chiron
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Posté le: Lun Juin 24, 2013 21:14 pm Sujet du message: Kerviel, un nouveau Dreyfus ? Par JLuc Mélenchon
Bonjour à tous,
En temps normal, j'évite de poster dans actualité car, j'ai souvent un avis
formé sur les sujets, donc avec le risque implicite de mal animer ou
modérer, et avec encore plus le risque d'une discussion mal équilibrée.
Mais comme personne ne poste en ce moment et que j'ai tout plein
d'interrogations, je vous fais suivre un billet de Mélenchon issu de son blog
(je ne reçois pas que cela, je vous rassure ) mais que je
trouve assez intéressant.
Mon premier intérêt est qu'il annonce que Christine Lagarde aurait donné
1,7 milliard d'euros à la Société Générale, une banque privée, sans
même vérifier les déclarations de cette banque et donc l'exigence des 1,7
milliards d'euro.
Et c'est à qui ces 1,7 milliards d'euros? Et bien cet argent est à nous, et
à votre choix soit sous forme de trésor public, soit sous forme d'impôts
passés ou à venir.
Décidément elle est bien gentille avec notre argent la Christine...
Du coup, effectivement, le tableau présentant Kerviel en Dreyfus en devient
convainquant voire pour les admirateurs de Zola et Jaurès, assez attrayant.
Donc si vous avez le courage d'une bonne lecture intéressante, qu'en
pensez-vous ?
Citation: |
Aux prud'hommes le 4
juillet, une injustice qui nous coûte 1,7 milliards d'euros !
Kerviel est innocent !
Par Jean-Luc Mélenchon le 20 juin 2013
Je n’ai aucune raison personnelle d’agir
comme je suis en train de le faire. Je m’attends même à soulever de
l’incompréhension et peut-être des reproches venant de mon camp. En
rédigeant ce post je m’associe en effet à la défense de Jérôme Kerviel,
un ancien trader de la Société Générale. Cet homme a été accusé par la
banque d’avoir trompé sa vigilance et de lui avoir occasionné des pertes
monstrueuses. Il a été condamné à une peine de prison et à payer une
somme qu’il ne pourra jamais réunir : 4,9 milliards d’euros. Dans
quelques jours, le 4 juillet prochain, Jérôme Kerviel passe aux Prud'hommes.
C’est le dernier recours dont il dispose pour contester qu’il ait commis
la « faute lourde » dont l’accuse la banque. Car cette incrimination, en
plus de toutes les autres peines, le condamne à la mort sociale, sans aucune
ressource et sans aucun accès aux droits sociaux les plus élémentaires. Je
crois que Jérôme Kerviel est innocent. Ceux qui l’ont fait condamner sont
donc coupables. Rude bataille en perspective. J’y prends ma place comme
soldat du rang. Juste par conviction à propos de l’idée que je me fais de
ce qu’est un comportement civique responsable.
Pour le militant politique que je suis,
défendre un trader dans un conflit avec sa banque est aussi décalé
que l’était la défense d’un capitaine monarchiste au début du siècle
précédent contre l’institution militaire unanime. Le militarisme était
alors notre ennemi car nous ne voulions pas de la guerre qu’il préparait.
Dreyfus en était un rouage conscient et satisfait. Mais il était innocent.
Les banques sont nos ennemis aujourd’hui car nous ne voulons pas du
désastre qu’elles organisent. Kerviel en était un rouage actif, content de
lui et du système. Mais Kerviel est innocent.
Tout part de là : selon moi, Jérôme Kerviel
est innocent. Et s’il l’est, sa condamnation est insupportable pour
une conscience libre. Si je ne la supporte pas je dois la combattre. Pourquoi
cette cause plutôt qu’une autre ? Parce que Kerviel n’est pas confronté
à ses actes mais à un système. Il est seul en face d’une organisation
toute puissante qui combine les moyens d’une banque et ceux de l’Etat.
Pour entrer dans cette défense je dois dire comment je comprends les faits.
