Méphistophélès
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Posté le: Jeu Avr 02, 2009 18:49 pm Sujet du message: Ecrivain de la suggestion, écrivain de la saturation
Ecrivain de la suggestion, écrivain de la
saturation
Je lisais il y a quelque temps, sur un bout de papier froissé, la note
suivante:
"Zweig, écrivain de la suggestion.
Schnitzler, écrivain de la saturation."
Cette distinction entre les deux auteurs n'était pas sans m'en rappeler une
autre assez semblable que l'un de mes professeurs de littérature avait
relevé: celle-ci présentait Stendhal comme écrivain du sous-entendu, et
Zola, un écrivain "qui en fait toujours des tonnes". On ne peut être tout à
fait indifférent à ces formulations: elles invitent le lecteur à prendre
position en faveur de l'un ou l'autre camp, en même temps qu'elles nous
appelent insidieusement à rejoindre Zweig, à rejoindre Stendhal. Et entre la
lourdeur et la légèreté, qui irait choisir la lourdeur ? Moi, bien
évidemment.
Il me suffit de jeter un oeil sur les oeuvres qui m'ont marqué pour réaliser
que toutes viennent rendre compte de cet art de la lourdeur. Je pense à Zola,
mais aussi à Beckett, et par dessus tout à Sade. Sade est peut-être
l'écrivain s'étant aventuré le plus loin sur cette voie. Saturation de
l'écriture: Sade n'est pas vraiment un adepte de l'euphémisme et du
sous-entendu, il dit clairement prenant un plaisir certain à étouffer le
lecteur sous une avalanche de détails, la parole s'emballe, perd toute
conscience de la réalité jusqu'à ce que le plaisir de dire prenne le pas
sur le récit. Saturation de la composition: sans trop forcer le trait, je
pense que l'on peut dire des oeuvres de Sade qu'elles sont toutes construites
de la même manière; les scènes de débauches alternent avec des séquences
de débats philosophiques, et le schéma se répète encore et encore,
l'action suscite la théorie, et la théorie excite suffisamment les libertins
pour les replonger aussitôt dans leurs déreglements, le tout formant une
véritable "métaphysique de la réitération" (Béatrice Didier). Saturation
des corps enfin: chez Sade, il n'y a pas d'espace vide, Sade a le vide en
horreur; les scènes de débauches forment des tableaux dans lesquels les
corps sont étroitement entremêlés, chaque parcelle du corps doit participer
à l'action. C'est finalement une parole englobante, absolue, souveraine, dont
le secret objectif est de "tout dire" - c'est une note limite au-delà de
laquelle il n'y a plus rien, la pensée comme la parole s'autodétruisent -
c'est un orgasme, tout puissant dans l'instant où il éclôt, et dont la
violence cache mal une hantise larvée: celle du vide angoissant qui succède
à la jouissance, celle du silence.
Peut-être est-ce ainsi qu'il faut lire tous ces auteurs: ils font le pari
perdu d'avance - et ils le savent - de trouver le mot qui dira tout. Non pas
parce que ce mot concentre tous les sens, ni même qu'il est porteur d'une
vérité poétique ou philosophique, mais simplement parce qu'il répond à
une part tout à fait intime de nous même, une part fantasmée: peut-être
est-ce le mot que l'on a toujours cherché dans les livres sans jamais
réussir à mettre la main dessus, celui qui nous délivrera de la
frustration. Je crois que la lourdeur elle-même peut être belle lorsqu'elle
répond à un impératif aussi puissant et aussi deséspéré que celui-ci.
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XxLuciolexX
Suprème actif


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Posté le: Jeu Avr 02, 2009 19:04 pm Sujet du message: Re: Ecrivain de la suggestion, écrivain de la saturation
Méphistophélès a
écrit: |
ils font le pari perdu d'avance - et ils le savent - de trouver le mot qui
dira tout. |
C'est pas le contraire?
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Lyriss
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Posté le: Jeu Avr 02, 2009 19:06 pm Sujet du message:
C'est cela, oui ...
Dernière édition par Lyriss le Jeu Avr 02, 2009 19:08 pm; édité 2 fois
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Méphistophélès
Suprème actif


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Posté le: Jeu Avr 02, 2009 19:06 pm Sujet du message:
Justement non. Concentrer la charge sémantique en peu de mots, au moyen du
sous entendu ou de la litote par exemple, procédés dont Stendhal est friand,
ce n'est pas tout dire en une seule fois, tout concentrer en une seule unité,
en une seule entité, enfin, ce n'est pas tout dire, c'est dire simplement,
avec efficacité, c'est à dire avec prosaïsme. De ce point de vue, Zola est
un illuminé, un mystique et Stendhal un technicien du mot.
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Tsubi
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Posté le: Mer Avr 08, 2009 08:47 am Sujet du message:
C'est pas toi qui abhorrait Céline ?
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oeildenuit
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Posté le: Mer Avr 08, 2009 18:32 pm Sujet du message:
C'est difficilement envisageable.
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