Crouton
Petit nouveau

Inscrit le: 24 Mar 2008
Messages: 2
|
Posté le: Lun Mar 24, 2008 12:07 pm Sujet du message: Crouton le satanique
« Reconnaissez Satan à son rire vainqueur… »
Lundi, 3 juillet.
Il se réveille.
La pièce est vide et pourtant, elle résonne des mille obstacles que l’on
est en droit d’attendre d’une pièce vide, pleine de rien,
d’approximations, de choses oubliées avant même d’être pensées.
Par ici, il doit y avoir un plancher qui grince. Par là, sans doute une
commode poussiéreuse. On devine même un lit tout au fond, là bas, et
quelqu'un qui y dort.
Il se réveille. Il est en nage si bien que de fines gouttelettes
entreprennent de dessiner sur sa peau quelques extravagantes arabesques
invisibles. On n'imagine pas toute la poésie contenue dans une goutte de
sueur. La respiration saccadée, il s’efforce de retrouver son calme.
Lorsqu’il ouvre enfin les yeux - non sans une certaine nonchalance - ce rien
obscur et ô combien enchanteur qui a veillé sur lui la nuit durant, se
change en une chambre tout à fait banale. Triste. Il regrette déjà que le
sommeil l’ait si brusquement quitté.
Une idée folle et au moins tout aussi subversive lui traverse alors
l’esprit : et s’il se laissait sombrer dans la douce torpeur de ce sommeil
paresseux ? Très vite il écarte cette pensée. Il est de cette sorte de
gens, de gens bien cela va sans dire, qui sait pertinemment qu’à l’heure
de se lever, il faut se lever. C’est d’une logique implacable. S’il se
laissait aller à ne pas faire ce qu’il convient alors il ne pourrait
prétendre appartenir à cette catégorie de gens bien, et ceci est
inacceptable pour lui. Comment pourrait-il se le pardonner ?
Il se retire donc de son lit de fort méchante humeur mais soulagé cependant
comme on peut l’être après avoir accompli une bonne action ou quand on a
l’intime conviction d’avoir fait un choix judicieux. Pour la forme il
émet quelques protestations: il l’a vu faire des années auparavant - dans
un film peut être ? Vous savez, ces films hollywoodiens que l’on critique
pour se donner de l’assurance… On y voit des femmes libérées, des amants
transits et des dormeurs s’éveillant en ronchonnant afin d’introduire
comme il se doit une intrigue bouleversante. Pour lui du reste, la vie
n’est pas si différente de celle qu’il voit défiler sur les écrans. Il
y a toujours un gentil, lui-même bien entendu, une belle avec qui il se
mariera - il lui fera trois enfants puis songera à la tromper pour une plus
jeunes demoiselles - et le méchant.
Des méchants il en voit souvent, au dehors. Comment les reconnaît-on ? Avant
ils étaient très laids et arboraient en toute occasion une expression
menaçante, toutefois aujourd’hui on dit que les apparences ne comptent
plus, du coup on ne les reconnaît plus aussi facilement.
De nos jours disais-je, les méchants sont avant tout les mauvais esprits.
Ceux qui ne veulent pas se comporter comme les autres, qui se croient plus
forts, plus intelligents que la moyenne. Les méchants sont ceux qui passent
au-dessus des règles, qui voient au-delà des choses, qui pensent au travers
des idées.
Ils sont terrifiants.
Après s’être douché, habillé, il rejoint la petite cuisine recouverte
d’un carrelage vaguement jaunâtre qui n’a de blanc que le nom.
Maintenant qu’il a l’esprit un peu plus clair, ses soucis lui reviennent
subitement : il n’a pas payé ses factures, il a oublié de passer un coup
de fil important et par-dessus le marché, il va être en retard. Allez savoir
pourquoi le réveil n’a pas sonné ce matin ?
C’est écrasant le poids d’une vie : il jure à voix basse.
Manquant trébucher, il se jette sur la machine à café et ne sera finalement
rassuré que lorsqu’il entendra le léger ronflement mécanique si familier
s’en échapper. Alors, il se laisse tomber sur la chaise la plus proche et
pousse un long soupir.
Quelque chose au plus profond de lui, mais il ne saurait dire quoi exactement,
le pousse irrésistiblement à jeter un œil sur la petite table de l’autre
coté, et plus particulièrement sur l’étalage à couteaux. Il cède très
vite à la tentation mais ne se permet qu’un regard furtif, de peur qu’on
le surprenne : l’étalage est vide.
Il sourit, il est soulagé que cet épisode ne bascule pas dans le mauvais
scénario de série B.
Saisissant la première tasse qui lui passe par la main, il se sert un peu de
ce liquide fumant et amer qui glougloute gentiment dans la cafetière.
