Méphistophélès
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 11:46 am Sujet du message: Prolégomènes
Extrait de la nouvelle Prolégomènes
- recueil: l'Indicible
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J’écris: « Quentin est ».
De par ces mots, je deviens le géniteur d’une nouvelle créature, et il me
suffit d’une ligne pour lui donner naissance. Quentin n’est pas un
prénom, ce n’est pas non plus une personne. Parce qu’il n’existe pas,
Quentin n’est rien d’autre que Quentin. C’est un mot qui placé dans son
contexte s’anime brusquement et échappe à mon contrôle. Sa vie se résume
à peu de chose, et même ce peu nous échappe…
Il ne vit que dans l’instant car l’instant le façonne. Il pense, il
juge, il éprouve. Parfois, il contemple son reflet sur le papier, en avise
les justes proportions, les voyelles, les consonnes: elles obéissent à un
rythme. Il soupçonne une trame à son histoire tout comme les hommes
pressentent le destin. Déjà, il connaît les premiers symptômes du vivant :
il ne se contente plus d’exister, il se débat. Et son action fait partie du
plan, et l’instant le rattrape, et tout s’effiloche. L’instant, c’est
le présent du personnage. L’instant, c’est quand il se croit vivant,
quand il envisage le futur comme un choix qu’il lui faudra prendre. Mais il
ignore que le futur est déjà dans l’instant. Il ne sait pas. Il ne sais
pas que toute sa vie défile en ce moment même, qu’il n’y rien avant,
qu’il n’y aura rien après. Et l’instant se déplace, il le suit,
obstinément, et le temps reste figé. Figé dans l’instant. Tout le temps.
Sans qu’il ne le sache, il est esclave de la trame pour n’avoir rien vécu
d’autre. La divine plume a tracé sa vie sur une page blanche. Un destin
mécanique en agite les segments qui s’animent et s’emboîtent à la
manière d’un engrenage. Songez. Une vie, une seule, mais toute une vie. En
quelques lignes. Une vie linéaire, irréversible, orientée vers sa propre
fin, tragique.
Une vie tenant toute entière dans une simple page.
[...]
_________
Pour l'anecote, Quentin est le héros d'une autre de mes nouvelles, Mémoire d'un Fantasme. C'est un jeune
garçon se rendant compte un beau jour qu'il n'est qu'un rêve, et qu'il
disparaîtra une fois le dormeur réveillé.
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melodeath
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 12:23 pm Sujet du message:
Bien rédigé, subtil...
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Fr.
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 12:45 pm Sujet du message:
Citation: | C’est un mot qui placé dans son contexte s’anime
brusquement et échappe à mon contrôle |
Y a pas une virgule après contexte ?
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melodeath
De passage
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 12:46 pm Sujet du message:
non après le "qui"
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Méphistophélès
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 12:57 pm Sujet du message:
Citation: | C’est un mot qui placé dans son contexte s’anime
brusquement et échappe à mon contrôle |
Citation: | C'est un mot qui, placé dans son contexte, s'anime bursquement,
et échappe à mon contrôle. |
Citation: | C'est un mot qui, placé dans son contexte, s'anime brusquement
et échappe à mon contrôle. |
Citation: |
C'est un mot qui placé dans son contexte, s'anime brusquement, et échappe à
mon contrôle. |
Etc...
Et encore, je n'en suis qu'aux virgules, on pourrait eventuellement voir pour
rajouter des points virgules, voire même un point ("C'est un mot qui placé
dans son contexte, s'anime brusquement. Et échappe à mon contrôle !"). Il y
a autant de ponctuations possibles que de prononciations.
