alcibiade
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Posté le: Sam Aoû 23, 2008 18:15 pm Sujet du message: Une vieille affaire toujours marrante
Comment une blague d'un site de jeux vidéo peut elle etre prise au sérieux
par France télévision et Libération ? La réponse ici:
"Cette affaire aura pris des proportions assez incroyables, et nous même on
est un peu sonnés par son ampleur. Mais fort heureusement, grâce au soutien
de nombreux sites et journalistes, petit à petit les choses ont pu être
dites, et la vérité a eu le temps de se faire connaître. Toute la vérité
? Evidemment non, il reste quelques zones d'ombre et des éléments à
rappeler. C'est pour cela que nous vous proposons ce dossier complet,
l'occasion de revenir sur les détails de l'affaire et sur ce que nous
trouvons important de préciser maintenant qu'elle est close. Attention,
certaines scènes peuvent heurter un public d'habitude peu méfiant envers les
médias et les poches de silicone.
Résumé de l'histoire :
Tout commence le 4 mars 2004, lorsque notre cher Ed Warner (Thomas Huguet)
publie une news sur le report de Dead or Alive Ultimate au Japon. Pour ceux
qui ne connaîtraient pas, il s'agit d'une série de jeux de combat très
réputée dans le monde, dont cet épisode est le premier à être jouable
intégralement par internet sur le service Xbox Live de Microsoft. Dans cette
annonce de report donc, Ed Warner entame son article en écrivant : « La
nouvelle a provoqué un drame au pays du soleil levant : 147 otakus se sont
suicidés en gobant des poches de silicone pour protester contre ce report de
la part de Tecmo ». Un trait d'humour (noir) évidemment, comme Ed Warner et
d'autres rédacteurs du site aiment en faire, en rapport avec les gros seins
des héroïnes du jeu. Mais à ce stade si le doute était permis, la
conclusion du même article ne laissait aucune ambiguïté quant à la portée
satyrique de la phrase : « on me signale à l'instant que les fanas d'import
qui avaient précommandé la bête viennent d'être retrouvés pendus avec un
soutif géant ». Bref, le 4 mars nous avions surtout l'impression d'avoir
diverti nos lecteurs.
Seulement voilà, le 1er Novembre dernier, dans un article sur les suicides
collectifs, le correspondant de Libération reprenait cette blague, et
terminait son papier par « En février 2003, l'annonce du report de la vente
du jeu vidéo de combat Dead or Alive a traumatisé les otaku (fadas de jeux
vidéo). Furieux, 147 d'entre eux, collégiens ou lycéens, se sont suicidés
en gobant des poches de silicone. »
L'affaire était passée plutôt inaperçue, jusqu'au 21 novembre dernier où,
à la vingtième minute de son journal, Béatrice Schoenberg lance le
reportage de M. Philippe Rochot sur les suicides collectifs au Japon (en
téléchargement ici). Celui-ci entame en annonçant que « ici, le seul
retard d'un jeu intitulé « Mort ou Vif » (ndlr : traduction de Dead or
Alive) a provoqué le suicide de 147 collégiens qui ont gobé des poches de
silicone ».
Fichtre, en voilà une mauvaise nouvelle !
Les péripéties de « l'affaire »
Le lendemain de la diffusion du reportage de France 2, Alex Pilot (que les
adeptes de la chaîne Gameone connaissent bien) poste un message dans les
forums du site Gros Pixels, s'indignant sur cette information parue au journal
télévisé la veille, puisque lui-même n'en avait jamais entendu parler (et
pour cause). Quelques jours s'écoulent, jusqu'à ce qu'un de nos modérateurs
(Reza) nous avertisse que visiblement, une de nos blagues avait fini au
journal de 20h de la chaîne publique. Une fois devant les messages du forum
où la chose a été remarquée, l'affaire ne fait plus aucun doute : il y a
bien eu une erreur, et ces poches de silicone ne pouvaient venir d'ailleurs
que de chez nous (la date, le nombre, le vocabulaire et la méthode du suicide
étant exactement les mêmes).
