Mandos
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Posté le: Dim Aoû 14, 2011 20:16 pm Sujet du message:
C'est un petit matin qu'une légère brise,
Porteuse de grains chauds, effleure d'une bise
La brise et la bise étant deux sortes de vent, il est bizarre et redondant
que l'une effleure quelque chose avec l'autre. Par ailleurs la bise est un
vent puissant et glacial, sa coexistence avec la "brise", et le fait qu'elle
"effleure" le sujet du poème forment une image incohérente.
L'apposition "Porteuse de grains chauds" est assez lourde, n'a pas l'air très
utile, on dirait qu'elle est surtout là pour compléter le vers. Méfie-toi
des chevilles, elles sont abondantes dans ton texte. Méfie-toi aussi de la
surabondance des adjectifs épithètes (petit, légère, chaud...).
L'introduction du complément de temps par un présentatif "c'est... que" dans
un texte au présent est artificielle, et donne encore une fois l'impression
d'une cheville.
(Au bord d’une plage compagne du soleil)
La peau d’une blonde doucereuse et vermeille.
Ces deux vers présentent un e muet en sixième position, je n'ai pas
l'impression que tu l'aies fait exprès, et ce n'est pas très joli
(l'alexandrin fonctionne sur un rythme de base 6/6, essaie de prononcer ces
vers en marquant une pause au milieu, tu verras comme c'est désagréable : Au
bord d'une plagE / compagne du soleil). L'usage de la parenthèse n'est pas
nécessairement à proscrire, mais ici elle ne fait qu'ajouter un autre
complément, on a l'impression que tu as senti qu'une apposition de plus
serait un peu lourde, et que tu l'as remplacée par une parenthèse pour
varier un peu, mais ça ne marche pas très bien, surtout que "compagne du
soleil" constitue aussi une apposition imbriquée dans celle-ci. Si tu ne
trouves pas d'image ou de proposition qui s'insère harmonieusement dans ce
que tu dis, il serait préférable d'utiliser les syllabes inoccupées pour
créer la surprise (pas trop non plus, cf plus bas), ici ça fait un peu
rabâchage.
"Une blonde doucereuse et vermeille", c'est deux adjectifs épithètes
accolés à un adjectif substantivé, là encore méfiance. C'est aussi trois
clichés. Je sais bien qu'ils sont contredits plus loin, mais ça produit
quand même un effet désagréable à la lecture. On ne peut jouer avec des
clichés que si on les introduit avec une vraie maîtrise.
Les cheveux au vent, elle a son regard ancré
Dans les flots onduleux ainsi que son corps laid.
Là encore, problème de césure, un pronom personnel sujet en sixième
syllabe, c'est dissonant (ça fait un alexandrin coupé 5/7, ce qui ne
correspond pas à grand-chose) ; ça peut donner un genre, je te le concède,
mais là ce n'est pas très heureux.
L'allusion au corps formulée en hyperbate, ça pourrait être une bonne
idée, pour passer du regard éthéré à la trivialité organique,
j'apprécie la présence de l'adjectif "onduleux" appliqué aux "flots" et qui
rappelle les cheveux évoqués au vers précédent, mais l'effet de surprise
du "corps laid" est produit avec trop peu de tact. Premièrement, une
épithète aussi fortement axiologique, post-posée comme ça, ce n'est pas
très français. Deuxièmement, c'est très abstrait, on ne voit pas en somme
pourquoi son corps serait "laid", il vaudrait peut-être mieux donner des
détails physiques. Il me semble que tu as pris pour modèle quelque chose
comme la "Vénus anadyomène" de Rimbaud, mais ça ne soutient pas trop la
comparaison (je signale au passage que ce thème est empreint d'un fort
sexisme, et qu'il faut que tu saches quoi en faire). Troisièmement, dans la
mesure où l'effet n'est pas du tout préparé en amont, et où il est
introduit de cette manière assez gauche, un lecteur malveillant pourrait
avoir l'impression que le poème a été composé un peu au hasard, que tu
cherchais juste un moyen de finir ton vers, et que, trouvant seulement
l'adjectif "laid", tu t'es dit que ce serait le thème de ton texte.
J'ajouterai que "ancré" et "laid" ne riment pas (é fermé/è ouvert).
Aussi un voile blanc, corbeau à l’œil de feu,
Plane bien tout autour de la femme aux traits creux.
