alcibiade
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Posté le: Mer Sep 22, 2010 09:53 am Sujet du message: L'attachement au lieu
Selon Lévinas, l'attachement au lieu est la source de la division de
l'humanité entre autochtones et étrangers. C'est donc quelque chose de
néfaste, qui est en même temps l'essence des religions païennes(vues par
conséquent comme anti-humanistes). Au contraire, toujours selon Lévinas, le
judaïsme a libéré l'homme de cet attachement au lieu, et se pose ainsi
comme le fondement de tout humanisme. Que pensez-vous de ce raisonnement ?
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GROLUX
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Posté le: Mer Sep 22, 2010 12:00 pm Sujet du message:
J'en pense que judaïsme ou pas, à notre époque, l'étranger n'est plus
celui qui est en dehors de nos frontières, mais celui qui ne partage pas nos
critères ethniques, culturels ou religieux justement.
Donc, que Lévinas aille se rhabiller avec des pages de thora.
Je sais, mon commentaire est léger mais c'est histoire d'exercer mon droit
d'expression.
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Flying_Pirate
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Posté le: Mer Sep 22, 2010 12:05 pm Sujet du message:
pourtant les juifs font un bel exemple de peuple qui veut pas lacher un
morceau de terrain..
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Barbèlô
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Posté le: Mer Sep 22, 2010 14:16 pm Sujet du message:
Pourtant, le fait de s'établir sur une terre est directement lié avec
l'agriculture, l'architecture, l'évolution des arts en général. Sans parler
du développement des sciences, qui à partir d'un moment donné ne peut se
faire s'il n'y pas d'endroit où faire les recherches.
Mais comme pour toute chose, c'est l'excès qui est problématique pour ce
qui, au départ, était la solution idéale.
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uacuus
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Posté le: Mer Sep 22, 2010 17:20 pm Sujet du message:
Le terme d' "humanisme" en dehors du mouvement intellectuel du début de la
renaissance, caractérisé par un retour aux sources grecques et latine, est
souvent confus. C'est quasiment un synonyme de "bonne pensée". On défend
l'Homme, universel, quelles que soient ses différences ; on est tolérant, le
savoir c'est super, la culture aussi, d'ailleurs tout homme a une culture etc.
etc. Je ne sais si ce mot est dans le texte de Lévinas, ou si c'est Alcibiade
qui traduit à sa sauce, exprès pour rendre aisées les contradictions qu'on
pourrait opposer au philosophe.
Sinon, une chose est juste dans ce que Lévinas dit : à savoir le fort
attachement des Païens à un lieu, qui se manifeste par un culte local,
(Thésée fait partie du cycle d'Athènes, Heraclès du cycle thébain etc.)
De là : les multiples variantes mythologiques, les traditions orales
divergentes, etc. De là aussi un fort attachement à la Cité, à sa
défense, à sa glorification (dans ses formes oligarchique, tyrannique et
démocratique). Les luttes entre cités, les multiples guerres, les
réconcilations violentes par l'autorité d'un empire... tout cela ne saurait
être nié.
Néanmoins il y a des contre-parties à tout cela : l'étranger n'est pas en
soi tenu comme une personne qui n'a pas le droit au respect ; il ne faudrait
pas méconnaître les lois de l'hospitalité. L'hospitalité et les guerres
sont d'ailleurs trop opposées pour ne pas s'appeler l'une l'autre.
L'hospitalité peut être perçue comme une réaction contre la possibilité
d'un conflit dévastateur, et les guerres commencent souvent par une rupture
des lois de l'hospitalité. C'est bien le principal crime de Paris.
Enfin, cet attachement au lieu est archaïque, et est fortement modéré par
le commerce, les explorations, des colonisations (et les guerres mêmes
contribuent à cette ouverture). Hésiode très tôt fait une synthèse des
divers mythes cosmogoniques, synthèse charpentée, construite
intellectuellement. Homère brasse tous les dialectes, et est le maître de la
Grèce entière. L'Égypte et la Mésopotamie suscitent beaucoup d'intérêt.
Plus tard le dialogue avec Rome sera intense (témoin, Plutarque). Socrate se
définit comme un citoyen du monde, la pensée a vocation à dire les choses
universelles, mais sans se couper de références païennes.