Ni une ni deux, maintenant il s'agissait de faire rectifier le tir par les
rédactions de France 2 et de Libération, puisque mine de rien on a dit à
quelques centaines de milliers de lecteurs et 7 millions de téléspectateurs
que les jeux vidéo pouvaient entraîner un comportement suicidaire ( !!).
Nous envoyons donc des emails aux rédactions concernées, prévenons qui nous
pouvons et publions un article détaillant l'histoire . L'impact est
immédiat, et dans les 24h qui ont suivi l'affaire est relayée par les plus
grands sites de jeux vidéo (Gamekult, Jeuxvidéo.com, Overgame etc), des
sites d'info (ZDNet, Free News, Nouvo.ch) par beaucoup de sites de fans de
jeux vidéo ainsi qu'une ribambelle de bloggeurs (non exhaustif). Evidemment
ce ramdam nous a amenés deux jours d'affilée à bloquer l'accès au site
pour que seule l'info soit accessible, avec une pointe à 30 000 visiteurs
différents le 25 novembre dernier.
La rédaction de Libération a réagi plutôt vite et a publié un erratum le
25 novembre sur son site et dans son journal, s'excusant auprès de ses
lecteurs. Le journaliste ayant rédigé l'article nous a appelés de Tokyo
pour s'excuser, et nous expliquer qu'il a fait une erreur dont visiblement il
avait honte, et qu'il imputait cela à la fatigue et à l'empressement. Faute
avouée est à moitié pardonnée comme on dit, et la réactivité et
l'honnêteté dont il a fait preuve sont à signaler. A côté de cela le
vendredi 26 novembre Jean Marc Morandini consacre une bonne partie de son
émission à cette histoire sur Europe 1, et j'y suis moi-même interrogé. Le
dimanche suivant, Arrêt sur Images, qui nous avait contactés, ouvre son
émission sur l'affaire, les journalistes terminant à moitié hilares sur le
plateau (comme quoi l'humour d'Ed Warner est universel !). L'émission est
visible ici.
Le lundi qui suit, c'est au tour de France 2 de réagir (ils auront mis le
temps !). Au lieu de passer le dimanche, comme promis durant l'émission de
Morandini sur Europe 1, un rectificatif est fait dans l'édition du lundi 29
novembre par David Pujadas, annonçant que « un reportage évoquait la mort
simultanée via internet de 147 jeunes, eh bien cette information parue dans
la presse asiatique anglophone était erronée » (on reviendra sur ce
rectificatif un peu après). Le même jour, M. Allanic, médiateur de la
rédaction de France 2, nous contacte pour nous demander de participer à son
hebdo du samedi 4 décembre, dont l'affaire serait le sujet principal. Rendez
vous est pris.
Les erreurs de France Télévision
Avant toute chose, il est utile de rappeler que les rectificatifs sont rares
au journal de 20H. Les doublés rectificatif + hebdo du médiateur le sont
d'autant plus. Ainsi, même si nous avons quelques points qui nous paraissent
sujets à critique, il faut rappeler que France 2 n'a pas été parfait, mais
a au moins eu le mérite de réagir et de tenter de s'expliquer.
Maintenant, je souhaiterais revenir sur le reportage de monsieur Rochot, et
détailler ce qui n'a pu être dit durant l'émission du médiateur (manque de
temps et de volonté à vraiment en parler il faut croire), émission par
ailleurs disponible à cette adresse :
Hormis l'évidente fausse information des suicidés au silicone, ce reportage
comprenait d'autres approximations et erreurs, qu'il nous semble important de
détailler.
¤ Les erreurs :
On en dénombre trois, celle des poches de silicone étant la première. La
seconde n'est autre que la conclusion du reportage, où M. Rochot se rend au
parc de Yoyogi sur un marché populaire et y trouve, ô miracle, des T shirts
à l'effigie de Kenny, le personnage de South Park. Il faut croire que M.
Rochot n'est pas adepte de la série, puisque il explique que « l'objectif
[de Kenny] est le suicide ». Evidemment cela est complètement faux, puisque
Kenny ne se suicide jamais, il est au contraire assassiné à chaque épisode.
