El Desdi
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Posté le: Ven Mar 09, 2007 01:44 am Sujet du message:
Bon bin je me lance alors (je crois que ya encore quelques fautes de frappe
mais bon)
Le vert de ses yeux
CHAPITRE 1
Hachim courait, encore et encore, à travers l’obscurité de la forêt.
C’était une nuit noire, sans lune, sans même une étoile ; et pour cause,
il pleuvait, et de sombres nuages avaient assiégé le ciel. Hachim, dans sa
course folle, voyait à peine les gouttes tomber autour de lui, tant la
visibilité était réduite. Pourtant, il lui fallait courir, enjambant les
souches, les troncs d’arbres renversés ; survolant les flaques de boue,
parfois s’enfonçant jusqu’à la taille dans ces dernières, quand aucune
autre alternative ne se présentait à lui. Ainsi, il filait à travers la
nuit, à une vitesse folle, si vite, qu’on eût cru qu le danger qu’il
semblait fuir était la Mort elle-même.
« Ils sont là. Je le sais. C’est moi qu’ils veulent. ». Hachim
s’arrêta un instant pour reprendre son souffle, s’appuyant contre un
arbre. Où était-il donc ? Il ne savait de ce lieu que ce qu’il en voyait :
une forêt, mangée par l’obscurité, plongée dans le silence nocturne.
Dans le tumulte de ses pensées quelques images lui revenaient maintenant :
une pièce sombre, fermée d’une lourde porte blindée, une seule fenêtre
–à barreaux. Une cellule, probablement la sienne. Puis le reste était plus
confus, une explosion, des sirènes… des coups de feu… oui, il s’était
évadé. Il jeta un œil sur sa tenue : un ensemble blanc, très serré,
taché de boue et déchiré par endroits. Une camisole ? Cette cellule dont il
se souvenait à peine, comme d’un rêve lointain, n’était donc pas celle
d’un prisonnier- mais bel et bien celle d’un fou ? Il s’arrêta de
penser. Dans la nuit quelque chose retint son attention. De l’obscur silence
s’échappaient à intervalles réguliers des bruits sourds, accompagnés de
petits craquements. Quelqu’un approchait :
« -Tiens tiens, tu as réussi à leur filer entre le doigts … une fois de
plus ! C’est pour combien de temps cette fois-ci ? »
Une silhouette s’était arrêtée à quelques mètres de lui. Elle se tenait
immobile, adossée à un arbre, les bras croisés. Une femme. Il ne savait
d’elle que ses formes,seuls ses yeux, d’un vert vif, s’arrachaient à la
pénombre.
« -Pourquoi cours tu ainsi ? Tu sais qu’ils te rattraperont… ».Hachim
regarda derrière lui. En effet, il lui semblait distinguer au loin au milieu
des arbres, quelques lueurs perdues dans la nuit. Elle reprit :
« -C’est donc ça ta vie ? Fuir, fuir le plus loin possible, fuir pour se
faire attraper, fuir, et se faire enfermer ? » Hachim ne disait rien. Cette
vie qu’on lui rappelait, ces souvenirs…tout cela lui semblait si lointain,
qu’il les auraient cru être à quelqu’un d’autre, s’il n’y avait
pas eu, sur lui, cette camisole en lambeaux, et devant lui, cette femme, cette
inconnue qui pourtant s’adressait à lui comme on s’adresse à un proche.
Peut-être était-il vraiment fou…
« -Chaque fois je te tends la main, chaque fois tu me tournes les dos.
M’écouteras-tu seulement un jour ? ». Elle s’avançait vers lui
désormais, d’un pas léger. Le vert de ses yeux voletait dans la nuit.