Je dois montrer les ressorts qui ont permis cette injustice. Je dois exposer
ce que je crois être les causes de cette affaire. Ce chemin, que je croyais
nouveau, m’a ramené au pied de la même muraille où viennent battre les
manifestations auxquelles je participe, les pétitions que je signe, les
discours que je prononce. Voici devant nous les murs brillants des hauts
étages de la finance et des institutions monarchiques de notre pays. Voici
les arrogants, tout puissants qui s’amusent de la crédulité de ceux qui
respectent leur autorité et disposent de la vie des autres comme s’ils
n’existaient pas vraiment.
Je défends Jérôme Kerviel parce que je le
crois innocent. Je suis conscient qu’en le faisant, j’augmente le
nombre des ficelles stipendiées qui se tirent déjà contre moi. Je suis
conscient du fait que la preuve de l’innocence de Kerviel implique la
culpabilité de ceux qui l’ont fait condamner. Je sais que cela revient à
demander des comptes. Des comptes évalués de façon indépendante. Les
pertes reprochées à Jérôme Kerviel existent-elles vraiment ? Pourquoi le
juge a-t-il refusé systématiquement toute expertise indépendante de ces
pertes ? Pourquoi a–t-il choisi de croire sur parole la banque ? Pourquoi la
ministre Christine Lagarde a-t-elle fait verser à la banque un milliard 700
millions de dédommagement, alors que la condamnation de Jérôme Kerviel, qui
était la condition de ce versement, n’était pas définitive ? Pourquoi ce
dédommagement a–t-il été versé alors que le défaut de surveillance de
la banque sur son employé est attestée par l’organisme professionnel
bancaire qui en est chargé, ce qui interdisait tout dédommagement de la part
de l’Etat ?
Nous connaissons bien les mécanismes de notre temps qui permettent à la
finance de briser des millions de personnes d’un seul coup. D’un seul coup
de bourse, d’un seul clic, d’un seul joueur hors de toute réalité, noyé
dans son adrénaline, comme l’était Jérôme Kerviel du temps où il était
un petit prodige de la finance spéculative. Ici, nous voyons la même immense
énergie ramenée sur une scène plus étroite. On y voit comme sous une loupe
une gigantesque machine broyer un seul individu. De la réussite de ce broyage
dépendait la réussite d’une opération incroyable : le sauvetage d’une
banque dont la défaillance aurait pu effondrer le système bancaire mondial.
Commençons par le commencement pour moi.
Pourquoi se préoccuper de Jérôme Kerviel ? Il n’est en rien une
figure symbolique de notre camp. Ni socialement, c’est un trader, ni
politiquement du fait de son métier immoral au cœur du système de la
finance. J’avais cette image à l’esprit quand j’ai rencontré cet
homme. Je me suis dit : « voyons à quoi ressemblent les insectes qui
s’agitent dans la fourmilière de la finance ». Mais, bien sûr, ce n’est
pas un insecte. J’ai rencontré un être humain, évidemment. Des yeux
clairs, une mine mi-figue mi-raisin devant un personnage dont il devinait le
mauvais a priori. On a parlé, bien sûr. Pour finir, quand on s’est
séparé, il m’a dit : « Prenez soin de vous ». Ce garçon était bel et bien passé de l’autre côté du miroir.
Mais, d’après moi, il est revenu de ce côté-ci, dans
l’humanité.
Il revient de loin. Jérôme Kerviel était un trader « junior » très
dévoué à sa banque. Chaque année on lui fixait des objectifs de gain à
réaliser. Des objectifs de plus en plus élevés. Il les atteignait. Comme
une mule qui marche dans les chemins de sente, la tête baissée sur sa
tâche, il jonglait avec des sommes monstrueuses, virtuelles ou réelles, peu
importe car, dans ce monde, les chiffres ne sont pas ce qu’ils sont pour
nous. Ce sont des entités totalement abstraites, des bulles de couleurs, des
billes de flipper.
Ainsi sont faits les êtres humains. On les attelle au chariot et ils mettent
leur point d’honneur à tirer du mieux qu’ils peuvent. Souvent ils ne se
soucient pas de ce qui est transporté, ni de la direction choisie, ni du
chemin qui est pris. Nous sommes tous comme ça. Moins les rebelles,
heureusement, les courageux, les têtes dures, qui viennent des fois nous
faire lever le regard sur l’horizon. Kerviel faisait du chiffre comme il
aurait fait n’importe quoi d’autre. Un vrai bourrin. Une mentalité de
stakhanoviste. Non seulement il atteignait les objectifs mais il les
dépassait. Chaque année, la banque lui fixait des objectifs plus élevés.
