Tic, tic et tic


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Méphistophélès
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Message Posté le: Mar Juil 22, 2008 10:42 am    Sujet du message: Tic, tic et tic
“Tic, tic et tic.”

Ce quelques mots, signés Lautréamont, ont quelque chose de foncièrement intrigant. Ils ne manquent d’inspirer une certaine méfiance au lecteur candide, qui se laissera porter pour la première fois - innocemment oserais-je dire -, à la lecture des Chants de Maldoror. Tachons de sabrer à vif dans cette périlleuse équation et commençons parce qui saute aux yeux. De quoi s'agit-il ? D'une phrase, peut-être d'un vers. Prouvons cela: il y a une majuscule, deux signes de ponctuation (une virgule et un point), la conjonction de coordination "et". Puisqu'il y a une conjonction, alors il y a nécessairement un lien logique entre les différents membres de la phrase. Peut-on expliciter la nature de ce lien ? Facilement. Nous le devinons à la structure même de la phrase: c'est une énumération, nous pouvons même affirmer que cette énumération a un caractère conclusif, puisque le dernier élément de la phrase est précédé par un "et". S'il s'agit bien d'une phrase, comme nous avons essayé de le démontrer, et puisque cette phrase est régie par des règles syntaxiques précises, alors elle doit avoir une cohérence, l’ensemble doit être porteur de sens. Et c'est ici que tout se complique. La construction grammaticale de cette phrase a beau être correcte, elle ne veut pas dire grand chose. Pourquoi ? Parce que les mots utilisés sont des onomatopées. Une onomatopée c'est un mot, c’est un ensemble de lettres ou de sons, qui réfère à un bruit, mais qui n'a pas de signification propre. Lorsque je dis "ouaf", j'imite l'aboiement du chien, mais le mot "ouaf" en lui-même n'a pas de signification, on ne peut pas lui donner une définition. Nous voilà donc bien embêtés: à quoi cela sert-il de faire une énumération si ce que l'on énumère n'a pas de sens ? Et une absurdité n’arrivant jamais seule: à quoi cela sert-il de faire une énumération si l'on énumère toujours un seul et unique élément, à savoir le mot "tic", qui reapparaît trois fois ? Cela revient à dire que "tic" pourrait revêtir au moins trois sens différents, mais ces sens, nous ne les connaissons pas, car une fois de plus, les onomatopées n'ont pas de définition propre. Voilà le problème exposé, la phrase décortiquée. Essayons maintenant d'en tirer quelques interprétations.

Mon premier sentiment est le suivant: voilà une phrase brève, minimaliste, dans laquelle il n'y a aucun nom, aucun adjectif, aucun verbe, bref, une phrase tout ce qu'il y a de plus insignifiant, affichant des sonorités enfantines, et qui a pourtant la prétention de figurer en bonne place dans une oeuvre poétique. Voyez-vous cette phrase dans un poème de Lamartine ? C'est choquant, c'est provocateur. Autre constat, cette phrase est difficile à comprendre. Ne s'exprimer qu'avec des onomatopées, voilà bien une idée étrange, j'en viens tout de suite à me demander si elle a un sens - ça ne coule pas de source -; l'auteur de cette phrase semble justement nous suggérer que non seulement elle en a un, mais encore qu’elle véhicule une vérité profonde, simple, que nous saisirions immédiatement si nous étions un peu moins bêtes. "Tic, tic et tic": tout est dit, l'énumération est complète, il n'y a rien à rajouter, et si le lecteur n’y entend goutte, tant pis pour lui. Clairement, voilà une nouvelle provocation: l'auteur se foutrait-il gentiment de notre pomme ?
Si vous avez lu attentivement ce commentaire, il vous apparaîtra que le mot "comprendre" en est le leitmotiv. Et en effet, le lecteur confronté à une telle phrase n'a de cesse de chercher à comprendre: il n'est pas à l'aise tant qu'il ne lui a pas donné un sens, même saugrenu, même parfaitement ésotérique. Qu'est-ce que le son "tic" ? C'est le bruit d'une horloge. Parle-t-on du temps qui passe ? Et puisqu'il n'y a que des "tic" et pas de "tac", est-ce à dire que le temps s'enraye ? Et la conjonction "et" signifie-t-elle que le temps s'arrête finalement ? Fait-on dès lors allusion à l'éternité ? Autant de lectures que j’ai déjà eu l’honneur de rencontrer, et qui, je pense, feraient doucement sourire l'auteur. Autant qu’il s’amuserait de voir un petit homme dans mon genre tartiner trois pages sur ses onomatopées. Peu importe le bout par lequel on le prenne: une phrase qui ne veut rien dire, ça emmerde. J'irais plus loin: ça emmerde “beaucoup”. Il faut pourtant envisager la possibilité que l'auteur s'amuse sadiquement de notre obsession du sens, qu'il tourne même en dérision la tyrannie des mots, qui n'existent que pour communiquer, pour faire passer un message. Les mots, chez Lautréamont, n'ont du reste pas besoin d'être utiles, il leur suffit d'exister dans leur matérialité même, il leur suffit de sonner à notre oreille. Les mots existent pour eux mêmes, mus par leurs propres lois, ils n'ont pas besoin de nous: “les mots font l'amour”. Toute la beauté de cette phrase, il me semble, réside précisément dans son ambiguité même - à mi chemin entre le bruit et le langage, entre la provocation et la création, entre la liste de course et l'écriture poétique.


