Soleil59
De passage


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Posté le: Mer Oct 31, 2012 05:42 am Sujet du message: Extraits choisis
Alors, tout d'abord, il ne me semble pas avoir vu de sujet similaire, mais si
je fais fausse route, toutes mes confuses.
Ici, le but est de mettre un extrait (d'un livre ou d'un film par exemple) qui
vous a fait sourire/rire/vous a ému.
Pour ma part, étant de la confrérie des paresseux, cet extrait de Un bouquin n'est pas un livre de Rémi
Bertrand m'a fait sourire :
Citation: | Ennui/Paresse
L'ennui est avant tout un rapport à l'action ; la paresse, un rapport au
temps - et non l'inverse.
Bien sûr, l'ennui se fait sentir dans la durée ("Je m'ennuie ! Et cette
journée qui n'en finit pas..."), mais il surgit à cause d'un besoin
d'activité insatisfait. Bien sûr, la paresse se montre sous les traits de
l'oisiveté ("Il est bien trop paresseux pour travailler"), mais elle naît
d'une aptitude de l'homme à se laisser envelopper par le passage du temps, à
s'y abandonner. Celui qui s'ennuie ne souffre pas du temps, mais de l'inaction
; le paresseux ne s'applique pas à ne rien faire, mais à vivre le temps
comme un espace de rêverie et de liberté. L'ennui est manque ; la paresse
est plénitude. Ce qui fait dire à Jack Chaboud, dans son Petit Livre de la
paresse : "Le paresseux ne connaît pas l'ennui, sinon il travaillerait."
C'est par absence de travail que survient l'ennui ; c'est par interruption du
travail que s'installe la paresse. L'un et l'autre apparaissent par contraste
avec le temps du labeur : le premier se vit comme un sevrage ; la seconde,
comme un bon bol d'air.
Celui qui s'ennuie est dans un gouffre ; celui qui paresse est dans une
parenthèse. Angoisse de la vacuité ; plaisir de la vacance.
Paradoxe des sentiments : lorsqu'il manque, le travail fait le malheur de
l'individu qui s'ennuie (plus on adule le travail, moins on supporte l'ennui
engendré par son absence) ; le paresseux rêve d'un monde sans travail, mais
ne doit pourtant son bien-être qu'à la perspective du labeur. Jerome K.
Jerome, dans ses Pensées paresseuses d'un paresseux, a raison de préciser :
"Il est impossible d'apprécier sa paresse si on n'a pas une masse de travail
devant soi. Ce n'est pas drôle de ne rien faire quand on n'a rien à faire
!". Le paresseux doit une fière chandelle au travail !
La paresse (du latin pigritia, issu de piger, "lent") est l'art de la lenteur
: c'est en ce sens que l'Eglise en a fait un péché capital, celui par lequel
le religieux manifeste peu d'empressement à exécuter les rituels et les
prières ; quant à l'ennui, il semble étrangement associé à la célérité
: qui n'a jamais entendu l'expression "Je m'ennuie à du trois cents à
l'heure" (la vitesse varie d'un individu à l'autre...) ? Et pourtant... Le
temps semble toujours trop court pour la paresse : on aimerait tellement qu'il
s'étire encore, sans fin ; à l'inverse, le temps de l'ennuie paraît
interminable : on se lamente d'en être prisonnier. Paresse, art de la
lenteur... La Paresseuse de Bénabar en sait quelque chose, elle qui "caresse
l'idée d'aller à la piscine"et qui, pour s'y rendre, cultive le vice
jusqu'à "étudier le chemin le plus long, le transport le plus lent"... de
sorte qu'elle se félicite d'arriver après la fermeture !
La lenteur semble propice à la sérénité ; la vitesse, comme chacun sait,
engendre le stress. Ainsi, la paresse serait bénéfique ; l'ennui serait le
lot des angoissés (ou des anxieux ?...) - "ennuyer" vient du latin inodiare,
"être odieux", "être un objet de haine", d'où sa première signification,
"causer des tourments". Paresse, bonheur ; ennui, tourment de l'âme.
[...]
La paresse est une disposition de l'esprit ; l'ennui est la marque d'un esprit
indisposé. On peut vivre de paresse ; on ne peut que mourir d'ennui.
Alexandre le Bienheureux contre Racine.