Cette façon de faire courir la mule derrière la carotte s’appelle le
management aux objectifs et à la prime. Ainsi, en 2005, pour sa première
année, il réalise 5 millions d’euros de gains pour sa banque et touche un
bonus de 30.000 euros bruts. La moyenne d’un trader se situe à 3 millions
d’euros de gains. Le petit nouveau faisait donc beaucoup mieux que la
moyenne. Il est brillant. Et il est un peu con. La preuve : il gagne cinq
millions d’euros et il est content avec trente mille euros de prime. Moins
d’un pour cent. Ce fils d’une coiffeuse, diplômé de l’université
publique, manque de cette aptitude à la cupidité que les importants tètent
souvent dès leur biberon. Bref : à la tête de la banque ça rigole ! Ce
Kerviel n’est pas de leur monde. Ce n’est pas un « fils à papa ». Juste
un gars de Bretagne d’une famille modeste qui se croit devenu un important.
Car officiellement tous ces petits génies sont censés faire des analyses
financières et « investir dans l’économie, dans les secteurs d’avenir,
efficaces et bla bla… les emplois de demain ». En réalité ce type n’a
jamais vu une entreprise de sa vie. Il ne comprend pas un mot aux
qualifications professionnelles, il ne sait absolument rien de la production
en général et même en particulier. Il ne connaiît rien à l’économie
réelle. C’est juste un garçon qui a compris le « truc » des traders pour
gagner plus que les autres. Cela s’appelle dans leur jargon, le « spiel »
en allemand, soit le « jeu » : la spéculation pure et simple. C’est un
voyou légal de la finance légale. Il pourrait être champion du monde de
Monopoly. La réalité et les injonctions morales de la vie en société sont
des paramètres très flous pour cette sorte de personnes qui carburent à
l’adrénaline et mélangent le jour et la nuit.
En 2006, le brillant Jérôme Kerviel va faire du zèle. Il a montré à sa
hiérarchie qu’il est bon, qu’il n’a pas peur de prendre des risques !
Et en plus, il n’est pas gourmand en bonus ! Brave garçon ! La hiérarchie
dans la banque c’est comme partout ailleurs. Elle ne connaît qu’une
consigne : encore et même davantage ! On lui fixe de nouveau un objectif de 5
millions d’euros de profit. Hue, cocotte ! En bon soldat de la finance,
Kerviel s’exécute. Cette fois-ci, ça devient prodigieux. Il réalise à
lui seul un gain de 10 millions d’euros pour 2006. 10 millions d’euros !
Deux fois son objectif. Les meilleurs éléments font trois millions. Kerviel
est un génie de la voltige financière. La Banque lui octroie à nouveau un
bonus de pauvre : soixante mille euros bruts. Et, bien sûr, elle lui fixe un
objectif pour 2007. Encore 10 millions d’euros ! Le chiffre est un aveu. La
Banque sait très bien qu’un tel résultat ne peut se faire sans des sauts
périlleux et même très périlleux.
Evidemment, la banque est parfaitement
informée qu’il « se passe quelque chose » compte tenu des gains qu’elle
encaisse. Elle sait qu’il sont tant de fois supérieurs à la moyenne
des autres traders. Elle sait exactement avec quel dépassement des règles de
prudence cela est possible. Kerviel « spiel » bien au-delà des 125 millions
d’euros autorisés par jour. Ses agissements sont connus et couverts.
Etonnez-vous après ça qu’il ait pris de l’assurance : il est un des
meilleurs traders de son entreprise et il le sait. Alors il va plus loin dans
la prise de risques. En fait il n’a plus aucune limite. Personne ne
l’arrête puisqu’il gagne et qu'il est même encouragé. Il va jusqu’à
investir 50 milliards d’euros. Sachez que c’est l’équivalent de la
somme que débourse chaque année la France pour payer sa dette. Voyez
plutôt. Fin 2007, le seul « JK », son nom de code, fait gagner 1,5 milliard
à la Société Générale ! Son bonus aurait dû être de 300.000 euros. Mais
sa carrière de trader va s'arrêter là.