"Lecteur paisible et bucolique,
Sobre et naïf homme de bien,
Jette ce livre saturnien,
Orgiaque et mélancolique.
Si tu n’as fait ta rhétorique
Chez Satan, le rusé doyen,
Jette ! tu n’y comprendrais rien ;
Ou tu me croirais hystérique.
(...)"


Le son qui vient à prendre le dessus sur le sens, ce “tic” amené à la dignité de nom commun, c'est un procédé typiquement surréaliste. Nous ne sommes pas étonnés que Breton ait dévoré l'oeuvre de Lautréamont, que les Champs magnétiques, jusque dans leur titre, fassent si curieusement écho aux Chants de Maldoror. Verlaine ne nous invite-t-il pas à une romance sans parole ? Cocteau, à un théâtre sans texte ? Tic, tic et tic. Tout se mélange: la chose dite, le bruit de la chose, celui du mot; et c'est comme si les bruits avaient un sens, comme si le sens avait une forme, comme si le mot était tout et la chose n'était rien, comme si parler revenait à faire. La parole chez Lautréamont n’est plus un simple support de communication, c’est une incantation. Nous étions confortablement nichés dans notre quotidien raisonnable, avec nos mots soigneusement ordonnés sur l’encyclopédie: voilà que tout devient bruit, que tout devient chaos, que toute chose est soumise au pouvoir du langage, à l’arbitraire du langage; et nous interagissons dans ce dernier à grands coups de verbes d'action: nous sommes narrateurs, et lecteurs, et acteurs de nos propres vies. Nous sommes sorciers et prestidigitateurs à la fois. Oracles et charlatans. Nous sommes la peste, telle que la décrie Artaud, s’abattant sur la ville.

Saluez Poètes, voici le Désordre.
Méphistophélès
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Message Posté le: Mer Juil 23, 2008 10:06 am    Sujet du message:
Mes interventions sont déplacées, je crois que Genaisse n'est plus faite pour moi. J'y suis du reste depuis bien trop longtemps.
Prométhée
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Message Posté le: Mer Juil 23, 2008 12:21 pm    Sujet du message:
Very Happy
Mai lan
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Message Posté le: Mer Juil 23, 2008 12:56 pm    Sujet du message:
Méphistophélès (ou le plaisir de construire avec les mots)… n'a plus de public. ^^ ‘

Je pense qu’il n'y a pas assez de monde connaissant ou s'intéressant aux auteurs que tu cites dans ton analyse pour y répondre. Lautréamont c’est en même temps un peu l'"underground" de la littérature enfin c’est ma vision au niveau qui est le mien.

Alors bien sur on ne peut pas tout définir pour faire une analyse (Bien que tu définisses onomatopée c’est assez surprenant quand tu ne parles pas du tout du style de Lautréamont à cotés ~~). Il faut s’adapter à son public !

En voilà une réponse bien inutile et ridicule, qui ne donne même pas son avis sur l’écriture surréaliste au multiples sens via l’onomatopée, mais mmh je te soutiens ! u_u l’absence de tes avatars au style si dérangeant sur ce forum me manquerait.
Studio
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Message Posté le: Mer Juil 23, 2008 17:28 pm    Sujet du message:
J'aime bien Ubu.

(perche tendue aux amateurs)
Lyriss
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Message Posté le: Jeu Juil 24, 2008 09:01 am    Sujet du message:
Moué, c'est typiquement le genre d'analyse que je ne supporte pas.

Ce masturber le cerveau sur une citation de Spirou magazine ...

Sinon pour l'explication en elle même, ca me fait penser a cet article publié dans Marianne;

En couverture, on pouvait lire ceci "Y'en a mare de voir sarko a la une de tout les journaux !"

Autrement dit, cette phrase est tributaire du sens pour exister, tu as été obligé de faire une explication sensée pour démontrer le caractère insensé de la citation.

Ou comment extrapoler de la substance de ce qui n’en a pas, pour ma part il y’a création de sens et non explication. C’est en ce sens que ton analyse tourne en rond.