« -Tu ne dis rien ? Le silence, c’est donc tout ce que tu as à me donner,
quand moi je t’offre la vie ? »
La pluie s’était arrêtée maintenant. Un pâle croissant de lune
émergeait des nuages noirs, dissipant la pénombre, comme la brise matinale
dissipe les feuilles mortes. Autour de son regard se dessinaient lentement
les traits de son visage, à mesure qu’elle s’approchait de lui. Il y
avait là dans ces traits quelque chose d’irréel, de mystérieux, sentiment
renforcé par la douce clarté de ses yeux. Cependant ce visage lui était
familier. Cette voix aussi d’ailleurs. Il sentait resurgir du fond de son
âme comme une foule de souvenirs, flous et désordonnés, tous marqués de
cette présence, de cette voix, de ce regard.
« -Mais enfin…mais qui es-tu ? »Il tressaillit. Avait-elle perçu dans sa
voix le trouble qu’il tenté vainement de dissimuler dans la pénombre ? Il
plaqua son corps tout entier contre l’arbre, tétanisé.
-Pourquoi t’interroges-tu sur mon identité, quand je suis là, devant toi,
à te tendre la main ? »Elle s’arrêta, à quelques centimètres de lui
seulement. Ils demeurèrent ainsi un instant, leurs visages face à face dans
l’obscurité, leurs chaudes haleines s’entrecoupant par moments. Hachim ne
savait plus que penser. Il avait peur, terriblement peur. Il avait en
l’espace d’une nuit hérité d’une vie dans laquelle il ne se
reconnaissait pas, une vie qui, de surplus, transpirer horriblement la Mort,
comme si la nuit tout entière n’eût été qu’un sombre linceul. Et puis
il y avait ce visage, cette voix, ce regard, tout lui était si familier chez
cette femme, qui demeurait pourtant à son égard une inconnue. Elle approcha
un peu plus son visage du sien :
« -Hachim, je suis morte maintenant, murmura-t-elle.
-Oui, tu es morte maintenant. »
CHAPITRE 2
Lorsqu’il rouvrit les yeux elle avait disparu. Au dessus de sa tête ce
n’était plus le ciel noir mais le bas plafond poussiéreux de sa cellule,
d’où tombait une lueur blafarde. Il était seul. La pièce était assez
petite, et peu meublée : un lit, sur lequel il était assis, un petit buffet,
à deux tiroirs, collé dans un angle de la cellule, et une table, placée
juste devant l’unique fenêtre- à barreaux. Hachim s’assit à la table,
sur laquelle une bougie achevait de se consumer. Ses yeux se posèrent sur une
feuille, une lettre à demi déchirée, à côté de laquelle se trouvaient un
encrier, renversé, et les morceaux d’une plume brisée. A son grand
étonnement ce n’était pas son écriture sur la lettre, ce n’était pas
ses mots, ses pensées. Il éprouvait une sensation étrange, il voyait les
mots couchés sur le papier, il devinait du coin de l’œil des phrases, des
interjections, des idées, mais à peine ses yeux essayaient-ils de saisir ces
mots que ces derniers le fuyaient, leurs sens tout du moins. Toutes les
nuances, toutes les couleurs s’éteignaient ; ce n’était plus des
phrases, mais un manège virevoltant, un bal où les lettres dansaient,
perdaient leur inertie pour se mouvoir à leur aise, disparaissaient,
revenaient, s’associaient, comme mille fourmis en effervescence,
s’éteignaient, puis s’illuminaient, et finalement se figeaient pour
former un seul mot, un seul visage, un seul nom : Kayna. Il tressaillit. La
porte s’était entrouverte, découvrant un long couloir noir, comme un long
tunnel sans fin, le vide, un morceau de néant. Il quitta sa table et franchit
le seuil de la cellule.