Quelque part dans les étages supérieurs où tout se décide, le monstre
froid qui l’emploie va le sacrifier pour les besoins d’un « spiel » de
très grande magnitude. Il faut une victime expiatoire. « Le sort tomba sur
le plus jeune » comme dit la chanson. Il est devenu l'homme qui va être
sacrifié sur l’autel des intérêts supérieurs de la banque.
Voyons à présent l’histoire telle qu’elle a été servie aux médias
dociles qui l’ont resservie telle quelle au bon peuple. De fait, tout le
monde a entendu parler de cet événement incroyable. Un jeune trader aurait
fait perdre près de 5 milliards d’euros à son employeur, la Société
Générale. Une des banques les plus puissantes du monde, une banque
systémique, vertueuse et vigilante, se serait faite gruger par un de ses
jeunes employés. Incroyable. D’ailleurs la banque elle-même n’en
revenait pas ! Elle a qualifié ce personnage inouï de terroriste,
d’escroc, de faussaire, de fou, d’instable, mais quand même aussi pendant
un temps, de génie. A l’énoncé du récit, j’ai réagis comme beaucoup
d’autres j’imagine. Je me suis dit : « bien fait pour eux ». Je ne me
suis intéressé à aucun détail. Pour moi ce Kerviel devait être une sorte
de Madoff dont je n’avais rien à faire. Mieux, je me réjouissais de penser
que des voyous qui avaient espéré faire des sur-profits, comme les offraient
Madoff, se soient fait bien essorés. Mais il y eu bien vite une gêne. Hasard
de la vie, un de mes plus proches amis s’intéresse à l’affaire. Il suit
le procès, entre en contact avec Kerviel et ses défenseurs. Il m’alerte.
Une fois Kerviel embastillé, c’est la
Société Générale qui a raconté la suite de l’histoire et qui en a
convaincu la Justice. Elle n’a pas hésité sur les frais de
communication ni sur les moyens d’influence. Voyons cette histoire dans sa
version banquière. La Société Générale aurait perdu 4,9 milliards
d’euros en soldant les opérations engagées par Jérôme Kerviel entre le
21 et le 23 janvier 2008. En 3 jours, la banque a vendu pour 50 milliards
d’euros d’actions. A perte, dit-elle. Elle évalue cette perte à 6,4
milliards d’euros. Mais elle déduit un gain. Il est réel mais masqué.
C’est celui de Jérôme Kerviel. Il y en a pour 1,5 milliard d’euros.
D’où sort ce milliard 500 millions d’euros ? C’est le montant réel des
gains engrangés par Jérôme Kerviel en 2007 au profit de la Société
générale. Incroyable ! Un montant astronomique. Un seul trader fait gagner
1,5 milliard d’euros à sa banque, celle-ci enregistre dans ses comptes ce
montant, mais prétend ne pas savoir comment il a réussi à parvenir à un
tel résultat !
Le jeudi 24 janvier, la Société Générale accuse Jérôme Kerviel d’être
responsable à lui seul d’une perte de 4,9 milliards d’euros et d’avoir
agi en trompant sa confiance, en manipulant des données informatiques et en
détournant les systèmes de contrôle internes. Elle dépose plainte contre
lui. Il sera arrêté, placé en détention provisoire, jugé et condamné en
2010 puis en 2012. Pour la Société Générale et pour la Justice, il est le
seul responsable et n’a pas de circonstances atténuantes. L’histoire est
terminée. Tout est clair. Circulez, il n’y a plus rien à voir.
Justement : c’est trop simple. Quand
l’affaire Kerviel commence nous sommes en janvier 2008. La crise des
subprimes s’annonce. La Société Générale est une des banques françaises
les plus touchées : pour la seule année 2007, elle doit déclarer une perte
de 2 milliards d’euros liée aux subprimes. Ce n’est pas une petite somme
à avouer. La banque pourrait subir un préjudice considérable si elle venait
à perdre la confiance. Elle pourrait s’effondrer. Cette banque là ne peut
pas et ne doit pas tomber. C’est une banque considérée comme «
systémique ». Cela signifie que sa défaillance affecterait le système
bancaire mondial tout entier. Comment éponger 2 milliards de pertes au plus
vite ? C’est difficile. Mais ils ont trouvé. La banque annonce sa perte due
aux « subprimes » le même jour où elle incrimine Kerviel pour 4,9
milliards. Attention, attention, suivez bien les doigts du joueur de
bonneteau.
