Alexandre-le-très-petit
Actif


Sexe: 
Age: 35
Inscrit le: 24 Jan 2006
Messages: 589
Localisation: Dans la coque du parapluie
|
Posté le: Mar Avr 03, 2007 02:05 am Sujet du message: Du billet dans la bouche
Un couple de méchants, humour noir et
élégance, ça vous dit quelque chose ? Bien sûr. Vous avez entendu parler
de leur légende, leur cinéma, ou encore de la romance de Gainsbourg. Mais
connaissez-vous vraiment la vie de nos deux criminels ? Non ? Et bien,
écoutez l’histoire de Bonnie & Clyde (bis)...
Faut pas s’imaginer une enfance de bohème. Bonnie, loin d’être serveuse
dans un « Eatery » du Texas, repassait avec sa mère sa robe du dimanche. La
famille Parker était du genre respectable, par l’éloquence formidable du
pasteur Parker. Bonnie grandit dans une famille protestante au paroxysme. Les
seuls vers qu’elle rédigeait, elle les tirait de la Bible. D’un
caractère timide et dévoué, la petite orchestrait avec la plus grande
classe les enfants de chœur, faisant la fierté du Pater, cureton célèbre
pour sa loi Parker qu’il glissa sur le parquet grâce aux relations
étroites que nouait sa femme avec tous les plus grands magistrats de la
région. « Tous les hommes boivent et meurent libres et dépucelés devant la
Sainte Cour de Dieu mon père qui m’a choisi pour élever les meilleurs et
torturer les pleurnichards pour les siècles des siècles. » Ainsi parlait
Bonnie qui apprenait en bonne américaine tous les amendements de la
Constitution.
Un soir, la veille de son entrée au « Couvent des Sein Te Y Touches », un
évènement bouleversa sa vie rangée en croix. Une chaleur. Une chaleur
étouffante qui s’imprimait dans chaque pouce de son corps,
particulièrement à l’équateur où la canicule devenait insoutenable.
Bonnie hurla au secours de toute la force de sa prière, mais aucun ange ne
daigna lui faire l’amour, tous débordés par une vague de jeunes sœurs
impies. Son malheur fut de saisir le premier inconnu qui vomissait encore son
gin et de lui ordonner de lui donner tout ce qu’il avait dans les tripes, et
même plus encore. Le pauvre type voyant une fillette souffrir ainsi ne se fit
pas prier, mais aux grands rires des anges il était le plus mauvais coup de
toute la ville. La martyre folle de rage et dévorée par sa libido le tua
sous le coup de l’excitation en lui plantant un crucifix entre les deux
yeux. Ainsi la petite Parker devint Bonnie, femme sans pitié pour les hommes
impuissants et rongée par un désir à jamais insatiable. Tout ça pour un
orgasme.
Clyde dans son coin jouait au caïd. Il appartenait à un Big Band de la
ville et tripotait de temps en temps sa trompette quand l’envie lui prenait.
Avec des copains le soir, le jeune Barrow traînait dans les bars, buvait
comme un trou son whisky et draguait les minettes qu’il rendait fou. Avec
ses grands yeux noisette et son humour, il causait moins qu’il
n’embrassait, profitant à juste titre de l’insouciance de la jeunesse. Il
crevait le temps ainsi, abandonnant sa vieille mère à son malheur.
D’ailleurs, il dormait plus souvent en taule et roulait sur les pierres.
Mais assez parlé de ces mômes, ça n’intéresse personne à une heure
pareille. Un intellectuel ou deux au pire.
Les deux petites terreurs effrayaient et amusaient, jalousés et
détestables, tout ça à la fois, juste pour le temps de rire. Seulement
voilà, un soir Clyde qui venait de voler l’auto de l’épicier freina
brusquement près d’une rivière. Il aperçut une ombre en plein nulle part.
Une fille. Elle venait de plonger à la garçonne, les jambes de travers pour
laisser glisser ce qu’il y aurait dû traîner entre les deux. Bonnie.
Clyde se dit qu’il avait assez bu pour en mériter une jolie ce soir,
toujours pour le crève-temps. Il s’ébouriffa et avança d’un pas léger
vers le cours d’eau magistral, les pieds dans les poches.