Mine de rien ça fait tâche, car South Park est mondialement connu, et des T
shirts de Kenny on en trouve partout (je suis certain que beaucoup d'entre
vous ont même un porte clé à son effigie). Ca en fait des suicidaires tout
ça
Enfin la troisième est une erreur « de montage » si l'on en croit M.
Rochot. Il s'agit de l'interview d'un japonais au début du reportage, qui
dirait selon le journaliste « j'aime bien les jeux de combat et de tir au
fusil parce que l'objectif est clair. Ca me décontracte et ça m'enlève le
stress quotidien ». Seulement voilà, des personnes maîtrisant la langue
japonaise ont remarqué que le jeune homme interrogé sur ces images ne disait
pas cela, mais « chaque fois que je joue, je fais des progrès, et c'est ça
qui me plaît dans le jeu vidéo ». Effectivement, c'est moins tonitruant M.
Rochot a été contacté, et il a expliqué qu'il s'agissait d'une erreur de
montage, qu'en fait le jeune homme avait bien dit les deux phrases, mais
qu'ils avaient mis les mauvaises images dans le reportage Soit, mais avouez
que face au manque de sérieux du reportage, ne pas voir les bonnes images
reste troublant.
¤ Les approximations
On va dire que là aussi il y en a trois. La première est le lien évident
qui est fait entre les jeux vidéo et les comportements suicidaires, devant 7
millions de téléspectateurs doit-on le rappeler, avec la phrase suivante «
la vie dans ces univers virtuels peut conduire au suicide disaient les
médecins, et ces jeunes en sont les victimes ». Il faut préciser que « les
médecins » ne sont en fait qu'un psychiatre japonais rencontré par M.
Rochot, pas une étude sérieuse.
La deuxième est tout de même la stigmatisation de la société japonaise,
qui semble particulièrement horrible et invivable, une société en crise
totale où les jeunes sont désespérés au point de se suicider. Si le
phénomène des suicides collectifs est bien réel, il convient tout de même
de rappeler que le taux de suicide au Japon est à peu près équivalent à
celui de la France. Mais aussi et surtout il est primordial, il nous semble,
quand on s'adresse à des personnes ne connaissant pas le pays, de rappeler
les différences culturelles qui peuvent expliquer le taux de suicide. A
commencer par le fait que le Japon n'est pas une société judéo chrétienne,
et que le suicide n'y est historiquement pas considéré de la même manière
que dans nos pays occidentaux.
Enfin la troisième approximation, c'est cette traduction de Dead or Alive en
« Mort ou Vif ». Que les choses soient claires, puisque visiblement c'était
sujet à débat suite à l'émission du médiateur. Si la langue française
est belle, il n'en reste pas moins qu'on appelle un produit par son nom,
fut-il anglais ou japonais. Que je sache, personne ne dit « Station de Jeu »
à la place de PlayStation ou « Jeu Garçon » pour Game Boy. Dead or Alive
s'appelle Dead or Alive en France, et il n'y a donc que deux choses qui
peuvent expliquer cette traduction. La première est l'évident manque de
connaissance du journaliste qui n'a même pas cherché à savoir de quel jeu
il s'agissait (auquel cas il aurait pu voir que le jeu est très connu en
France et s'appelle bien Dead or Alive ici aussi), la seconde est que bien
qu'étant au courant, le journaliste a trouvé « Mort ou Vif » bien plus
prégnant pour le sujet du reportage. Dans les deux cas ce n'est pas à son
honneur, et c'est en cela que nous critiquons cette approximation.
¤ Le rectificatif
Comme précédemment évoqué, les rectificatifs sont rares au JT, et il est
rassurant de voir que dans le cadre de cette affaire la rédaction de France 2
a décidé d'en communiquer un. Cependant, il nous semble important de revenir
sur le mensonge clair et net qui a été dit. Car dans ce rectificatif, il est
annoncé que « l'information parue dans la presse anglophone asiatique était
erronée ». Ceci est faux, archi faux, et la seule et unique source de France
2 dans cette affaire, c'est l'article de Libération. Pourquoi ?
