tolosa
Petit nouveau
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Posté le: Sam Sep 03, 2005 14:04 pm Sujet du message: Tu ne dors pas
Tu ne dors pas. Dans la nuit tu écoutes les doux bruits de ta maison, les
gemissements du vent dans le jasmin qui agrémente de son parfum les abords de
ta chambre, les furtifs craquements des vieux planchers qui chuchotent
toujours les mêmes histoires. Ils parlent de toi peut-être, ou de ceux qui
t’ont précédé ici et dont tu ne sais rien. Tout est paisible dehors. Ta
femme est assoupie à tes cotés, abandonnée contre ton flanc. Mais tu ne
dors pas. Tu regardes, couché sur le dos, les mouvements précautionneux
d’un insecte qui inspecte ton plafond comme Livingston partait à la
découverte du Zambèze. La lune, qui a sorti ses quartiers, éclaire la
scène et nimbe le fragile coléoptère de couleurs étranges qui de banal le
font devenir mystérieux. Tu le regardes, obstiné, arpenter pour la centième
fois le même chemin sans jamais le reconnaître.
Tu sais qu’il faudrait que tu t’endormes : Il y a tellement de travaux qui
demain attendent leur proie. Mais tu songes à elle. A cette femme que tu as
aimée avant, dans une autre vie, aussi distante aujourd’hui de toi que
l’est cet avion qui injurie soudain le ciel en le souillant de traînées
pestilentielles, et qui trouble grossièrement le silence.
Tu te souviens des lettres que tu lui as écrites, lorsque épuisée par tes
frasques, elle s’est éloignée de toi, .
Petite étoile,
Combien de fois te dirais- je que j'aime t'écrire, mon petit ange irrésolu ?
Alors voici encore quelques pauvres mots jetés au vent de ma bataille
amoureuse, s'exerçant à la grâce dernière du vol d'un samare. Mais que
peuvent-ils vraiment faire, sinon mourir de ne pas être toujours entendus,
comme transfigurés par la mission dont ils s'imaginent investis? Oh bien sûr
ma toute belle, je sais qu'ils ne peuvent suffire à jeter un pont entre toi
et moi ; tu ne peux être persuadée de m'aimer encore. Mais les mots sont mes
serviteurs dociles ; obéissants, ils exécutent aveuglement la prière que
leur adresse leur général au cœur battant. En s'alignant sur cette feuille,
ils savent que leur combat est vain, perdu par avance, tant l'adversaire est
redoutable mais même si, n'en déplaise à Rostand, ce n'est pas plus beau
lorsque c'est inutile, ils sont fiers d'être là, témoignant, dans leur
défaite même, du drapeau qu'ils défendent.
Ces petits soldats, ces Marie-Louise de mon amour, sauront-ils un jour te dire
l'essentiel, soit que ma passion, comme tout sentiment, échappe aux lois
humaines ? Si elle est la force d'un ouragan, elle a pourtant la douceur d'une
brise marine. Elle ne pèse rien, c'est de n'en plus vouloir qui lui donne
certains jours sa pesanteur.
Voilà petit ange, cette lettre se termine, mais comment l'achever vraiment
sans te dire que j'aimerais évidemment te retrouver, pour bénéficier d'un
double souffle d'air pur, celui qui émane de toi, et celui qu'Eole consent à
donner au vent de la mer.
C'est si peu dire que je t'embrasse.
Ces mots tu les connais par cœur. Il te semble que tu les as écris
hier et pourtant il te suffirait de tourner légèrement la tête pour prendre
la véritable mesure du temps passé. Mais tu ne peux pas, tu a trop entendu
le fracas épouvantable des jours ordinaires pour en avoir le courage.
Un bruit soudain, dans la pièce à côté. C’est ton aîné qui se lève.
Tu le reconnais à son pas traînant. Tu l’imagines le baladeur déjà
vissé sur son crâne, comme s’il lui fallait se protéger d’un monde
qu’il n’a pas encore affronté. Tu prends soudainement conscience que cet
enfant que tu crois chérir est devenu un étranger. Il est ton engeance et tu
n’as rien à lui dire. Que pourrais tu comprendre de lui ? Que pourrais-tu
donc lui confier ?
Que tu donnerais dix ans de ta vie pour écrire une nouvelle lettre ?
P. S. - J'ai écris cette lettre un soir pour toi, pour rien, et en la
relisant je ne peux m'empêcher d'y ajouter un pré-scriptum. J'ai hésité
chaque jour à l’écrire tant je crains qu'en reconnaissant mon écriture,
tu fronces les sourcils ennuyée sans doute par mon inutile insistance. Mais
ce mouvement même de ton visage est si adorable quand il vient froisser
délicatement ton petit nez qu'il me fait monter au cœur, par imagination, un
peu de marée haute et de vent du large. Alors je dépasse la crainte de ton
irritation ; mes mots ne sont au fond que des roses en papier, sans épines,
mais qui, je l'espère, auront l'élégance de te plaire. Elles te sont
données par amour, c'est-à-dire pour rien, sans espérance particulière,
pour le simple bonheur de te faire plaisir.
Ma belle
Ma plume est une vieille dame élégante qui n'aime pas renoncer à ses
anciennes habitudes. Elle se plaint du silence en laquelle mon éloignement de
toi l'a rejetée. Elle me dit les chansons qu'elle porte encore et j'en entend
certains soirs la douce rumeur. Je n'ai pas le cœur à l'ignorer, car la
mère nature a parfois pour elle certaines bontés qui me sont utiles. Mais
étant fidèle à ma promesse, je ne peux plus t'écrire. Alors, je ne te
dirais pas comme j'aimerais le soir à la veillée baiser ton front, si
merveilleusement bombé qu'il annonce, comme la soie des dunes, la mer de ton
regard. Je ne te dirais pas le frémissement qui me parcourt l'échine lorsque
que je saisis dans l'air, comme une promesse de printemps, les fragrances de
ton ancien parfum. Je ne te dirais pas non plus que mes mots renoncent à
chanter ton sourire, car sa beauté est sans comparaison, il est une ondée
lumineuse, qui bouleverse et rassure à la fois. Je devrais, je le sais,
rappeler à l'ordre mes mots, leur enseigner la sagesse, mais ils sont,
emportés par la bourrasque des sentiments, comme ces épaves livrées aux
éléments qui meurent sur le rivage pour, peut-être, en troubler la
sérénité. Tu vois, je suis comme ces vieilles demeures qui, longtemps
après avoir été désertées, se nourrissent encore des légendes de leur
maître.
A regret, la sonnerie du réveil congédie ta rêverie dans son domaine
nocturne. Tu te tournes délicatement vers ton épouse. Son visage sur
l’oreiller à la douceur des certitudes. Un étrange sentiment t’envahit,
fait de paresse, d’amour et d’abandon. Une brusque envie de caresser son
corps te saisit soudain. Tu te rapproches de son visage, pour l’embrasser
tendrement et tu recueuilles sur ses lèvres comme une fleur empoisonnée,
dans un souffle murmuré, un prénom qui n’est pas le tien.[/i]
Toulouse 2005
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