Pour te répondre plus précisément, Fr., sais-tu ce qu'est l'analyse
mélodique d'une phrase ? Il s'agit d'en étudier le rythme au travers de la
musique produite par l'agencement des mots. On distingue la protase (montée
de la voix), l'acmè (point culminant de la phrase mélodique) et l'apodose
(descente de la voix). L'on remarque que la mélodie de la phrase peut parfois
jouer un rôle dans la compréhension de cette dernière: mettre en exergue
une idée, ou au contraire, en atténuer une autre. Cette "musique des mots"
peut contribuer à rendre une phrase belle et fluide, ou au contraire, âpre,
hachée, pénible.
Voici ce que pourrait donner l'analyse mélodique de cette phrase:
Citation: | C'est un mot qui (montée) placé dans son
contexte (montée) s'anime brusquement
(montée) et échappe à mon contrôle
(descente). |
En rouge la protase, en gras l'acmè, en vert
l'apodose.
Si tu te fies à la mélodie de la phrase, même sans ponctuation, même en
ôtant toutes les virgules, tu constates que la phrase est naturellement
cadencée. Il y a trois montées et une descente finale (on parle de phrase guillotine). Cependant,
j'aurais pu, aussi, mettre des virgules pour accentuer la chose. Pourquoi pas
?
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Fr.
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Méphistophélès
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 13:34 pm Sujet du message:
Il ne peut pas y avoir plusieurs apodoses, et on ne peut pas choisir
arbitrairement ou se trouve la montée et ou se trouve la descente. Tout cela
obeit à des règles grammaticales précises - mais je pense que si je les
expliquais ici, ça vous barberait.
Cependant, lors de la lecture, libre à chacun de prononcer cette phrase comme
il l'entend, sans tenir compte des critères mélodiques que je viens de
citer. Ceux-ci nous influencent inconsciement dans la construction de nos
phrases (par exemple: on aura plutôt tendance à dire "une jolie maison"
plutôt que "une maison jolie" parce que la cadence majeure, en français,
nous pousse à mettre les mots les plus longs à la fin), mais pas
exclusivement. Tout dépend de la sensibilité de chacun.
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Fr.
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 13:48 pm Sujet du message:
Non vas-y, expliques.
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Méphistophélès
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Posté le: Jeu Juin 07, 2007 15:06 pm Sujet du message:
Bon.
Il y a plusieurs cas de figure: la phrase assertive (ou affirmative),
interrogative partielle et interrogation totale.
* Dans une phrase assertive, il y a une montée (protase) suivie
d'une descente (apodose): on parle de phrase en voûte. Le point
culminant de cette montée, on l'appelle acmè. Dans une phrase assertive il se trouve sur la
dernière syllabe forte du mot précédent le complèment essentiel de la
phrase.
Exemple: "J'ai vu un film".
* S'il y a apposition de groupes syntaxiques, alors l'acmè est sur la
dernière syllabe forte du dernier mot de chaque groupe.
Exemple: "Je le vis, je rougis, palis à sa
vue."
* Dans le cadre d'une phrase interrogative partielle, c'est à dire avec un
mot interrogatif, l'acmè se situe sur l'adjectif interrogatif même. Il
s'agit donc soit d'une montée, soit d'une descente.
Exemple: "Que fais-tu là ?"; "Je fais
quoi ?"
* Dans le cadre d'une phrase interrogative totale, c'est à dire sans adjectif
interrogatif, l'on traite la phrase de la même manière qu'une phrase
assertive, mais en plaçant une seconde acmè sur la dernière syllabe du
dernier mot.
Exemple: "As-tu vu ce dessin animé ?"
Quand la protase est plus grande que l'apodose - assez rare - on parle de
cadence mineure (ou de phrase
guillotine s'il y a un grand désequilibre de longueur); quand la protase est
plus petite que l'apodose on parle de cadence majeure (ou de phrase à traîne en cas de grand
déséquilibre); quand la protase et l'apodose ont à une ou deux syllabes
près la même longueur, enfin, on parle de cadence neutre - cadence neutre qui n'est pas si neutre
puisqu'elle exprime l'evidence, l'aphorisme: "je
pense donc je suis".
Voilà pour le cours de stylistique
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