alcibiade
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Posté le: Mar Jan 08, 2013 20:25 pm Sujet du message: Les chants de la pluie et du soleil d'Hugues Rebell
Une découverte récente, qui m'a agréablement surpris. Suite de textes en
prose et en vers libres, dont le fil conducteur est une sorte de paganisme
nietzschéen solaire et hédoniste, paru en 1894, introuvable sur le net et
récemment réédité.
Textes sur la nature, textes romantiques, philosophiques, politiques, un
mélange détonnant, souvent acide et assurément non-conformiste. A
redécouvrir d'urgence pour voir ce que peut être la prose poétique, et ce
que peut donner une poésie philosophique quand l'auteur sait à la fois
penser et écrire.
Un extrait:
"Le prisonnier qui, après avoir forcé des portes, trompé ses gardiens,
franchi vingt clôtures, retrouve enfin le soleil, l'air libre et le sourire
d'une jeune femme, n'a pas cette plénitude de bonheur que ressent mon esprit,
au sortir de la geôle douloureuse où il a gémi des années.
On a peine à se figurer un amoureux des ténèbres, un homme qui se fait
enfermer par plaisir dans un cachot. Tel étais-je pourtant et tel sont encore
beaucoup de mes contemporains.
Comment pourront-ils sortir ? Quel bon Génie les poussera dehors ? je ne
sais. J'avais du moins pour moi dans ma sombre cellule, l'impatience, le
désir de la lumière, mais pour les yeux dont je parle l'obscurité est
bienfaisante ; la vue de ces gens est si fatiguée que peut-être ne
s'habitueraient-ils pas aisément au grand jour.
Pauvres prisonniers volontaires ! que je vous plains. Vous imaginez dans
votre nuit mille fantômes qui ne vous divertissent qu'à demi ; vous vous
créez un para-dis futur qui a tout l'éclat des vieilles toiles vingt fois
retouchées, une âme idéale et gauche de jeune pen-sionnaire, une morale
pour les anges, un état à l'usage des impotents qui désirent prolonger
leurs infirmités, ce sont là des conceptions fort intéressantes, mais je
vous assure, si vous pouviez marcher, si vous pouviez voir, vous auriez pour
elles moins d'enthousiasme.
Oh ! si vous n'étiez pas des aveugles, si vous connais-siez le vaste Monde,
si parfois vous aviez senti l'écume vous fouetter le visage et aspiré
l'haleine salée du vent de mer, si vous aviez parcouru les cités immenses, -
les villes du travail et les villes de la jouissance ! - comme votre grave
rêverie vous paraîtrait puérile, et vain, ce songe que vous faites chaque
jour, d'une humanité qui n'est pas humaine, d'une société qui n'est pas
sociable.
Alors vous rougiriez de vos mépris et vous ne flagel-leriez pas votre corps
parce qu'il veut vivre, et vous ne maudiriez pas la Nature, parce qu'en
réglant l'ordre des choses, elle oublia de vous consulter. Vous laisseriez le
vice et la vertu s'épanouir selon l'intention divine et vous vénéreriez les
héros comme les manifestations les plus complètes de la Beauté.
Mais je ne m'attends point à être écouté de vous. Je chante pour
moi-même, ayant besoin de dire ma déli-vrance. Seulement, j'en ai l'espoir,
ceux qui ne sont point malades et en qui la nature resplendit, écouteront mes
paroles. Que ceux-là me pardonnent ces tristesses et ces colères qui, bien
que courtes, peuvent leur sem-bler misérables et sans signification. Ma
pensée est depuis longtemps au-dessus de ces mouvements tout instinctifs,
mais elle les admet comme des aiguillons nécessaires pour nous presser à
vivre, c'est même sur eux qu'elle compte pour édifier son repos et sa joie.
Cette joie de ma pensée, les variations de mon être inférieur ne sauraient
la démentir. Ne se retrouve-t-elle pas avec la Pensée de tous les temps pour
confesser les éternelles vérités ? Qu'importe que des âmes volontai-rement
obscurcies ne perçoivent pas l'éblouissante lumière ? Qu'importe que les
foules soient d'âge en âge souillées de préjugés comme le corps se couvre
de poussière ? Dans mon apparente solitude je suis tran-quille :
l'affirmation de tant de nobles ombres m'encourage.
ô Monde ! elles mentaient les voix du soir qui dirent au pilote que le grand
Pan était mort. Il dormait seule-ment, se reposant sur son œuvre, après
avoir fait la Grèce, après avoir fait Rome. Mais j'ai surpris son
tressaillement, il va se réveiller et les Aveugles ont beau chanter
maintenant leurs romances pleurardes ; ces membres impatients d'action, où
tout à l'heure s'accomplira l'œuvre merveilleuse de vie, annoncent à
l'humanité des jours de triomphe. La terre va être arrosée de sang nouveau
et de nouvelles roses vont fleurir."
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alcibiade
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Posté le: Lun Jan 21, 2013 17:14 pm Sujet du message:
Une critique acerbe du romantisme. (la mise en page est mauvaise, le texte est
bien sur en prose)
XI
Depuis cent ans que le monde cultive la tristesse comme
son plus magnifique jardin, et qu'il se divertit à pleurer,
dites-moi, ne sent-il point quelque fatigue ?
On a élevé les hommes pour la mélancolie, et ils ont ar-
boré le chagrin avec orgueil, et ils ont mis des violettes de
douleur à leur boutonnière.
Ah ! quand me délivrera-t-on de ces visages de petites
filles fouettées, de ces affreux pleurnicheurs qui se croient
géniaux parce qu'ils sont experts dans l'art du désespoir.
Ils sont fiers de n'avoir point de virilité, et dédaigneux
des choses terrestres, se faisant des pâleurs mystiques, ils
étendent la main vers le ciel avec hypocrisie, en s'écriant :
« Dieu ! que ne puis-je l'atteindre ! »
Mais je veux, afin de leur faire honte, élever la statue de
l'Homme idéal : je la poserai sur les places publiques,
pour que tous puissent la voir, pour que tous viennent l'ad-
mirer.
Vraiment Celui-là n'a point les yeux rouges, mais il sait
rire et marcher ; il subjugue les hommes par son cerveau
ou ses muscles, et les femmes, par son priape.
Il s'est dit tout d'abord : je veux être le Maître, et ce
désir est son laurier; même quand il tombe, même quand il
est vaincu, il ne perd point sa couronne.
Car l'Humanité, ce n'est point l'eau croupissante des ma-
récages, mais comme la lutte violente des flots une nuit
de tempête, et on se joint, et on bataille, et on frappe sans,
se voir — et cela pour la Beauté!
Le troupeau socialiste aura beau ouvrir des yeux ahuris
et cette vieille dame de protestantisme parler de sels et
d'évanouissement, l'Humanité n'arrêtera point sa marche,
ses ruts ni son combat.
Mais l'Homme idéal ne lutte point pour lui, ne songe pas
à ses blessures, il ne s'occupe point de ramasser les morts,
il ne s'émeut point aux cris des blessés, mais il s'en va
droit vers la mêlée, vers le drapeau qu'on menace.
Ce beau drapeau de l'Humanité,'cette loque aux mots de
lumière qu'on se passe de main en main, il veut à son tour
le défendre et faire flotter sa gloire, jusqu'à ce qu'il tombe,
jusqu'à ce qu'un héros le remplace et vienne arracher
l'étendard à son agonie.
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