« Elle est bonne chérie ? »
« Délicieuse. Mais sûrement trop froide pour un mec. »
Là-dessus Bonnie s’élança nue hors de l’eau, la peau éclatante au
clair de lune. La beauté sauvage. Dans l’insolence de ses yeux elle
chaparda le pauvre Clyde.
Pas le moins gêné du monde, Clyde enlaça de force ses bras autour de la
taille de Bonnie, et la serra de telle distance que ni l’un ni l’autre ne
pouvait ignorer leurs formes. Ni leur désir.
« Viens ma belle, je me fous à poil et on y retourne. »
Là vous pourrez croire les sornettes qu’on déb*** comme d’habitude sur
nos deux héros, qu’ils pillèrent et tuèrent sans pitiés les gêneurs.
Mais ce serait manquer de finesse dans l’analyse des rapports cambrioleurs
de Bonnie & Clyde. Oubliez les mots d’un incurable tessonnier.
Donc Clyde courut rejoindre sa Bonnie nu comme un poisson, (évidemment, dans
une rivière...) et commença à glisser adroitement ses mains là où sa
compagne planquait habituellement le canon d’un flingue, à tout hasard.
Mais le bruit sourd de son revolver glissant dans l’eau révéla leur
soudaine attirance au monde de la nuit, de la Lune et du cours d’eau. Les
voilà en train de faire la planche l’un sur l’autre. Ça flotte
l’amour. Mais c’est pas très étanche.
« Tu as une de ces brasses mon chéri. »
« Je m’entraîne souvent... »
La vie est un long fleuve tranquille, surtout au fin fond du monde à une
heure pas possible, quand tous les honnêtes censeurs sont couchés depuis des
lustres. Longue insomnie de pauses et de reprises, comme le tournage d’un
film d’Hollymood.
Un cat noir traversa alors la vieille route et attrapa au passage un bout de
vêtement, dans lequel il mordit sauvagement avec passion. Après
dégustation, le bougre félicita Clyde, se disant que la fille devait avoir
un goût terrible. Il s’éloigna sans un coup d’œil pervers sur le vieux
tacot qui remuait furieusement et partit rejoindre des catinettes échaudées
sur les vieux trottoirs.
Le lendemain, Clyde s’étira longuement sur sa banquette arrière et jeta
un coup d’œil sur Bonnie vautrée sur son corps avec jouissance. Sacrée
fille pensa-t-il sans l’ombre d’une mauvaise pensée. Toutes les pensées
sont bonnes à contempler Bonnie, voilà tout. Clyde s’extirpa du mieux
qu’il put et décrocha sa chemise de la capote. Debout, il constata les
dégâts de la nuit.
L’alcool qu’il avait englouti sembla lui avoir volé sa mémoire. Autour
de la vieille Ford grinçante jonchait des cadavres par-ci par-là : on
dénombrait avec les morceaux quarante vagabonds puants, une demi-douzaine de
policiers, trois concierges centenaires, quelques poubelles pleines
d’enfants, et des dizaines de femmes mûres, jolies, banales. Bonnie
interdisait les orgies et punissait les coupables. Tout ce qui est sur elle
lui appartient uniquement. Dommage pour les victimes trop curieuses.
Pensif, Clyde se gratta la tête. Ils avaient donc tant tué ce soir-là.
Bonnie reprenait ses esprits et à son tour, elle contempla le massacre
amoureux.
« Merde. Fallait pas nous tripoter. »
« Quand même tous ces gens, ils n’avaient rien fait de mal. C’est dans
ton habitude de buter ceux qui tentent leur chance ? »
« J’aime pas partager chéri. Et puis, toi aussi t’en as signé
quelques-uns. Le vieux là-bas, je m’en souviens. »
« Mais là on va avoir de sérieux problèmes. Y en a trop et surtout, ceux
là sont des flics. »
« Que veux-tu, c’est l’amour. »
En honnêtes voleurs, notre couple vida les poches et les sous-vêtements,
trouva de gros billets et décampa. Commença leur cavale.
Clyde qui retournait dans son meublé prendre le nécessaire pour le voyage,
c'est-à-dire quelques bacs de gin, des flingues et ses anciens butins, freina
brusquement. Le tas de boulons s’arrêta juste devant un couple de cats
noirs qui comme eux s’enfuyaient à toutes pattes. Vif et souple, le mâle
bondit juste à temps sur le capot et foudroya du regard Clyde. Un éclair lui
dressa les cheveux.