Comme Kerviel est un voyou qui a trompé la banque, celle-ci peut aller
demander à l’Etat de compenser une partie de sa perte. En effet il existe
un mécanisme dans notre pays qui permet à une banque de récupérer une
partie de ses pertes (33%) si elles résultent d'une action frauduleuse.
Incroyable mais vrai. La banque inscrit donc la somme attendue dans son bilan
séance tenante. Pas de problème. Dès 2008, le Ministère de l’Economie et
des Finances verse 1,7 milliard d’euros à la Société Générale. Celle-ci
fait valoir comme prévu que ses pertes de l’année 2007 ne lui sont pas
imputables mais dues à une fraude. Cette somme permet de ramener la perte
bien réelle due aux subprimes à 300 millions. Rien d’insurmontable. Mais
pour que cette somme soit acquise il faut que Kerviel soit coupable de fraude.
Une fraude dont le 33% rapporte de quoi boucher le trou des subprimes. Oui
mais direz-vous la banque doit quand même éponger la perte des 4,9 milliards
dont elle dit que le seul Kerviel est responsable ! Oui, bien sûr. Attention
c’est là qu’est la ruse finale. Kerviel a été condamné à rembourser
4,9 milliards à la banque ! Celle-ci peut donc inscrire cette recette à
venir dans son bilan… un pur jeu d’écriture permet d’inscrire une perte
et sa contrepartie sans autre forme de procès. N’est-ce pas bien trouvé
tout ça ?
On comprend que la peur d’un effondrement bancaire conduisent a mener les
affaires d’une main prompte ! En 2008, Christine Lagarde, alors Ministre de
l'Economie et des Finances, n’a pas traîné quand la Société Générale
est venue lui présenter sa demande. Pourtant, à ce moment-là, Jérôme
Kerviel n'avait pas encore été reconnu coupable puisqu'il n'avait pas encore
été jugé. N’empêche ! La ministre a fait comme si tout était réglé.
Elle a pioché à la grosse louche dans les comptes publics : 1,7 milliard
d'euros sont passés des poches des contribuables à celle de la banque. Notez
bien ceci : la culpabilité de Kerviel permet un gros bénéfice : 1,7
milliard.
Difficile d'admettre le fait quand on sait que les services fiscaux
eux-mêmes, entendus par la Brigade financière, doutent que ce dédommagement
soit légal. Surtout, quand il s'agit de l'argent public, peut-on faire
quelque vérification avant de payer, non ? Par exemple en prenant le soin de
s'assurer de la réalité de la perte déclarée par la Société Générale.
La ministre a-t-elle demandé l'expertise indépendante pour connaître la
nature des pertes annoncées ? Non. Elle s’en est tenue à ce qui lui a
été dit par la banque. Un point c’est tout. Merveilleuse confiance.
Bizarre quand même ! Elle aurait pu se dire que c’était là une aubaine
incroyable pour la banque. Non, elle n’y a pas pensé. Pourtant dès le
premier moment des gens ont alerté. Sur le moment même des gens qualifiés
se sont posé la question. Ils l’ont fait publiquement. Ainsi Elie Cohen,
professeur à Sciences Po et directeur de recherche au CNRS. Il confiait par
exemple à l'AFP le 25 janvier 2008, que la Société Générale avait
préféré "charger un pauvre bougre", afin de faire passer des pertes qui
"s'étaient accumulées" au cours de la crise des subprimes. La banque "aurait
chargé la barque sur le thème de la fraude pour faire passer plusieurs
mauvaises opérations de marché". Donc madame Lagarde ne sait rien, ne voit
rien, ne lit rien, ne se pose aucune question. Son directeur de cabinet, qui
est pourtant le pivot de l’organisation ministérielle à Bercy ne la met
pas en garde. Comme on le sait depuis peu, l’activité de cet homme justifie
quelque question. La justice est en train de les lui poser dans le cadre de
l’affaire Tapie. Disons que, même si elle ne préjuge de rien,
l’inculpation « d’escroquerie en bande organisée » autorise le doute
sur d’autres décisions. Comme celle dont je parle ici.