D'un parce que le journaliste de Libération lui-même nous avait expliqué au
téléphone qu'il s'agissait d'une brève très anecdotique parue dans un
magazine d'électronique japonais, qu'il n'avait pas pris le temps de
vérifier. Visiblement France 2 a une vision assez large de « la presse
asiatique anglophone ».
De deux parce que quelques jours avant que l'affaire n'éclate, M. Rochot
avait expliqué à la journaliste d'Arrêt sur Images qui enquêtait sur ce
reportage qu'il avait vu cette info dans un journal français. A ce moment là
il ne se rappelait plus lequel, Le Monde ou Libération. C'est la journaliste
qui l'a recontacté après avoir retrouvé l'article de Libération, et lui a
rafraîchi la mémoire.
Enfin, parce qu'étant moi-même au Japon au moment des prétendus faits, je
peux vous certifier qu'il n'y a eu aucune rumeur là bas, ni d'annonce dans «
la presse anglophone asiatique ». D'ailleurs les quelques webmasters de sites
de jeux vidéo japonais que j'ai contactés m'ont confirmé n'en avoir jamais
entendu parler, donc si rumeur il y avait eu ils seraient au courant.
Ainsi, M. Rochot et la rédaction de France 2 n'ont pas souhaité prendre leur
responsabilités et avouer que l'erreur était simple : le journaliste avait
simplement repris l'info dans Libération, comme cela se fait assez
fréquemment semble-t-il, et l'avait callée dans son reportage.
Bref, un rectificatif disant « nous avons fait une erreur et nous en
excusons, les jeux vidéo n'ont aucun rapport avec les suicides au Japon »
aurait été plus juste et plus honnête.
Conclusion
Cette affaire aura donc fait le tour de beaucoup de rédactions, et
visiblement aura permis de secouer celle de France 2. Car derrière ses
aspects humoristiques, elle nous semble tristement illustrer deux phénomènes
:
Le premier, est l'évident manque de considération des journalistes à
l'égard des jeux vidéo, puisqu'ils sont prêts à gober des histoire
hallucinantes sans même sourciller. Il faut rappeler que 147 personnes se
suicidant d'un coup, c'est digne des plus grands suicides collectifs de ces
dernières années, des attentats de Madrid ou encore de sectes extrêmes. Le
simple fait que les journalistes puissent croire à une telle absurdité est
signe de leur méconnaissance de notre milieu, mais également de leurs a
priori négatifs à son égard.
Le deuxième, est qu'il y a bel et bien un problème dans le journalisme pour
en arriver là. Il est important de rappeler que c'est une blague qui a
terminé au journal télévisé, pas une fausse information. Certes l'erreur
est permise, et cela arrive même aux meilleurs, M. Rochot étant, faut-il le
rappeler, l'un des meilleurs journalistes de la rédaction de France
Télévision. Mais malheureusement cette bourde illustre un système dans
lequel le journalisme consiste à aller vite, recopier son voisin, et faire si
possible dans le sensationnel, bien plus efficace que le rationnel dans la
course à l'audimat.
De notre côté, même si nous aurions souhaité pouvoir aborder avec plus de
temps et de détails ces phénomènes durant l'Hebdo du Médiateur, nous
tenons tout de même à remercier tous ceux qui ont permis à cette histoire
incroyable d'être connue et reconnue par les rédactions de France 2 et
Libération. Nous tenons également à remercier M. Allanic de nous avoir
permis de nous exprimer dans son Hebdo du Médiateur, même si évidemment
nous n'avons pas eu l'occasion de tout dire à l'antenne et regrettons que
certains thèmes sérieux n'aient pu être abordés au profit d'autres plus
légers.
L'enjeu maintenant est d'essayer de faire en sorte que cette histoire serve à
quelque chose, et nous espérons que le milieu du jeu vidéo sera de plus en
plus consulté et respecté par les journalistes à l'avenir. Notre milieu a
besoin des médias pour progresser, et si au lieu de se focaliser sur les
aspects négatifs (parfois réels) certains journalistes s'intéressaient,
comme cela se fait dans Libération, aux vecteurs d'amélioration et de
créativité des jeux vidéo, un grand pas serait franchi."
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