"corbeau à l'oeil de feu", encore une apposition. En plus, là encore, je
trouve que la paradoxe de l'image n'est pas très maîtrisé. Il peut être
intéressant de renverser le blanc en noir, le "voile" en "corbeau", mais
faute d'une certaine souplesse, on a surtout l'impression d'une incohérence.
"à l'oeil de feu", "aux traits creux", tout ça manque de variété dans les
tournures. L'image des "traits creux" est un peu confuse, on ne voit pas trop
ce qu'elle veut dire, et en tout état de cause elle ne s'accorde
qu'imparfaitement avec l'idée d'un "corps laid" : la vacuité peut fort bien
être associée à la beauté, c'est même un thème moral classique. Et ça
fait une épithète post-posée monosyllabique de plus à la fin d'un vers.
De même, "plane bien" : "bien" fait cheville.
L'eternel océan n’éclaire plus cet ange
Déchu, non! Doucement dans ses fonds il se range,
Et son grand esprit faible embrasse mortelles ondes.
Le premier vers passe assez bien, avec le contraste entre l'océan "éternel"
et un ange éphémère (puisque l'océan "ne l'éclaire plus"). Toutefois,
dans cet ordre d'idée, on ne comprend pas trop pourquoi l'ange serait
"déchu" (ce corps "laid" était-il "beau" avant ?). La fin du deuxième vers
est un peu confuse avec les reprises des éléments du poème par des pronoms
personnels dont on ne sait pas trop lequel renvoie à quoi. Enfin si, on
devine assez bien, mais ça gêne la lecture. Du reste, si dès maintenant la
femme/ange/laideron se "range" dans les "fonds" de l'océan, cela veut dire
que tes deux tercets décrivent la même chose, et je ne sais pas si c'est une
bonne idée de faire place dans un sonnet à une redondance aussi
spectaculaire.
Le troisième vers est vraiment trop bordélique. "grand esprit faible",
encore deux adjectifs. Malheureusement pour toi, la position des adjectifs,
avant ou après le substantif qu'ils qualifient, compte beaucoup en français,
et en l'occurrence "faible" a bien peu de raisons de se trouver post-posé,
surtout si "grand" est placé avant le nom. Du reste, la coexistence de ces
deux adjectifs antinomiques fait un oxymoron un peu facile. On voit que tu as
vraiment galéré pour réduire le nombre de syllabes dans le deuxième
hémistiche, mais le résultat est peu convaincant. Il y a toujours une
syllabe de trop (le e d' "embrasse" se prononce), et l'absence de tout
déterminant devant "ondes" ne se justifie pas.
Ce soir le soleil se noie dans la mer immonde,
Laissant de lui quelques éclaboussures d’étoiles.
Une triste folle, plonge. Seul remonte son voile.
Comme je l'ai dit plus haut, ce tercet décrit en somme la même chose que le
précédent, je ne sais pas si tu assumes.
Les trois vers sont mal calibrés : e muet en sixième position dans les deux
premiers, et deux apocopes illégitimes dans le troisième (on devrait
prononcer les e de "folle" et de "plonge")
L'utilisation de l'adjectif "immonde" présente ici plusieurs inconvénients :
1) cet adjectif est très hyperboliques 2) il n'a pas été préparé, et
tombe donc un peu comme un cheveux sur la soupe (cf plus haut "laid") 3)
jusqu'ici, l'entité marine, par sa beauté, par son intemporalité, formait
le contrepoint de la laide figure féminine. On s'explique mal ce
renversement, d'autant que tu fais surgir tout de suite après l'image un peu
convenue mais jolie des "éclaboussures d'étoiles" (le e d'éclaboussures se
prononce, ton vers a une syllabe de trop).
Le dernier vers est un peu emphatique, mais pourrait être bien, n'étaient
ces deux e dont tu n'as pas réussi à te débarrasser. Je te signale tout de
même que la virgule entre le sujet et le verbe ("Une triste folle, plonge")
n'a pas de raison d'être. La remontée du voile a quelque chose d'un peu
trivial dans l'expression, mais pourquoi pas.
Voilà les quelques remarques que m'inspire la lecture de ton poème. Je pense
que tu gagnerais à le retravailler. Renonce peut-être à la forme du sonnet
pour ce poème, parce que manifestement, tu as voulu exprimer trop d'idées
qui, n'ayant pas pu être développées avec la concision requise par cette
forme courte, semblent incohérentes, et par suite disharmonieuses.
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