En réalité il est très légitime de se
poser des questions. Car, bien sûr, on peut imaginer une Christine
Lagarde sans curiosité ni lecture de la presse sur le sujet au moment de
prendre une décision aussi coûteuse pour l’Etat. Mais il y a quand même
une faute caractérisée de sa part. Si elle est de bonne foi, elle aurait dû
être alertée avant de lâcher 1,7 milliard d'euros venant des poches des
contribuables. Un Commissaire aux comptes, interrogé par l'AFP (le 17 avril
2012) rappelle que le droit de venir taper à la porte de l’Etat pour se
faire rembourser des sommes perdues du fait de manœuvres frauduleuses n’est
pas automatique. Il faut quand même que la banque ait pris toutes ses
précautions pour ne pas se faire rouler. Sinon c’est trop facile de laisser
prendre des risques en fermant les yeux et d’aller ensuite faire les poches
de l’Etat si ça tourne mal ! Bref, dit-il, les 1,7 milliards ne peuvent
être versés que s’il n’y a pas eu « carence manifeste des dirigeants de
la société dans la mise en oeuvre des dispositifs de contrôle ». Pourtant,
voici un fait très important que la ministre ne pouvait ignorer: la Société
Générale a été condamnée par la Commission bancaire à une amende pour «
défaillance de ses systèmes de contrôle ». En effet durant l'année 2007,
de très nombreuses alertes sont intervenues pour signaler les dépassements
de plafond de « JK » sans que sa hiérarchie ne réagisse. A partir de là,
dès lors que la Commission bancaire sanctionne la Société générale pour
sa défaillance, l'Etat n'a pas à verser 1,7 milliard d'euros à la banque !
Pourtant madame Lagarde l’a fait !
J’espère que mon exposé est assez clair. Il est très difficile de
résumer une affaire de ce type dans laquelle toutes sortes d’informations
complèteraient bien le tableau mais l’embrouilleraient en même temps pour
qui le découvre. Ici je pense que l’on voit l’enchaînement des faits. Il
est guidé par le besoin de recevoir un versement de l’Etat dans un cadre
légal ordinaire. Pour cela tout se tient. Il faut que Kerviel soit un fou et
un manipulateur, pour que la banque puisse dire qu’elle ne pouvait savoir ce
qui se passait et donc qu'elle peut avoir droit au versement par l’Etat de
1,7 milliards. La culpabilité et la monstruosité des pertes de Kerviel
permet d’effacer tout le paysage qui pousse à douter. Prenons un exemple.
Pourquoi Kerviel aurait-il manipulé sa banque ? A-t-il tiré un profit
personnel ? A-t-il un compte en banque secret en suisse ou ailleurs ? Non
rien. Kerviel n’a pas un rond. Il vit de l’assistance de ses amis. Si la
perte occasionnée par ses décisions est si énorme pourquoi ne pas laisser
se faire une expertise indépendante plutôt que de croire la banque sur
parole ? Et ainsi de suite. Kerviel est innocent. Il est le miroir qui renvoie
l’image d’un monde qui ne peut pas se regarder en face. Voila pourquoi il
doit être brisé.
La politique a aussi ses droits dans le jugement rendu : peut-on condamner un
homme à une peine qu'il ne peut pas exécuter ? Jérôme Kerviel ne pourra
jamais payer 4,9 milliards d'euros de dommages et intérêts. Tout le monde le
sait. Faut-il le démontrer ? Il ne peut pas travailler non seulement parce
qu’aucune entreprise ne veut l'embaucher à cause de son nom, mais aussi
parce qu'il n'a pas de formation pour faire autre chose que les métiers liés
à la finance. La conséquence de sa condamnation est radicale : le droit
stipule que les dommages causés aux biens doivent être remboursés à leur
valeur. Si Kerviel a fait perdre 4,9 milliards il doit payer autant. Soit.