Lévinas, à moins que sa pensée soit déformée par Alcibiade, semble donc
voir dans le paganisme un attachement basique et borné pour un petit bout de
terre, qui ne lui rend pas justice.
Sinon je n'ai pas constaté dans la Bible que les Hébreux ne soient pas
attachés à un lieu : bien au contraire, ils restent attachés à la terre
promise, alors même qu'ils en sont déracinés. L'arche de Moïse peut se
déplacer dans une tente, mais elle trouve refuge dans le temple de
Jérusalem. Si ensuite germe l'idée d'une Jérusalem céleste, pure, c'est
aussi parce qu'ils l'ont perdue.
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Barbèlô
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Posté le: Jeu Sep 23, 2010 00:29 am Sujet du message:
peux rien dire de mieux
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alcibiade
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Posté le: Jeu Sep 23, 2010 16:45 pm Sujet du message:
Citation: | Je
ne sais si ce mot est dans le texte de Lévinas, ou si c'est Alcibiade qui
traduit à sa sauce, exprès pour rendre aisées les contradictions qu'on
pourrait opposer au philosophe. |
Je suis plus honnête intellectuellement que ne le pense bionique,
rassure-toi. Un ouvrage de Lévinas est même intitulé "Humanisme de l'autre
homme". Si la traduction est mauvaise, elle ne vient en tout cas pas de moi.
Citation: | Lévinas, à moins que sa pensée soit déformée par Alcibiade,
semble donc voir dans le paganisme un attachement basique et borné pour un
petit bout de terre, qui ne lui rend pas justice.
|
L'antipaganisme de Lévinas est aussi connu (ou presque) que
l'antichristianisme de Nietzsche. C'est l'un des piliers de sa pensée en
fait.
Mais pour rassurer tout le monde, je mets ici un extrait de "Heidegger,
Gagarine et nous" de Lévinas (article très court que je vous invite à lire
en entier)
"La voilà donc l’éternelle séduction du paganisme, pardelà
l’infantilisme de l’idolâtrie, depuis longtemps surmonté. Le sacré
filtrant à travers le monde – le judaïsme n’est peut-être que la
négation de cela. Détruire les bosquets sacrés – nous comprenons
maintenant la pureté de ce prétendu vandalisme. Le mystère des choses est
la source de toute cruauté à l’égard des hommes.
L’implantation dans un paysage, l’attachement au Lieu, sans lequel
l’univers deviendrait insignifiant et existerait à peine, c’est la
scission même de l’humanité en autochtones et en étrangers. Et dans cette
perspective la technique est moins dangereuse que les génies du Lieu.
La technique supprime le privilège de cet enracinement et de l’exil qui
s’y réfère. Elle affranchit de cette alternative. Il ne s’agit pas de
revenir au nomadisme aussi incapable que l’existence sédentaire, de sortir
d’un paysage et d’un climat. La technique nous arrache au monde
heideggerien et aux superstitions du Lieu. Dès lors une chance apparaît :
apercevoir les hommes en dehors de la situation où ils sont campés, laisser
luire le visage humain dans sa nudité (...)
Le judaïsme a toujours été libre à l’égard des lieux. Il resta ainsi
fidèle à la valeur la plus haute. La Bible ne connaît qu’une Terre
Sainte. Terre fabuleuse qui vomit les injustes, terre où l’on ne
s’enracine pas sans conditions. Que le Livre des Livres est sobre dans ses
descriptions de la nature ! – " Pays où coulent le miel et le lait. " –
Le paysage se dit en termes alimentaires. Dans une phrase incidente : "
C’était alors la saison des premiers raisins " (Nombres 13-20) luit un
instant une grappe qui mûrit sous la brûlure d’un soleil généreux."
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Barbèlô
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Posté le: Jeu Sep 23, 2010 19:26 pm Sujet du message:
[quote="alcibiade"] Citation: |
"Que le Livre des Livres est sobre dans ses descriptions de la nature !
" |
En une phrase il a établie son parti-pris. Ce qu'il dit est néanmoins
intéressant même si ça ne reste qu'un point de vu qui pourrait être
infirmer si on en prend un autre
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alcibiade
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Posté le: Ven Sep 24, 2010 09:09 am Sujet du message:
Je ne crois pas que ce ne soit qu'une question de point de vue. Ce
raisonnement se veut basé historiquement. Or justement, Lévinas fait pas mal
de raccourcis pour conclure ce qu'il a envie de conclure.