« Abruti. »
Et le matou se retourna convulsivement comme un évadé. Clyde suivit son
regard. On distinguait au bout d’une ruelle de zinc des cadavres de cats, de
vieillards félins, de p**** siamoises, et quelques bottés représentants de
l’ordre.
Bonnie ouvrit la portière, embrassa le cat, attrapa sa compagne et les jeta
tous deux dans la bagnole.
« Démarre mon joli. Faut être solidaire entre hors-la-loi. »
Le cabriolet fila à travers les avenues grisâtres du matin. Clyde ajusta
son rétroviseur.
« Alors les cats, on sème aussi la pagaille ? »
« Que voulez-vous, c’est l’amour. Et puis nous autres chats assassinons
avec classe. »
Le matou contempla le corps griffé de Bonnie et la renifla à plusieurs
endroits intimes.
« Dites, je vous connais. Votre odeur me rappelle quelque chose... Ça y
est, j’y suis. C’était vous les fous furieux hier soir près de la
rivière ? »
« Exact mon minou. T’aurais pas espionné par hasard ? »
« J’suis pas du genre. Et puis j’avais affaire ailleurs comme vous
voyez. Mais alors, ceci vous appartient. »
Là-dessus il extirpa de sa fourrure un morceau de culotte rouge brûlant.
Bonnie le recousit à son dépareillé.
Les compères roulèrent et roulèrent et roulèrent etc... Les cats
n’arrêtaient pas de roargeuler et de se caronronsser jusqu’à la mort. La
catinette sentait parfois en elle l’éclair funeste, mais ressuscita par
convenance. Pendant ce temps, Bonnie reposait sur l’épaule engourdie de
Clyde. Ils avaient fière allure tous, à défier les lois et le temps. La
classe qui libère les prisonniers.
De temps en temps ils s’arrêtaient pour voler de quoi vivre et bavardaient
à grand coup de gin jusqu’au petit matin, insouciants, invincibles. Plus
que tout, ils adoraient s’étaler dans les herbes près des rivières qui
leur rappelaient leur rencontre. Ils se battaient comme les meilleurs amis,
mâles entre mâles, tigresses entre tigresses, et laissaient pousser leur
orchestre pour faire chanter le rire.
Parfois la nuit, la catinette poussait de longues plaintes mélancoliques
qui berçaient les bandits, les malfrats, et tous les autres rêveurs. Sa
préférée était celle de l’homme au chapeau.
« Les mots manquent toujours pour laisser courir les sentiments. Merci à sa
si charmante maladresse d’avoir autorisé la rencontre de cet étrange
personnage. Il voyageait toujours sur son nuage à couleurs. D’ailleurs
jamais je ne vis d’aussi merveilleux nuage que le sien. Si nuancé, dans la
décence insupportable de l’imagination, il prenait la forme des mots qui
passaient par sa tête. Cet homme était bon. Ce n’était pas vraiment un
homme d’ailleurs, puisqu’il l’était. Disons que c’était un passager
: le passager au chapeau. Son sourire possédait tous les secrets de la vie.
Il souriait du mieux qu’il pouvait, mais ce tremblement de la lèvre
inférieure révélait son essence mélancolique. Je lui lançai le même
secret…
Ce passager fascinait. De son nuage il marchait parmi tous les malheurs du
monde, il découvrait toutes les horreurs, et chacune rajoutait une nouvelle
nuance. Un nuage de larmes. Un amour de nuage. Sa passion était-elle
nécessaire ? Sûrement. Le passager au chapeau n’était pas si lâche que
nous. Il voyageait partout, subissait tout, enchantait tout. Dans son salut de
chapeau, il devenait magicien. Son regard apportait à quiconque une touche
d’espoir et de bonheur. Mais surtout sa mélancolie. Même toi mon cat, il
te toucha. Son sourire volait à chaque homme malheureux une larme
cristalline, un diamant de peine. Ainsi, pardonnez-lui de vous avoir
rencontré et d’avoir rêvé un peu. Comme à son habitude, il me salua avec
sa magie et sa peine. Alors qu’il soulevait légèrement son chapeau, je
compris aussitôt son avantage : le pauvre retenait ses pensées. Il les
enchaînait à son crâne pour qu’elles ne commettent pas l’irréparable
sur l’homme qui croiserait ce passager du nuage de larmes. Les peines du
monde. Seul un tel amour pouvait détenir tous les malheurs. Si toutes ses
pensées s’échappaient, elles tueraient tout où elles traîneraient, les
larmes et les couleurs de son nuage s’évaporeraient. Et le passager
deviendrait banal. Voilà pourquoi il garde toujours son chapeau sur sa
tête.