Longtemps son regard reste plongé dans le récipient, il regarde les petits
vagues agiter sa surface.
Le monde est beau, tellement beau, se dit-il alors. Cette idée l’effleure
de manière impromptue, et cela s’impose très vite comme une évidence des
plus commune. Une vérité absolue qui naitrait dans une tasse de café, comme
certaines fleurs, dit-on, poussent dans l'ordure. Chacun à sa place, chaque
chose est aussi parfaite qu’elle peut l’être.
Désormais rassuré et de bien meilleure humeur, il se laisse submerger par
une certaine exultation. Il se tient bien droit sur sa chaise: il est ce
qu’il a toujours voulut être. Il est heureux.
L’inspection du contenu de la tasse se poursuit encore quelques minutes, il
en scrute le contenu comme s’il cherchait un quelconque signe de défi,
quelque chose qui tende à le contredire ; évidemment la tasse reste muette.
Visiblement satisfait, il la vide d’une traite, se brûle, jure à nouveau.
Le téléphone sonne.
Ce n’est qu’à contrecœur qu’il consent à aller répondre : après
tout le temps passe, on ne peut plus l’arrêter, et s’il continue ainsi il
va finir par être vraiment en retard.
Justement ce sont eux qui l’appellent. Ces gens avec qui il travail.
« Allo » lance-t-il.
Une voix faussement inquiète lui répond. Elle lui dit qu’il est 9h05 et
que par conséquent cela fait 5 minutes qu’il devrait être là. Elle se
demande où il est et ce qui a pu lui arriver.
La Voix se fait tantôt sucrée, tantôt inquisitrice. Elle veut qu’il
comprenne que ce qu’il fait là n’est pas bien, qu’il doit faire
attention, que tout ceci est grave ; pourtant elle n’ose pas le dire
vraiment alors elle demande s’il est malade ou s’il a de la fièvre. Elle
cherche à s’enquérir de sa santé, Elle se fait larmoyante, effarouchée.
Elle ne sait que dire mais ne peut s’empêcher de parler, sinon ce ne serait
plus la Voix, mais une simple voix parmi tant d’autres.
Il lui rétorque qu’il ne s’agit que d’une panne de réveil et qu’il
ne faut surtout pas s’inquiéter. Il fait tout pour calmer la Voix, pour la
rassurer, pour la consoler. Il s’excuse et lui promet d’arriver sans faute
pour 9h15. Il lui promet que cela ne se reproduira plus. Qu’il sera sage.
Heureusement Elle semble satisfaite, Elle raccroche enfin. Il n’a plus
qu’à reposer le combiné téléphonique sur son réceptacle, ce qu’il
s’empresse de faire de peur qu’Elle ne revienne.
Un dernier tour le temps de passer en revue la journée qui l’attend :
descendre la rue, traverser au rond point afin de rejoindre son lieu de
travail, meubler son quotidien de tout un tas de choses importantes et très
sérieuses, qu'il n'a plus vraiment en tête en cette heure matinale.
Derrière sa porte règne une certaine agitation provenant de gens tout aussi
sérieux qui comme lui s’abandonnent à leurs occupations. Il n’est plus
seul désormais et cette idée lui arrache un sourire radieux.
C’est le cœur rempli d’allégresse qu’il va se mêler à eux.
Dernière édition par Crouton le Lun Mar 24, 2008 12:46 pm; édité 7 fois
|
Crouton
Petit nouveau

Inscrit le: 24 Mar 2008
Messages: 2
|
Posté le: Lun Mar 24, 2008 12:08 pm Sujet du message:
Fin alternative
Lundi, 3 juillet.
Un jour passe.
8h30, le réveil se met en marche et une voix monocorde signifie aux auditeurs
qu’il règne au dehors un temps splendide. La Voix, celle du dedans mais qui
vient d’infiniment loin, se fait de nouveau entendre par l’intermédiaire
du commentateur.
Lorsqu’il meurt d’être seul, inutile, la Voix le rappelle toujours à
l’ordre : Elle sonne, Elle frappe à la porte, Elle résonne depuis la
radio… En toute occasion elle trouve le moyen de se faire entendre; les
autres ne s’expriment qu’à travers Elle.
Demain, dit-Elle, ce sera le 3 juillet : un jour exceptionnel. Attention tout
de même à la chaleur.
Allongé sur son lit il attend patiemment qu’Elle se taise pour éteindre le
réveil. Il ne voudrait pas l’interrompre, ça ne se fait pas. Il ferme les
yeux, jouissant de la chaleur sèche que produisent les couvertures.
Et puis… quelque chose se passe.