L'attachement au lieu, c'est vrai, est très présent dans les cultures
païennes. Leur est-il pour autant exclusif ? Quand on voit l'importance de
Jérusalem pour les juifs, de la Mecque pour les musulmans... Lévinas dit
qu'on substitue un lieu aux lieux aux pluriel. Mais ça ne change rien. Pour
le shintoïsme aussi, il n'y a qu'une terre sacrée, le Japon.
Pour ce qui est du rejet de l'étranger, est-ce l'apanage des cultures
païennes ? Il est au contraire bien présent dans la Bible: interdiction de
se marier avec les étrangers, de diner avec eux, voire de leur parler. La
division Juifs/non-juifs, omniprésente, est beaucoup plus forte que la
distinction Grecs/barbares, qui est à l'origine une distinction
linguistique.
Le cosmopolitisme, n'est pas non plus, je pense, une invention du judaïsme.
Il ne commence à vraiment le marquer qu'après la diaspora. Le reste du
monde, notamment avec le mouvement cynique, a vu aussi se développer des
cosmopolitismes.
Le positif maintenant: il est vrai que l'attitude envers la nature est
différente dans le judaïsme et les religions qui en viennent. La nature y
est réduit à peu de choses. Le surnaturel au contraire, occupe une place
plus importante, puisque c'est lui qui révèle le divin, et non la nature. Le
renversement, de ce point de vue, est total.
Je pense donc de ce raisonnement qu'il a l'avantage de mettre en reliefs des
éléments intéressants, mais charrie également des déformations qui
frisent le délire. Il est également instructif de noter cette manie, qu'on
ne rencontre pas que chez Lévinas d'ailleurs, à vouloir opposer Athènes et
Jérusalem, comme si la seconde ne savait exister que contre la première.
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Barbèlô
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Posté le: Ven Sep 24, 2010 11:28 am Sujet du message:
alcibiade a
écrit: | Pour ce qui est du
rejet de l'étranger, est-ce l'apanage des cultures païennes ? Il est au
contraire bien présent dans la Bible: interdiction de se marier avec les
étrangers, de diner avec eux, voire de leur parler. La division
Juifs/non-juifs, omniprésente, est beaucoup plus forte que la distinction
Grecs/barbares, qui est à l'origine une distinction linguistique.
Le cosmopolitisme, n'est pas non plus, je pense, une invention du judaïsme.
Il ne commence à vraiment le marquer qu'après la diaspora. Le reste du
monde, notamment avec le mouvement cynique, a vu aussi se développer des
cosmopolitismes. |
Quand tu parles de la bible, tu veux sans doute parler de la Torah, parce que
dans le nouveau testament, il ne me semble pas que l'étranger soit
représenté comme une menace. Bien au contraire, il faut bien accueillir et
surtout être prêt à se déposséder pour quelqu'un qui en a besoin.
Pour ce qui est des mélanges de populations, il y avait des comptoirs
commerciaux dans beaucoup de villes portuaires avec les grecs, les
phéniciens... Sans parler des peuples entiers qui se déplaçaient pour fuir
un envahisseur ou simplement des voisin belliqueux- en disant ça, je pense
aux vandales qui ont traversé l'Europe et le détroit de Gibraltar pour
s'installer en Afrique du nord.
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alcibiade
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Posté le: Dim Sep 26, 2010 09:27 am Sujet du message:
Citation: | parce que dans le nouveau testament, il ne me semble pas que
l'étranger soit représenté comme une menace. |
Dans les actes des apotres, certains passages montrent des frictions entre
apotres, parce que certains pensent toujours qu'ils ne faut pas discuter,
manger, etc avec des non-juifs. Mais il est vrai que ce camp ne l'emporta pas
et que le ton général est plus porté vers le prosélytisme que vers le
repli sur soi.
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Barbèlô
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Posté le: Dim Sep 26, 2010 21:18 pm Sujet du message:
Et, je crois que Jésus n'arrête pas de leur dire qu'ils sont cons (dans un
autre langage mais ils s'en prennent plein les dents quand même).
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