Dernière édition par Lyriss le Jeu Juil 24, 2008 12:02 pm; édité 1 fois
Méphistophélès
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Message Posté le: Jeu Juil 24, 2008 11:23 am    Sujet du message:
Et moi, je ne supporte pas ces prétendus esprits éclairés qui comprennent tout sans jamais réfléchir: ils sentent voyez-vous, l'analyse, la réfléxion, la critique, ce n'est pas assez bien pour eux. Je foutrais des tartes à tous ces ignorants qui se complaisent de leur stupidité et confondent l'adjectif démonstratif et le pronom personnel réfléchi. Peste des lecteurs impavides qui abordent leur lecture l'esprit vide. "Ca n'a pas de sens" disent-ils, et ils ne vont pas chercher plus loin. Amusant néanmoins, car nous rebondissant sur la conclusion de mon essai: la littérature ce n'est pas le fait des sorciers, comme tous ces jeunes littérateurs nourris de Baudelaire aimeraient nous le faire croire, mais des prestidigitateurs.

Ceci mis à part, Lyriss n'entend rien au surréalisme. Et il est vrai que cette doctrine est complexe: refuser le sens, ce n'est pas prôner une écrite gratuite, sans but, bien au contraire. C'est là un des nombreux paradoxes que le lecteur doit résoudre s'il se frotte à Lautréamont. Et je ne parle pas plus du style de Lautréamont car c'est hors de propos: je commente une phrase, non un auteur, et c'est déjà trop loin pour la plupart d'entre vous.

Moi, je retourne en enfer.
Prométhée
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Message Posté le: Jeu Juil 24, 2008 12:12 pm    Sujet du message:
Lyriss a pourtant raison.

On dirait, Méphisto, que les vacances t'ont fait du bien. J'en suis ravi, sincèrement.
"Mes interventions sont déplacées, je crois que Genaisse n'est plus faite pour moi."
Pas mieux.
Lyriss
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Message Posté le: Jeu Juil 24, 2008 12:12 pm    Sujet du message:
Méphistophélès a écrit:
Peste des lecteurs impavides qui abordent leur lecture l'esprit vide. "Ca n'a pas de sens" disent-ils, et ils ne vont pas chercher plus loin


Mais tout simplement parce que "tic, tic et tic" n'a aucun sens.

C'est comme ces taches d'encre noire que les psychiatres adorent, le seul sens qu'elles ont est celui qu'on leur donne.

Ton "tic, tic et tic" est une tache d'encre, et toi un mouton qui paie 70 euro pour la contempler.
princess_boy
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Message Posté le: Jeu Juil 24, 2008 12:27 pm    Sujet du message:
Moi ça m'a toujours passionné ce genre de commentaire sur une oeuvre, une phrase ou un vers..

Certains appellent ça "se branler le cerveau", et je ne vois pas en quoi ça dérange. Mon prof de maths au collège appelait déjà l'arithmétique : la branlette à cerveau..

Bon maintenant me reste plus qu'à me procurer du Lautréamont.
Prométhée
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Message Posté le: Jeu Juil 24, 2008 12:48 pm    Sujet du message:
Personnellement, je ne vois pas celà comme de la "branlette intellectuelle". Je pense plutôt que Méphisto brasse ici du vent.
K
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Message Posté le: Ven Juil 25, 2008 09:22 am    Sujet du message:
Je crois surtout que Méphisto avait envie de s'amuser à pondre une analyse complexe et profonde d'une "phrase" qui n'en avait pas besoin ; je crois également que c'est là, moutons, ce qui est amusant et qui vous a échappé. Le but n'était pas de livrer une analyse intelligente, ni d'étaler sa science : le but était de caricaturer avec finesse. Notion qui, malgré votre lyrissme capable d'apporter le feu divin aux hommes, vous semble étrangère.
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Message Posté le: Ven Juil 25, 2008 09:59 am    Sujet du message:
K a écrit:
Je crois surtout que Méphisto avait envie de s'amuser à pondre une analyse complexe et profonde d'une "phrase" qui n'en avait pas besoin ; je crois également que c'est là, moutons, ce qui est amusant et qui vous a échappé. Le but n'était pas de livrer une analyse intelligente, ni d'étaler sa science : le but était de caricaturer avec finesse. Notion qui, malgré votre lyrissme capable d'apporter le feu divin aux hommes, vous semble étrangère.


Que ce soit celà ou autre chose, il brasse du vent. S'il s'amuse, tant mieux pour lui, moi pas. Enfin, il y a une différence entre finesse et profondeur: Sartre était parfois fin, mais Husserl avec ses gros sabots est tellement plus profond.

Enfin, l'analyse de cette phrase m'intéresse aussi peu que l'analyse tridimensionnelle d'un clou.
K
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Message Posté le: Ven Juil 25, 2008 17:53 pm    Sujet du message:
C'est bien pour ça que je dis que le comique d'un tel acte t'échappe, mon ami.
Prométhée
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Message Posté le: Ven Juil 25, 2008 18:22 pm    Sujet du message:
Sans doute, oui, camarade. Je ne suis pas un drôle.
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Message Posté le: Sam Juil 26, 2008 01:21 am    Sujet du message:
...

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