Jerome K. Jerome écrit : "Ce qui caractérise le mieux un vrai paresseux,
c'est qu'il est toujours intensément occupé." Quant à l'ennui, c'est le
vide insupportable du désœuvrement. Ennui et paresse ne sont synonymes que
par l'impression dégagée par l'individu : celle de ne rien faire (d'où la
confusion, fréquente : "Que fais-tu ? Tu t'ennuies ? - Non, je flâne, je
paresse").
En réalité, le talent du paresseux est d'être productif sous le masque de
la désinvolture : agir, non par obligation, mais par désir, non par
aliénation à une finalité, mais juste pour le plaisir. La paresse est un
luxe personnel ; l'ennui reste enfermé dans la logique de la société
contemporaine : celle de l'utilitaire. La paresse consiste à perdre son temps
pour mieux en jouir ; l'ennui est uniquement la culpabilité de le perdre. Le
paresseux se laisse guider par l'imprévu et sa fantaisie (il n'a aucune
affinité avec ces individus "hyperbookés" qui "planifient" leurs "loisirs"
dans des "agendas" : autant de mots étrangers à son vocabulaire) ; quiconque
s'ennuie se sent d'une extrême et pathétique inutilité.
En somme, l'un jouit de la liberté ; l'autre souffre de ne pas la connaître.
Le vrai paresseux aime l'action, mais uniquement celle qu'il s'est choisie
(c'est pourquoi il peut être très intelligent, alors que le fainéant - qui
répugne à l'effort, quel qu'il soit - est souvent un cancre). Il faut
paresser pour être créatif ; l'ennui n'apporte rien. Le paresseux
s'émerveille de tout ; c'est la monotonie et le manque d'intérêt qui
créent l'ennui. La paresse nourrit le travail, l'ennui l'appauvrit.
La paresse est une chance : du temps "vraiment libre" qui donne de la
respiration à nos horaires. N'y est-il pas la plus belle des "plages"
? |
(Oui, le monsieur aime bien le point-virgule.)
|
PacGirl
Super actif


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Posté le: Mer Oct 31, 2012 17:50 pm Sujet du message:
C'est une partie du livre Ubik, de Philip K.
Dick, que j'ai lu dernièrement :
Citation: | [...]
Il prenait maintenant conscience d'une sensation de froid insidieuse,
suintante, qui avait commencé à l'envahir auparavant sans qu'il se souvienne
à quel moment - à le submerger en même temps que le monde alentour. Cela
lui rappelait leurs dernières minutes sur la Lune. Le froid altérait la
surface des objets, il les déformait, s'amoncelait sur eux en provoquant une
explosion de bulles qui chuintaient avant d'éclater. Et, aspiré à travers
les trous béants de ces crevaisons, il s’insinuait jusqu'au coeur des
choses, jusqu'au noyau qui leur donnait la vie. Al avait maintenant sous les
yeux un désert de glace hérissé de roches dénudées. Un vent soufflait sur
cette plaine gelée en quoi s'était transformée la réalité ; le vent
accentuait la glaciation, et la plupart des roches se mettaient à
disparaître. Et, aux angles de sa vision, s'amassaient des ténèbres qu'il
ne faisait qu'entr'apercevoir.
Mais, pensa-t-il, tout cela est une projection de ma part. Ce n'est pas
l'univers qui est enseveli sous des linceuls de vent, de froid, de ténèbres
et de glace : tout se passe à l'intérieur de moi, et pourtant il me semble
que je le vois de l'extérieur. Étrange, pensa-t-il. Le monde entier est-il
contenu en moi? Est-il englobé par mon corps? Quand cela s'est-il produit? Ce
doit être le signe que je vais mourir, se dit-il. Cette sensation
d'incertitude, ce ralentissement dû à l'entropie... c'est le déroulement
habituel, et la glace que j'aperçois marque le succès de ce déroulement. Si
je ferme les yeux, songea-t-il, l'univers dans sa totalité va disparaître.
Mais où sont les diverses lumières que je devrais apercevoir, les accès à
des matrices nouvelles? Où est notamment la lumière rouge fumeuse des
couples en train de forniquer? Et la lumière sombre et terne qui indique la
gloutonnerie bestiale? Tout ce que je perçois, c'est l'obscurité
grandissante et la déperdition complète de chaleur - une plaine qui se
refroidit, abandonnée de son soleil.
[...]
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