C’est en réalité une peine de mort sociale. Dès lors, avant de condamner
un homme à une telle sentence, ne doit-on pas d’abord s'assurer de la
réalité de la perte en demandant une expertise indépendante. Pourquoi le
juge l’a-t-il refusé ? Et l'Etat ? Lui-même, aurait pu exiger cette
expertise avant de payer 1,7 milliard d'euros. Pourquoi avoir cru la banque
sur parole ?
Mais si extravagant que soit son métier et
son rapport à l’entreprise, Jérôme Kerviel est quand même un
salarié. C’est-à-dire qu’il est inclus dans les rapports
juridiques du monde du travail ordinaire. Kerviel a été licencié pour «
faute lourde ». Il n’a donc perçu aucune indemnité. Ni ses congés
payés. Ni ses indemnités légales. Ni salaire. Rien. Il conteste donc ce
licenciement et porte l'affaire devant le Conseil des Prud'hommes. La
première audience, dite de conciliation, aura lieu le 4 juillet 2013 dans le
dixième arrondissement de Paris.
Durant toute l'affaire, les juges ont oublié que Jérôme Kerviel agissait
avant tout comme salarié. Ils ont oublié le contrat de subordination qui le
liait à la Société générale. Ils ont oublié que dans le cadre de son
emploi, il était soumis à une hiérarchie, à des objectifs, à un
contrôle. Que sa rémunération en dépendant, sa hiérarchie ne pouvait pas
ignorer ses gains. Il a fait gagner en 2 ans, près de 2 milliards d'euros à
sa banque !
Les mots en droit sont importants. La
« faute lourde » est invoquée quand un salarié a cherché à nuire «
intentionnellement » à son employeur. Bien sûr le Conseil des Prud'hommes
va devoir juger en droit. Il va devoir vérifier qu'il y a eu volonté de
nuire de la part de Jérôme Kerviel. Ce n'est pas ce qu'a démontré son
procès. Le jeune trader de l'époque cherchait au contraire à faire gagner
de l'argent à son employeur qui encaissait sans broncher des sommes
astronomiques. Si Jérôme Kerviel n'avait pas l'intention de nuire, le droit
du travail prévoit une requalification de son licenciement et la possibilité
pour le salarié de percevoir les indemnités liées à son contrat de
travail.
De plus, Jérôme Kerviel demande des dommages et intérêts à la Société
Générale. Il demande 4,9 milliards d'euros. Cette demande a pour but
d'obtenir une expertise : la vérification de la réalité de la perte
déclarée par la Société Générale est le cœur de la supercherie
suspectée. Si le Conseil des Prud'hommes requalifie le licenciement et si
l'expertise est ordonnée, Jérôme Kerviel peut avoir une nouvelle chance de
prouver qu'il n'a pas abusé la confiance de sa banque. Dès lors c’est elle
qui a trompé les juges. Alors le système qu'elle défend est en cause.
Jérôme Kerviel est innocent. Son affaire nous implique dans la mesure
où elle montre quel genre de jouet nous sommes devenus. Nous ne sommes plus
des citoyens libres si on peut nous prendre 1,7 milliards d’impôt pour les
donner à une banque sur la base d’une simple déclaration de sa part et à
partir de l’écrasement d’un homme fut-il un de leurs agents zélés.
L'affaire de Jérôme Kerviel doit permettre que la Justice, donc la
société, marque un point d’arrêt aux collusions des sommets de l’Etat
et de la finance. Un point d’arrêt à la toute puissance arrogante de
l’oligarchie. Kerviel est innocent, il a donc droit à notre solidarité
civique comme nous la devons aux milliers d’autres rouages que nous sommes
tous à des degrés divers parce que chaque jour nous faisons tourner le
système et nous manions nos cartes bancaires.
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Personnellement, je crois qu'encore une fois Mélenchon ne va pas se faire des
amis et que certains militants vont encore dire qu'il a pété un plomb.
Mais je trouve cela génial: il y croit... donc il y va. Plutôt que de
s'enfermer dans un pourquoi, il ouvre des "pourquoi pas" et fait ce qu'il
estime est juste.
Et pourquoi pas finalement ?
De plus, je trouve cela très intéressant et stratégiquement très bien
placé de porter d'affaire aux prudhommes, lesquels seront nécessairement
moins influençables par le pouvoir des banques.
Donc qu'en pensez-vous ?
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