Méphistophélès
Suprème actif
Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299
|
Posté le: Sam Déc 01, 2007 14:05 pm Sujet du message: Commentaire composé - l'Assommoir
Vous commenterez l'extrait suivant:
Citation: | Ainsi, il avait décidé Virginie à faire venir Gervaise une
fois par semaine pour laver la boutique et les chambres ; ça la connaissait
l'eau de potasse ; et, chaque fois, elle gagnait trente sous. Gervaise
arrivait le samedi matin, avec un seau et sa brosse, sans paraître souffrir
de revenir ainsi faire une sale et humble besogne, la besogne des torchons de
vaisselle, dans ce logement où elle avait trôné en belle patronne blonde.
C'était un dernier aplatissement, la fin de son orgueil.
Un samedi, elle eut joliment du mal. Il avait plu trois jours, les pieds des
pratiques semblaient avoir apporté dans le magasin toute la boue du quartier.
Virginie était au comptoir, en train de faire la dame, bien peignée, avec un
petit col et des manches de dentelle. À côté d'elle, sur l'étroite
banquette de moleskine rouge, Lantier se prélassait, l'air chez lui, comme le
vrai patron de la baraque ; et il envoyait négligemment la main dans un bocal
de pastilles à la menthe, histoire de croquer du sucre, par habitude.
"Dites donc, madame Coupeau ! cria Virginie qui suivait le travail de la
laveuse, les lèvres pincées, vous laissez de la crasse, là-bas, dans ce
coin. Frottez-moi donc un peu mieux ça !"
Gervaise obéit. Elle retourna dans le coin, recommença à laver.
Agenouillée par terre, au milieu de l'eau sale, elle se pliait en deux, les
épaules saillantes, les bras violets et raidis. Son vieux jupon trempé lui
collait aux fesses. Elle faisait sur le parquet un tas de quelque chose de pas
propre, dépeignée, montrant par les trous de sa camisole l'enflure de son
corps, un débordement de chairs molles qui voyageaient, roulaient et
sautaient, sous les rudes secousses de sa besogne ; et elle suait tellement,
que, de son visage inondé, pissaient de grosses gouttes.
"Plus on met de l'huile de coude, plus ça reluit", dit sentencieusement
Lantier, la bouche pleine de pastilles.
Virginie, renversée avec un air de princesse, les yeux demi-clos, suivait
toujours le lavage, lâchant des réflexions :
"Encore un peu à droite. Maintenant, faites bien attention à la boiserie...
Vous savez, je n'ai pas été très contente, samedi dernier. Les taches
étaient restées."
Et tous les deux, le chapelier et l'épicière, se carraient davantage, comme
sur un trône, tandis que Gervaise se traînait à leurs pieds, dans la boue
noire. Virginie devait jouir, car ses yeux de chat s'éclairèrent un instant
d'étincelles jaunes, et elle regarda Lantier avec un sourire mince. Enfin,
ça la vengeait donc de l'ancienne fessée du lavoir, qu'elle avait toujours
gardée sur la conscience !
Emile Zola - L'Assommoir, chapitre
11 |
|
Méphistophélès
Suprème actif
Inscrit le: 10 Sep 2006
Messages: 4299
|
Posté le: Sam Déc 01, 2007 14:20 pm Sujet du message:
Coucou mon cucus.
Je me suis couché à 2h du mat' hier soir, mais comme il y a du bon en chaque
chose, j'en ai fini avec cette histoire de plan qui me taraudait. Comme la
Fenrestrae Boxam n'est pas le moyen le plus évident pour parler de ce genre
de chose, je vais exploiter un brin notre bon forum genaissien pour te
communiquer les grands axes de mon commentaire.
Je pense que ce plan est plus cohérent que le dernier, à l'occasion, dis moi
ce que tu en penses.
_______
Problématique de l'extrait commenté: le processus de la déshumanisation
Une déshumanition suivant trois axes directeurs:
I La "bête humaine"
A- Le portrait de Virginie et Lantier (ambivalence de la scène
caractéristique de l'ambiguïté des personnages / dichotomie première entre
l'humanité apparente et la bestialité sous-jacente)
B- Le portrait de Gervaise (une animalisation franche et dysphorique)
C- Le rôle de la parole (parole dite, non-dite, biaisée)
II L'être mécanique: une démonstration scientifique
A- La gestion du corps (le corps dévoilé, le corps comme matière d'étude,
la thèse naturaliste)
B- L'architecture du roman (importance de l'analepse et composition
arithmétique de l'oeuvre)
C- Le déterminisme zolien (déterminisme social, biologique et
héréditaire)
III L'être désincarné: mythification et symbolisme
A- Une thématique de l'engloutissement (dislocation et désincarnation du
personnage de Gervaise, une logique de la "dévoration")
B- Un espace symbolique et sur-signifiant (l'investigation journalistique, un
portrait impressionniste qui tend vers l'expresionnisme, le personnage
disparaît en tant qu'entité, il est subordonné à la fonction qu'il
occupe)
C- Images et représentations de la condition ouvrière (personnage de
Gervaise comme mise en abîme, comme archétype du monde ouvrier; les grands
traits de celui-ci dans l'oeuvre de Zola)
Et je conclus en soulignant la richesse du portrait des personnages zoliens,
la multiplicité des plans d'interprétation; puis j'élargis sur
l'ambiguîté de la démarche naturaliste qui tache de concilier un peu
naïvement l'impressionnisme et la démarche analytique, la science et l'art.
|