Un vent glacial soufflait dans le corridor noir, où des torches
accrochées aux parois jetaient à intervalles réguliers leurs lueurs
dansantes sur les murs décrépits. Le dur sol de pierre envoyait à chacun de
ses pas l’écho se mourir dans les ténèbres ; aussi Hachim
s’efforçait-il de marcher lentement, avec souplesse, espèrant ainsi
maintenir un semblant de silence nécessaire à son évasion. Evasion,
était-ce le bon mot ? On s’évade d’une prison. Or ces lieux n’avaient
rien d’une prison. Il revoyait derrière lui, l’encadrement lumineux de la
porte de sa cellule, la fenêtre, devant laquelle trônait la table, où la
bougie demeurait éteinte, fumante sur son petit plateau recouvert de cire. Il
allait reprendre sa marche quand quelque chose attira son attention : il
était assez loin maintenant, mais il crut voir une silhouette, une ombre
gesticuler sur le mur de sa cellule. Le mouvement s’arrêta, l’ombre
s’immobilisa. Bizarre, il n’avait pas vu de mouche là-bas. Il reprit sa
marche vers l’inconnu, serein, car il sentait dans son dos cette chaleur,
cette intimité de la cellule du prisonnier, ces soirées, ces nuits passées
à la lueur de la bougie, son petit chez soi, et il n’avait qu’à se
retourner pour le retrouver. Le vent redoubla d’intensité. Il s’arrêta
un instant et regarda de nouveau vers sa cellule. Stupeur ! , devant la
fenêtre une ombre se tenait immobile : elle semblait regardait le paysage.
Elle tenait entre ses mains un objet tranchant, une faucille, dont la lame
aiguisée semblait absorber les moindres rayons de lumière, pour les renvoyer
dans toutes les directions dans un halo surnaturel. Hachim demeura ainsi un
moment, stupéfait devant cette apparition d’un autre monde, avant de
s’élancer à toutes vitesse dans les ténèbres glacées. Déjà l’écho
de son poursuivant le rattrapait.
Le corridor lui semblait interminable, seulement il n’avait d’autre
choix que de poursuivre sa course, stimulé par l’extrême sentiment de peur
et d’angoisse auquel il était sujet. Le doute se faisait de plus en plus
grand dans son esprit à mesure qu’il avançait : ce couloir avait-il une
fin ? « La fin de ce couloir, c’est la mienne pensa-t-il ». Il
tressaillit. Et si sa course folle le menait à un cul-de-sac ? Il
s’efforçait d’éloigner ses sombres pensées de son esprit : n’importe,
il n’avait pas le choix.
Le couloir s’arrêtait ici, au pied de cette échelle de fer rouillée qui
s’enfonçait plus haut dans la pénombre. Il jeta un œil derrière lui : à
présent toutes torches étaient éteintes, seul un point lumineux scintillait
au loin sur ce tableau noir. Il agrippa l’échelle et gravit les échelons
quatre par quatre, souleva une petite trappe de bois léger, pour finalement
arriver au centre d’une salle circulaire, où il retrouvait la même
obscurité qui le poursuivait depuis le début de cette nuit cauchemardesque.
Il referma la trappe, et y mit même, un peu naïvement, le verrou, sachant
pertinemment que cette manœuvre désespérée lui ferait gagner au mieux
quelques secondes sur son poursuivant- voire même en perdre. Sept portes se
présentaient à lui, chacune surmontée d’une torche et d’un petit
écriteau, sur lequel étaient gravées en lettres couleur sang des
inscriptions latines. « De véritables catacombes » pensa-t-il. Et encore,
nul doute qu’on y serait mieux accueilli. On donna deux gros coups dans la
trappe ; au troisième le bois se fendit, laissant émerger la lame menaçante
d’une faucille. Hachim s’engouffra sans réfléchir dans une des portes.
Il stoppa sa course quelques foulées plus loin. Plus aucune torche
n’éclairait son chemin désormais, et il hésitait à aller plus loin. Il
se remit en marche, très lentement cette fois-ci. Le bruit dans son dos
d’une plaque de bois que le casse le pressa un peu plus : il s’agissait de
s’enfoncer le plus loin possible dans l’obscurité, jusqu’à ce qu’il
ne soit plus visible, de la salle circulaire où se tenait maintenant immobile
l’ombre à la faucille. Hachim se colla contre la paroi humide et glacé, le
visage ruisselant de sueur et de larmes : son cœur battait à tout rompre.
