les messages s'empilent bien sans moi, alors ...
K
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Message Posté le: Ven Aoû 15, 2008 23:51 pm    Sujet du message:
...alors, divin architecte du raisonnement, reste à l'écart ; notre empilement tient, mais tu as un don inné pour en faire un jeu de mikado.

Ce qui, estéthiquement, logiquement et (soyons vastes) intellectuellement, est désagréable, n'est-ce pas ? Je crois savoir que c'est la seule chose sur laquelle nous sommes d'accord. Quand pensée caca, résultat caca. (j'espère ne pas te décevoir : est-ce assez scatophile pour que tu puisse préparer ta fine répartie ?)
Ozimandias
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Message Posté le: Sam Aoû 16, 2008 12:43 pm    Sujet du message:
K a écrit:
...alors, divin architecte du raisonnement, reste à l'écart ; notre empilement tient, mais tu as un don inné pour en faire un jeu de mikado.

Ce qui, estéthiquement, logiquement et (soyons vastes) intellectuellement, est désagréable, n'est-ce pas ? Je crois savoir que c'est la seule chose sur laquelle nous sommes d'accord. Quand pensée caca, résultat caca. (j'espère ne pas te décevoir : est-ce assez scatophile pour que tu puisse préparer ta fine répartie ?)


Ca tient ?
Si on peut dire qu'un tas tient, oui, assurément ça tient.

Et effectivement estéthiquement, logiquement et (soyons vastes) intellectuellement c'est désagréable. Très.

Je décris clairement et sans artifices que ce que je vois (c'est pas terrible), et après on m'en veux ou on me crois pas ...
Ce n'est pas parce que qu'on a dessiné un superbe aigle sur un rocher dans un tas de décombres que ça n'en reste pas moins un tas de décombres. Restez donc à trôner sur vos gravats je ne vous dérangerais pas plus que nécessaire.
Xénastre
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Message Posté le: Lun Aoû 18, 2008 17:13 pm    Sujet du message:
Cruel Zénon! Zénon d'Êlée! M'as-tu percé de cette flèche ailée ?

Hélas, hélas, la démocratie me semble impossible – comment, qu’il s’agisse de l’état ou du monde, ne peut-il y avoir que dictatures ? Confère le théorème de Kennett Arrow (Ho ! La Flèche !).

Je cite :

"Le théorème d'impossibilité d'Arrow, également appelé « paradoxe d'Arrow », est une confirmation mathématique dans certaines conditions précises du paradoxe évoqué par Condorcet selon lequel il n'existerait pas de fonction de choix social indiscutable, permettant d'agréger des préférences individuelles en préférences sociales. Pour Condorcet, il n'existait pas de système simple assurant cette cohérence. Arrow démontre, sous réserve d'acceptation de ses hypothèses, qu'il n'existerait pas de système du tout assurant la cohérence, hormis celui où un dictateur seul imposerait ses choix à tout le reste de la population.

Il fut plus tard établi que le paradoxe d'Arrow disparaissait si les préférences des électeurs pouvaient se matérialiser par une position sur un axe unique. Le pré-ordre sur le résultat du choix devient alors un ordre total et le paradoxe disparaît. Cette caractéristique est parfois rappelée lors des discussions sur les tendances au bipartisme en politique."


Dernière édition par Xénastre le Mer Sep 03, 2008 13:01 pm; édité 1 fois

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