Mais avec surprise je vis qu’en me saluant, le magicien avait laissé
traîner une pensée. Peut-être était-ce parce qu’il rêvait qu’il avait
commis cette erreur. Peu importe. Elle avait fait mon bonheur. Je découvris
alors que cette pensée n’était pas triste, bien au contraire c’était
sûrement la seule pensée heureuse et fraîche de ce passager. D’ailleurs
elle était rose.
Je vous ouvre cette pensée. Vous pouvez écoutez ce que je vous murmure, ou
vous ne pouvez pas. J’ai croisé ce matin un vagabond, les yeux décharnés,
un oiseau sous le bras. Le vieillard en transe me grogna un secret : le
silence. Et tout en dormant il me conta l’histoire d’un amoureux.
C’était un insomniaque : s’il dormait, son amour pouvait se dévêtir et
s’échapper comme une bouffée de plumes. Donc il crevait de fatigue
jusqu’à rêver sa vie, comme vous, comme moi. Un jour, il eut
l’extraordinaire illumination de planter un arbre. Ce n’était à
l’origine qu’une mince tige, frêle et immortelle comme bien d’autres
hommes. À la différence près qu’elle ne pouvait voyager, prisonnière de
ses racines, et s’ennuyait. Mais l’amoureux la soignait du mieux que son
cœur lui permettait et inventa ainsi un arbuste. Là, il vit qu’il pouvait
déverser ses rêves d’amours dans les minces branches, retenus par
l’amour de son arbre qu’il avait conçu comme une mort libérée. Ainsi
satisfait et soulagé, l’amoureux s’en alla rouler sous une pierre et
dormir un peu. L’arbuste devint un homme. Et l’homme un arbre majestueux.
Mais l’amoureux victime de sa passion oublia son arbre, et oublia son secret
: il finit humain. Quant à son enfant lui, vit toujours, et possède encore
la passion transcendante de son héritage. Aussi lorsqu’il rêve, il agite
doucement ses branches qui se laissent cajoler par le vent. Et ses feuilles
font glisser ses rêves amoureux en perles de larmes dans l’air. La pluie
est née. La pluie nous rafraîchit comme un enfant mélancolique… Elle
porte ainsi en elle tout l’amour possible et en répand un soupçon sur le
monde, inondant l’homme. C’est dans le silence du vagabond que je perçus
l’histoire de l’arbre de pluie. Rêvez un peu, et vous en sentirez aussi
la douceur écœurante...
Si un jour vous croisez donc un homme qui voyage sur un nuage de toutes les
couleurs du monde avec un chapeau sur sa tête, regardez-le. Il vous volera un
peu de votre tristesse, une larme ou deux, et vous saluera. Vous vous sentirez
alors un peu plus heureux. Et n’oubliez pas de regarder si derrière son
passage, il a laissé traîner une pensée. Et n’oubliez pas ce passager et
son nuage... »
Le calme. Et les yeux mouillés de tous nos durs au cœur tendre. Rien n’est
plus beau qu’une brute qui pleure. Imaginez nos quatre marins rire et
pleurer comme des gosses.
On pourrait ensuite préciser le nombre de cadavres qu’on laissé nos deux
paires d’héros, mais c’est inutile. Tout le monde sait que l’amour
assassine.
Comme dans toutes les vies, seule compte la rencontre. C’est l’unique
moment d’humanité. Le reste n’est que décadence.
L’histoire de Bonnie & Clyde crève de banalité. Ils moururent ensemble
sous les coups naturels des pistolets jaloux. Le cat et sa Bonnie
s’embrassèrent et assassinèrent jusqu’à la fin de leurs neuf vies.
FIN FIN FIN FIN FIN FIN FIN FIN FIN.
Une distraction sans grand intérêt.
|