uacuus
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Posté le: Mer Mar 17, 2010 21:30 pm Sujet du message: Re: Tempus Fugit.
Ce texte n'est pas complètement mauvais puisqu'il m'a fait découvrir
Coleridge. Les procédés fantastiques font d'ailleurs un peu penser à la
bonne vieille école, la fin du XIX° siècle, l'irruption du macabre dans un
univers en décomposition. Par certains côtés, cela sent un peu trop
l'école, mais je préfère cette odeur renfermée, au grand air frais de
l'ignorance satisfaite. Je pense par exemple à l'entrée de l'homme
mystérieux, désigné par un simple pronom.
Citation: |
Alors il entra, silhouette famélique, long pardessus noir, yeux délavés
aveuglés par la lumière trop crue des ampoules électriques. Il se glissa
comme l'onde entre la petite foule d'alcooliques, sans effleurer les filles
qui riaient à gorge déployée, abîmées d'eau-de-vie, sans bousculer les
garçons aux traits grossiers et au regard de bête. Nul n'avait remarqué son
entrée, et nul ne remarqua sa traversée. |
Ce côté "à part" au milieu d'une fête corrompue est un joli cliché. Mais
bien utilisé ici. Évidemment le mot "traversée" prépare la suite, sans
révéler les choses. Ce style fait preuve de savoir-faire. Néanmoins, il
s'encroûte très vite :
Citation: | Il
posa ses mains détrempées sur le zinc du bar, auréolé depuis tant
d'années de beuverie. Le crâne horriblement chauve à sa droite ne sembla
pas le voir. Il haussa les épaules, se tourna vers l'un des deux barmen. Il
prononça quelque-chose, des mots peut-être, ou même des songes, et les
songes et les mots se brisèrent contre le brouhaha comme sur des récifs.
|
"auréolé", certes c'est ironique... mais le mot est déjà tellement
employé de travers, qu'on dirait ici, qu'il s'agit encore une fois d'une
approximation lexicale, d'un laisser aller. La modalisation apportée par le
"peut être" est un effet beaucoup trop galvaudé ; il vaut mieux s'en
abstenir. Et la phrase finale est trop insistante.
Citation: | L'armoire à glace en face de lui semblait trop occupée à
noter une commande, de pizzas, apparemment. Un plat vulgaire pour une foule
vulgaire. Le pizzaiolo éternua, projetant un flot d'amas organiques divers
sur un couple ceinturé plus qu'enlacé. Le visiteur de minuit l'entendit
jurer et mettre en cause l'humidité, avant de s'en retourner vers sa pâte,
qu'il pétrit de ses mains encore humides d'égouttures verdâtres. Des
lèvres du jeune homme jaillit une nouvelle mélopée, qui devait elle aussi
aller s'abîmer dans cet océan de fureur. |
Oh encore la métaphore filée de l'océan...
Je passe l'incident de l'homme qui s'écroule, et me joins à la foule de
ceux, comme "la plupart, n'y prêtèrent pas la moindre attention". Pour la
suite, je ne m'appesantis pas sur le détail ; la traversée se fait sans
grande surprise, même si les détails qui abandonnent peuvent noyer le
lecteur. L'emploi de certains adjectifs désignant l'étonnement est un peu
puéril et premier degré : la femme est deux fois "interloquée". Et on
passera sur les yeux "écarquillés".
Malgré tous ces défauts, il se dégage quelque chose. Il faudrait affiner le
style, faire moins étalage d'ornements.
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