Méphistophélès
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Posté le: Ven Avr 10, 2009 19:10 pm Sujet du message: Fable
Le chêne un jour dit au roseau :
« N'êtes-vous pas lassé d'écouter cette fable ?
La morale en est détestable ;
Les hommes bien légers de l'apprendre aux marmots.
Plier, plier toujours, n'est-ce pas déjà trop,
Le pli de l'humaine nature ? »
« Voire, dit le roseau, il ne fait pas trop beau ;
Le vent qui secoue vos ramures
(Si je puis en juger à niveau de roseau)
Pourrait vous prouver, d'aventure,
Que nous autres, petites gens,
Si faibles, si chétifs, si humbles, si prudents,
Dont la petite vie est le souci constant,
Résistons pourtant mieux aux tempêtes du monde
Que certains orgueilleux qui s'imaginent grands. »
Le vent se lève sur ses mots, l'orage gronde.
Et le souffle profond qui dévaste les bois,
Tout comme la première fois,
Jette le chêne fier qui le narguait par terre.
« Hé bien, dit le roseau, le cyclone passé -
Il se tenait courbé par un reste de vent -
Qu'en dites-vous donc mon compère ?
(Il ne se fût jamais permis ce mot avant)
Ce que j'avais prédit n'est-il pas arrivé ?"
On sentait dans sa voix sa haine
Satisfaite. Son morne regard allumé.
Le géant, qui souffrait, blessé,
De mille morts, de mille peines,
Eut un sourire triste et beau ;
Et, avant de mourir, regardant le roseau,
Lui dit : "Je suis encore un chêne."
Le Chêne et le Roseau, J. Anouilh
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alcibiade
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Posté le: Sam Avr 11, 2009 15:03 pm Sujet du message:
Les Fables de la Fontaine ont en effet en général une morale détestable.
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Méphistophélès
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Posté le: Dim Avr 12, 2009 10:32 am Sujet du message:
Attention, ce n'est pas une fable de la Fontaine. C'est une réécriture par
Jean Anouilh, dramaturge français du XXe.
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alcibiade
Suprème actif


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Posté le: Dim Avr 12, 2009 12:58 pm Sujet du message:
J'ai vu, mais ça critique une fable de la Fontaine non ?
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Rixehoney
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Posté le: Lun Avr 13, 2009 10:02 am Sujet du message:
Mon esprit cherche peut être à tord des ressemblances, mais on dirait qu'il
y a des points communs entre Ainsi parlait
Zarathoustra, que je suis entrain de lire, et ce poème de Jean
Anouilh; les thèmes et le ton de ce texte sont, il me semble, proche de celui
de Nietzsche dans son Zarathoustra.
"Il n'y pas d'égalité entre les hommes: ainsi parle la justice." Dans la
philosophie de Nietzsche, le roseau serait l'habile métaphore pour l'homme
faible par les ressentiments et l'obéissance; il est plié par le vent et le
poids. Le poids de la vengeance ou de la pure
connaissance.
Ainsi la jalousie parle à sa place et lui fait dire au chêne, sa
conservation face au danger; en somme, sa croyance sur ce qu'est la vie. Mais
pour Nietzsche, la vie doit être surmontée; et le chêne est dans cette voie
car il s'est mis en danger par sa grandeur et sa "volonté de puissance".
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Méphistophélès
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Posté le: Mar Avr 14, 2009 17:03 pm Sujet du message:
C'est une lecture amusante, mais assez éloignée je crois des considérations
esthétiques d'Anouilh. Anouilh n'est pas un philosophe, son théâtre n'est
pas un théâtre de pensées, ça il faut bien l'avoir à l'esprit. Son idée
qui est aussi celle de Giraudoux, et dans une certaine mesure, celle de
Cocteau, c'est un quotidien brusquement traversé par un élément qui lui est
extérieur, un point de corruption. Le monde tel que nous le connaissons
bascule alors, insidieusement, dans une réalité autre, une réalité que
l'on pourrait qualifier de poétique, de tragique, parce que la tragédie ce
n'est pas ce qui se finit mal, la tragédie c'est ce qui échappe à l'humain
pour se rapprocher du divin - pour rappel "tragédie" vient du grec "tragodia"
et signifie "le chant du bouc", animal sacré de Dionysos. Ce phénomène de
destruction, de corruption, de sacralisation du quotidien, Giraudoux l'appelle
"aube". L'aube est cette lueur étrange qui vient dissiper les ténèbres de
la nuit, éclairer ce qui est déjà pour donner vie à ce qui sera bientôt.
La fable du chêne et du roseau est finalement une bonne illustration de cette
esthétique tragique. Celui qui survit de part sa petitesse de condition et
d'esprit n'est pas le véritable vainqueur de la tragédie, ce en quoi la
morale de la Fontaine est complètement renversée. Il est insignifiant au
point qu'on lui permet de vivre. Le héros tragique au contraire est celui
qui, semblable au chêne, s'oppose à ce que notre monde à de plus vulgaire
de toute sa masse, de toute sa dureté, de toute sa noblesse aussi; il est
celui qui meurt en s'écriant avec Antigone:
Je ne veux pas comprendre, je ne suis pas là
pour comprendre: je suis là pour dire non et pour mourir.
Dernière édition par Méphistophélès le Mar Avr 14, 2009 17:18 pm; édité 2 fois
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La Bête
Silver Mercure

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Posté le: Mar Avr 14, 2009 17:15 pm Sujet du message:
ça me rappelle aussi un texte de Rousseau qui critiquait La Fontaine,
notamment son enseignement aux enfants, car presque systématiquement ceux-ci
concluent à une morale contraire à celle prônée par la fable (il me semble
qu'il prenait l'exemple de la fable du loup et du chien)
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uacuus
Super actif

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Posté le: Mer Avr 15, 2009 21:16 pm Sujet du message:
Oui, le précepteur demande obéissance et docilité, et il rabâche le chien
et le loup, il y a une contradiction.
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