stryd
De passage


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Posté le: Lun Aoû 15, 2005 21:01 pm Sujet du message: Any where out of the world
Hommage à Baudelaire...
Any where out of the world
N'importe où hors du monde
Cette vie est un hôpital où chaque malade
est possédé du désir de changer de lit. Celui-ci voudrait souffrir en face
du poêle, et celui-là croit qu'il guérirait à côté de la fenêtre.
Il me semble que je serais toujours bien là où je ne suis pas, et cette
question de déménagement en est une que je discute sans cesse avec mon âme.
"Dis-moi, mon âme, pauvre âme refroidie, que penserais-tu d'habiter
Lisbonne? Il doit y faire chaud, et tu t'y ragaillardirais comme un lézard.
Cette ville est au bord de l'eau; on dit qu'elle est bâtie en marbre, et que
le peuple y a une telle haine du végétal, qu'il arrache tous les arbres.
Voilà un paysage selon ton goût; un paysage fait avec la lumière et le
minéral, et le liquide pour les réfléchir!"
Mon âme ne répond pas.
"Puisque tu aimes tant le repos, avec le spectacle du mouvement, veux-tu venir
habiter la Hollande, cette terre béatifiante? Peut-être te divertiras-tu
dans cette contrée dont tu as souvent admiré l'image dans les musées. Que
penserais-tu de Rotterdam, toi qui aimes les forêts de mâts, et les navires
amarrés au pied des maisons?"
Mon âme reste muette.
"Batavia te sourirait peut-être davantage? Nous y trouverions d'ailleurs
l'esprit de l'Europe marié à la beauté tropicale."
Pas un mot. - Mon âme serait-elle morte?
"En es-tu donc venue à ce point d'engourdissement que tu ne te plaises que
dans ton mal? S'il en est ainsi, fuyons vers les pays qui sont les analogies
de la Mort.
- Je tiens notre affaire, pauvre âme! Nous ferons nos malles pour Tornéo.
Allons plus loin encore, à l'extrême bout de la Baltique; encore plus loin
de la vie, si c'est possible; installons-nous au pôle. Là le soleil ne frise
qu'obliquement la terre, et les lentes alternatives de la lumière et de la
nuit suppriment la variété et augmentent la monotonie, cette moitié du
néant. Là, nous pourrons prendre de longs bains de ténèbres, cependant
que, pour nous divertir, les aurores boréales nous enverront de temps en
temps leurs gerbes roses, comme des reflets d'un feu d'artifice de l'Enfer!"
Enfin, mon âme fait explosion, et sagement elle me crie: "N'importe où!
n'importe où! pourvu que ce soit hors de ce monde!"
Charles BAUDELAIRE.
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