« -Tu ne pourras pas toujours retarder l’échéance, Hachim ».Sa voix
résonnait sombre et grave sur les hautes parois de pierre. Il était dos à
lui, les bras le long du corps, il s’appuyait légèrement sur la faucille,
comme sur on s’appuie sur une canne :
« Il existe certaines prisons dont on ne peut s’évader… » Hachim
hocha la tête dans le noir. Il s’évaderait.
« -Que par la Mort ! » Hachim tressaillit. Ces derniers mots lui
révélaient une vérité qu’il n’osait s’avouer jusque là ; ce couloir
dans lequel il se cachait, c’était le couloir de la Mort, de sa Mort, et
cette ombre qui attendait là devant lui était son bourreau. Seulement quel
crime avait-il commis pour qu’on lui enlève la vie ? L’ombre se retourna.
Maintenant elle regardait vers Hachim, comme si malgré la distance elle eût
senti la vie se terrait dans la pénombre. Elle leva les bras au ciel, et
toutes les torches s’éteignirent dans un bruit de flamme que l’on
souffle. Hachim était tétanisé, plaqué contre le mur comme il l’avait
été plus tôt contre cet arbre dans la forêt. Il restait là de crainte
qu’on ne le repère au bruit des ses pas : même son cœur lui semblait
battre trop fort dans ce silence. Il devinait dans le noir comme mille épées
de Damoclès, prêtent à lui trancher la gorge d’un même geste. On
approchait, quelqu’un venait vers lui à pas lents. Lui, collé contre son
mur attendait, comme l’accusé attend sa sentence, comme le condamné attend
son déclin sur la place de Grève. Quelques pas encore, puis le silence, et
la chaleur tranquille d’un corps à quelques centimètres de lui. De lueurs
d’un vert vif s’allumèrent dans la nuit.
« -Tu es mortes maintenant, murmura Hachim
-Je suis morte maintenant ». Et les lueurs s’évanouirent…
CHAPITRE 3
Lorsqu’il rouvrit les yeux elle avait disparu. Autour de lui ce n’était
plus l’obscurité, mais la chaleureuse clarté d’un soleil matinal
d’été. Il était seul dans sa chambre allongé sur son lit deux- places ;
une douce brise lui arrivait de l’unique fenêtre de la pièce- sans
barreaux. Il se leva, et contempla la mer qui s’étendait, large et
tranquille sous ses yeux encore ensommeillés. Quelle nuit tout de même !
Heureusement il faisait beau aujourd’hui : il irait faire quelques brasses
après le déjeuner. Il enfila ses chaussons, et fila tout droit vers la
cuisine où tasses, lait, beurre et confitures avaient été soigneusement
été disposé par ses soins la veille, sur une large table en bois. Sa petite
fille l’y attendait, tranquille, comme la mer. Elle tenait dans ses mains un
vieil album photo.
« -Qu’est ce que tu fais de beau ma chérie ?!, lança-t-il le plus
gaiement du monde ». Son regard s’illumina :
« Bonjour Papounet ! Je regardai des vieilles photos de toi et
Maman…c’est dur… mais ça me fait beaucoup de bien. Hachim voulut lui
adresser son plus beau sourire de Père, mais il n’obtint qu’un espèce de
rictus, qui révélait bien comment il souffrait de tout cela. On ne force pas
le bonheur.
«-Dis papa, elles datent de quand ces photos ? On dirait que les couleurs
commencent à s’éteindre… ».Elle lui tendit la photo, laquelle il saisit
fébrilement. Il l’examina un instant avant de déclarer gravement, avec
toute la résignation d’une âme meurtrie en son cœur :
« Non ma chérie. C’est juste ses yeux. Ils ne brillent pas. » Elle le
dévisagea, perplexe :
«- Comme en vrai ?
-Comme avant, répliqua-t-il . Car Maman est morte maintenant
-Oui tu as raison. Maman est morte maintenant. »
Tous deux baissèrent la tête, unis dans la douleur, le regard fixé sur la
photo. Une dernière fois les yeux de la défunte scintillèrent de leur vert
perçant, comme un adieu, puis s’éteignirent, à tout jamais.
El Desdichado
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