Tout à coup il ne l’entend plus bien, ou pour mieux dire, il ne la comprend
plus. C’est comme si Elle parlait subitement un autre langage. « Demain, ce
sera le 3 juillet », il se raccroche désespérément à cette idée mais
qu’en sait-il finalement si Elle n’est pas là pour le lui dire chaque
matin? Comment saura-t-il à présent quel temps il fait derrière les
fenêtres closes ? Fort heureusement il a confiance et il pressent qu’il y a
une morale, un principe éminemment supérieur derrière tout cela, il
comprendra en temps voulu. Aussi sans plus y penser il fait le nécessaire
pour ne pas être en retard aujourd’hui.
Obéissant à une routine qui lui échappe, il met en marche la cafetière et
prend place sur une chaise, près de la table. Encore une fois, il sent son
regard dévier malgré lui. De nouveau il se laisse aller quelque peu honteux
pour découvrir, à sa plus grande surprise, qu’il reste un couteau sur
l’étalage. Comment est-il arrivé là ? Il ne s’en souvient plus, le fait
est que sa vue le rend perplexe. Même le bruit hypnotique produit par la
cafetière ne parvient à l'en distraire.
Il le fixe intensément, cherchant à s’assurer qu’il est bien là, ou
plutôt, attendant qu’il disparaisse : après tout il n’a rien à faire
ici, ce couteau à l’allure menaçante, plein de promesses.
Il se sert une tasse de café brûlant mais dans sa distraction il en laisse
échapper un peu, et le liquide marque irrémédiablement sa chemise ; à
croire que ce n’est pas son jour.
Tout en buvant rapidement, il tend l’oreille s’attendant à ce que le
téléphone sonne d’une minute à l’autre. Quand la Voix reviendrait il
comprendrait tout, et les choses rentreraient enfin dans l’ordre.
Pourtant cette fois-ci le réveil a sonné et il n’est pas en retard. Il
n’y a aucune raison pour que la Voix l’appelle. Certes il pourrait
attendre un peu et se mettre en retard volontairement, Elle le contacterait
certainement…malheureusement c’est impossible car les gens bien, les gens
normaux ne font jamais exprès de ne pas respecter leurs horaires. Ca ne se
fait pas.
Comment doit-il réagir ? Cette question l’obsède, la situation est sans
pareil. Il a peur de se tromper en commettant une erreur irréparable. Pour la
première fois depuis bien longtemps il hésite, il se tient immobile.
N’osant esquisser le moindre geste. Il semble paralysé par l’infinité
des possibilités qui s’offrent à lui, car jusqu’ici il n’avait
toujours connu qu’une seule route, qu’un seul chemin : la Voix.
Dans le couloir derrière la porte de son petit appartement, il n’y a pas un
bruit. Personne. Comme si tout à coup le monde venait de voler en éclat sous
le coup d'une pression invisible. C'est comme si. Et lui, dont toute la
pesanteur se situe au niveau de la cravate, aurait-été tragiquement
épargné par le cataclysme.
Son regard va de la tache sur son vêtement au téléphone qui refuse toujours
de sonner puis revient au couteau. Dans le même temps l’air vibre toujours
des mots insaisissables. C’est une nouvelle illumination qui vient répondre
à toutes ses questions.
Il se dit que le monde est beau, outrageusement beau. Que chaque chose est à
sa place et qu’en l’occurrence, ce couteau serait bien plus à sa place
dans sa chair, soigneusement glissé entre deux côtes. Il en va, somme toute,
de l’ordre naturel des choses. Sans autres formes de procès il
s’exécute.
Un impact.
Il ouvre la bouche et pousse un long cri silencieux. Ses yeux sont exorbités
autant par la surprise que par la douleur. Tiens, se dit-il, voilà qui est
curieux. Toutes ces émotions qu’il ne peut avouer tourbillonnent
bizarrement dans son corps; la promesse extermine. Le temps se fige et
l’espace d’un instant seulement, il à l’étrange impression
d’entrapercevoir la véritable signification du mot « éternité »: il
s'affaissera moins bête qu'il s'est levé.
Il aurait bien une réflexion intelligente à sortir, pour l'occasion, mais ce
qui s’agite dans son ventre lui interdit tout mouvement. La liqueur
glougloutante qu’il ne peut boire toute entière lui sort par la bouche et
se répand en larges flaques sur le sol - elle éclabousse - ce qui rend toute
possibilité de communication un peu ardue.
Bonhomme, il chancelle, il vacille comme un stéréotype, et le silence
opportuniste vient immortaliser son dernier souffle. Pas un bruit. La Voix se
tait.
« Reconnaissez Satan à son rire vainqueur
Enorme et laid comme le monde ! »
|