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Posté le: Mer Juin 24, 2009 20:17 pm Sujet du message: L'homme-excuse
Une rhapsodie qui a tout d'un caprice
i.
Aujourd'hui, je vais prendre sur moi. Aujourd'hui, je vais partager avec vous
un petit texte de ma composition... aujourd'hui, je me lance, je m'élance, je
me jette à l'eau: je vous écris quelque chose. Je vais prendre sur moi, je
ne comptais pas jusqu'à présent écrire un texte, c'est que je ne me suis
jamais considéré comme un écrivain; non, non, j'ai beau aimer lire et vivre
de belles histoires par crayon interposé, je ne m'étais encore jamais lancé
à l'eau, je ne m'étais jamais senti digne de prendre ce stylo que j'adulais,
ou tout du moins dont j'adulais les émanations encrées dans la main
d'autrui; voyez-vous, c'est tout autre chose de prendre son crayon soi-même,
de soi-même vouloir écrire une histoire, espérer susciter chez les autres
ce qu'on a aimé ressentir, soi, écrire cette histoire de soi, par soi, pour
les autres...
ii.
Je tiens tout d'abord à m'excuser; comme je disais, je ne suis pas écrivain,
je ne contrôle ni le stylo, ni le style; n'étant pas écrivain, je ne
saurais même dire ce qui est fond, ce qui est forme dans ces présentes
lignes. Je m'en remets à vous, lecteurs, vous qui siégez aujourd'hui comme
jadis je siégais hier, lorsque je n'étais pas encore écrivain mais simple
lecteur. Mais que dis-je, ce n'est pas comme si j'étais devenu écrivain,
j'ai juste voulu, pour quelques minutes, ressentir ce que cela faisait, de se
poser à la place de l'auteur - non, non, je ne me vois pas auteur -
l'usurpateur du crayon, en quelque sorte, je suis désolé pour cela.
J'espère juste que c'est bien une saine curiosité qui pousse le lecteur à
se relever, à essayer le fauteuil si confortable de l'auteur, de
l'écrivain... mais me voilà narrateur, je suis désolé encore une fois. Qui
va à la chasse perd sa place - me retrouverais-je condamné à siéger là
où je ne devrais pas - me retrouverais-je dans l'inconfortable position de
l'agent double, le cul entre deux chaises. Désolé si cela vous désole, je
m'en désole moi-même.
iii.
Sur quoi écrire - ah oui, sur quoi écrire? Je ne pensais pas, au début,
qu'il était si nécessaire d'avoir un sujet. Ou tout du moins un objet, bref
un contexte - verbe, adjectif, tout ce que vous voulez, je parlais du
contexte, il faut une chose de laquelle parler. Je me laissais - cloîtré
dans ma position - enfin mon ex-position - de lecteur - emporter par
l'histoire, bref, je veux dire qu'il y avait une histoire. Je n'avais pas
conscience jusqu'à ce que je prenne la plume qu'il était si important de
penser à l'histoire - garante de la présence du fond parmi - je veux dire,
malgré - la forme. Un contenu pour un contenant. Je m'en excuse.
Réfléchissons... non, écrivons: un auteur perd trop de temps à penser, je
souhaite être productif, je laisserai la plume guider ma main, et non ma main
guider ma plume: mon cervelet est là pour ça - la race humaine est plus
noble que ça. Au diable le sujet - il se présentera de lui-même.
Commençons par le commencement, c'est comme cela qu'il faut faire. Enfin, je
suppose: après tout, je ne suis pas écrivain, et je m'en excuse, je m'en
désole. Commençons.
iiii.
Au diable les conventions, au diable les connivences; voilà. J'osais invoquer le diable car
l'entreprise me semblait insensée: après tout, pour un simple figurant,
devenir acteur? Il est révolu le temps où les jeunes pousses envoyaient
jaillir leur semence littéraire en donnant de grands coups de plume -
désolé d'avoir parlé du malin, d'ailleurs - où les stylos étaient maniés
avec style par des éphèbes de l'écriture, rassemblaient ce pollen de
lettres qu'ils éjaculaient en in-octavo à la foule ébahie. J'ai le
sentiment d'avoir échoué - la Muse n'est pas là, elle n'a pas possédé mon
stylo - eh, aujourd'hui j'aurai essayé! L'impuissance à revêtir le crayon
montre bien que c'est un sacerdoce. Pardonnez ma verve. Point final.
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