Marcheur


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Galain
De passage
De passage


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Message Posté le: Mar Mai 27, 2008 18:50 pm    Sujet du message: Marcheur
Il marchait.

Comme tout les autres. Il marchait et ne voyait rien. D'immenses tours surplombant les avenues, des coquilles de métal passaient à tout allure. Et ils marchaient tous, sous les ombres dévoreuses, ils marchaient, portés par un vent étrangé. Ils marchaient vers un but, vers une voie, vers une lumière lointaine et mystérieuse qu'ils supposaient être plus loin.
Ils marchaient. Lui aussi y était. Il était un des leurs, marchant sans relâche vers un ultime inconnu. Parfois il cessait de marcher, comme eux, entrant dans les Tours. Il y travaillait, comme eux, il y vivait, comme eux. Ils y mourraient aussi.
Mais même l'immobilité ne les empêchait de marcher, dans leurs têtes s'était toujours une course effrénée. Ils courraient toujours, en tout temps, en toute heure, en tout endroit. Ils courraient ; fuyant on ne sait quoi, et visant on ne sait qui.
Cependant, un jour, un homme, pareil à toute autre, se mit à penser. C'était une idée, légère, rude et âcre pour cet homme ne sachant pas Penser. Elle roulait, tanguait, flottait parfois. Elle s'étoffait, s'enrobait d'une nacre de possible. Jour après jour devenant plus palpable, plus tangible, plus vrai. Heure après heure, dans l'air cristallin des Tours, dans l'anonyme labeur, dans les vents d'outre-terre qui trébuchaient sur les avenues, l'Idée s'imposait.
Et un jour. C'était dans la rue, en sortant du métro. Tous grimpait les marches, leurs yeux plongés vers le sol, leurs manteaux gris formant une masse informe et énorme ; comme régurgités par l'immense bouche. Multitude claquant en rythme sur le sol froid et gris des marches, d'innombrables pas frappant l'asphalte, c'était comme une musique ; une complainte commune que lançaient quotidiennement les hommes, un sanglot ultime avant d'entrer dans les Tours ; inhumaines et gelées, un sursaut dernier avant la mort journalière.


S'arrêter.

Juste cesser la marche. Il suffirait d'un instant et tout serait accomplit, il suffisait d'une étincelle. Pour la première fois Il regarda les Tours. Elles étaient là, géantes, souveraines, leurs pieds monstrueux s'écrasant dans la ville. Elles étaient reines et elles le savaient. Elles voilaient le ciel de leur corps titanesques. Elles imposaient la Nuit en apposant leurs mains colossales sur les nués...puis son regard tomba sur les ombres ; hommes, femmes de la ville, montant des marches sans les regarder, se touchant, sans rien sentir, respirant, sans rien humer ; être là, sans Être. Une sombre mélodie entra en son esprit, aux accords dur, elle appuyait ses sons, enfonçant profondément ses onde dans le crane de l'homme. Il se regarda lui, gris, comme les autres, il se regarda et vit ses voisins, il se vit dans leurs yeux morts, il se vit dans leur marche lourde et résignée, il se vit dans leurs inexistances, toute différentes, toute frêles, et il sut qu'il était vide, comme eux.
Alors la décision fut prise...


Un homme s'arrête.

Dans la ville. C'est un terrible mouvement que l'immobilité, étrange, simple et pourtant si vrai. On ne trompe pas avec l'immobilité, elle est absolue ou elle n'est pas. Dans ce flux continu d'homme sortant du métro, sur ces marches symboles d'un perpétuel mouvement ; l'immobilité fut une bombe. Les silhouettes grises le regardèrent, elles n'avaient sans doute jamais regardés. Les silhouettes frôlèrent cet homme, debout, comme un phare dans les courants forts et tourmentés. Beaucoup passaient, sans s'arrêter ; cela était impensable. Puis, comme si une idée nouvelle surgissait chez les hommes, ils se stoppèrent. Ils furent d'abord peu ; deux, trois, quatre sur les marches. Puis se fut une contagion. Ils s'arrêtaient tous, comme une mèche qui s'enflamme, comme des dominos, ils s'arrêtaient les uns après les autres. Ils étaient dans les Tours, Ils étaient hors d'Elles, Ils étaient dans les rues, dans les sous-sols, Ils étaient et Ils s'arrêtaient. Le souffle se rompt, la circulation cesse, dans les tentacules immondes de la Ville, dans ses organes, dans ses veines, chaque être, chaque homme, chaque chose laisse place au temps...
Puis, quand Tous furent immobile, Ils se regardèrent. Un instant. L'instant de la Décision. L'univers suspendu, les vents des avenues cessèrent, plus un murmure, plus un vrombissement, plus un feulement. Juste ses centaines de milliers de regard, forçant un passage dans les pupilles des voisins, y puisant une force inconnue. Plus de pas sur les pavés, sur les marches. Plus un souffle, plus un soupir. Juste cette hésitation, cette bascule, ce mouvement immobile entre deux options. Ils savaient qu'Ils devaient choisir. Choisir, le choix était offert. Choisir. Ils se regardèrent encore, Ils ne s'étaient jamais vu. Quelque uns sourires, d'autre restèrent impassibles, peu Comprirent le Choix avant qu'il fut prit. Puis dans un sursaut, comme le hoquet de la ville après avoir trop longtemps retenue sa respiration, comme le retour à la réalité après un doux rêve ; ils reprirent la marche. L'instant suivant, ils avaient tout oublié.
Seul, l'homme, seul, sur les marches, resta immobile, et le fut à jamais. Sur ces marches, un jour, un homme, regardera la statue, et oubliera qu'il avait oublié. Et, pensera sans doute, dans les antiques convulsions d'une pensée moribonde, alors que marchant comme les autres en oubliant d'Être, résonnera en son crane, comme un échos des siècles passés, la phrase terrible, comme une sentence, comme une lumière, comme un souffle :

« Pourquoi ne pas s'arrêter ? ».

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