Sylvain Legrand
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Posté le: Jeu Jan 11, 2007 19:54 pm Sujet du message: Du plâtre sur les brides
Ce fut un grand bonheur, votre résurrection ;
C’est tout l’effet du spectacle !
On vit des bras se tordre et se dresser, et les visages décomposaient avec
science chacune de leurs expressions. On entama quelques sons bienvenus et
jaugés, et l’on poussait quelques cris. Puis, chacun s’en est retourné
pour vivre, dans le calme, le rire et l’exposition, fort de son malheur
nouveau et de son humanité.
Je prends pari de toutes les cassures. Le sentiment n’est qu’une vaste
invention que nous élevons avec plus ou moins de délice dans nos mains et
nos yeux.
J’écris des soubresauts dorés. Ce m’est une belle position, et j’en
tire quelque estime, mais ce n’est au fond qu’un pointu mensonge, une
richesse inventée pour la cérémonie.
-Appelle-moi régénération. Appelle-moi par tous les mots qui surgiront,
dans de vastes desseins. Donne-moi quelque souffle, quelque culpabilité.
J’ai le mérite plus que tous les autres.
On entendait de grandes rages, du fracas. On pouvait voir des combats, et de
la folie des ignorants, le tout formant une habitude atroce. Ils finirent par
se séparer : poursuivre d’exister leur pain et leur humanité après cette
introduction. Je prends pari de toutes les cassures.
Toutes m’écœurent également, c’est tout l’effet de mon spectacle. Les
animations du souffle sans vie, applaudies et reconnues, l’hébétude des
plus grands, et toutes les formes de résurrection. La résistance vaincue et
l’espoir immortel agissent pareillement.
— Ici j’aurais voulu poser une citation latine, plus pour donner à
l’ensemble une rigueur redoutable et la mécanique que j’aime à installer
dans mes textes, que pour assurer de ma sagesse —
Je n’ai pas la force d’apposer du plâtre sur mes brides. Je sais qu’on
ne le fera jamais.
Mais c’est
L’espérance immortelle
Et je l’aime aussi, c’est à dire.
Car c’est mon existence,
Mais surtout mon humanité :
L’écriture m’est obligatoire
Et chaque fois
Je reviens
Me briser.
BLANC ( représentation de l’avilissement de la pensée que constitue
l’organisme)
Ce fut un grand bonheur, votre résurrection ;
C’est horrible ce poids de la constitution.
Dernière édition par Sylvain Legrand le Mar Jan 16, 2007 22:57 pm; édité 1 fois
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Sylvain Legrand
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Posté le: Mer Jan 17, 2007 16:30 pm Sujet du message:
Bon, on m'a demandé sur un autre forum d'envoyer une explication de texte, ce
à quoi je me suis appliqué, et je me suis donc dit que vous aimeriez
peut-être en profiter.
Déja, je précise partir de l'idée que l'organisme finit toujours par
constituer une contrainte à la pensée. Pour faire simple, on pourrait dire
que je pense que des facteurs tels que la fatigue, la colère, l'amour etc.
empêchent une lucidité parfaite, et que l'obligation de s'entretenir
(nourriture sommeil) est une perte de temps dans l'élévation de l'esprit.
Mais je pense que le texte va un peu plus profond que ce résumé grossier que
je viens de faire. Aussi, je vais citer par passages et expliquer l'idée à
chaque fois.
Citation: | Ce
fut un grand bonheur, votre résurrection ;
C’est tout l’effet du spectacle ! |
Ces deux petits vers amorcent l'idée générale du texte. J'ai voulu que
l'association entre résurrection et spectacle soit frappante, d'où le
positionnement en fin de vers. J'aurais pu faire deux alexandrins, mais, la
césure étant censée marquer elle aussi un terme intéressant, j'ai
préféré matraquer avec un vers libre en deuxième ligne. Ca contribue aussi
à effacer le "bonheur" du vers 1, car les comportements qu'impose notre
condition humaine, et que je m'apprête à décrire, sont, je pense
indirectement une recherche de bonheur, fatalement manquée, ou éphémère.
Pour ces deux vers, on retient donc les mots clé résurrection, et spectacle.
On retient aussi que bonheur est effacé par les deux autres.
Citation: | On
vit des bras se tordre et se dresser, et les visages décomposaient avec
science chacune de leurs expressions. On entama quelques sons bienvenus et
jaugés, et l’on poussait quelques cris. |
Première description d'un comportement imposé par la condition humaine. Ici,
les gens décrits jouent à être malheureux. Le malheur qu'ils miment les
sort de leur condition de monotonie, et dans leur faux malheur, ils se sentent
vivants, donc sont heureux. Je pensais à un enterrement en écrivant (les
enterrements m'horrifient car je les trouve absurdes) mais j'ai choisi de ne
pas préciser cela directement, afin que le texte reste une remise en question
générale des comportements imposés.
Parallèlement à ça, je donne des éléments de précision, avec la
"science" et les "sons bienvenus et jaugés". Cela ne sert pas à ancrer la
scène dans un décor précis, mais à renforcer l'idée de "rigueur
redoutable" du comportement imposé.
Citation: | Puis, chacun s’en est retourné pour vivre, dans le calme, le
rire et l’exposition, fort de son malheur nouveau et de son
humanité. |
Ici, je dénigre ce mouvement de comédie générale, ce spectacle de la
première résurrection. En effet les malheureux de "l'enterrement" qui
mimaient leur affectation plus tôt, repartent et exposent leur expérience
avec contentement, fiers d'avoir vécu cette comédie gigantesque du malheur,
qu'ils continuent partiellement d'entretenir. Je finis sur le terme
d'humanité pour l'associer à toutes les contraintes qui le précèdent et
pour le garder présent à l'esprit du lecteur, ce qui est nécessaire à la
prise de parole qui suit.[/quote]
Citation: | Je
prends pari de toutes les cassures. Le sentiment n’est qu’une vaste
invention que nous élevons avec plus ou moins de délice dans nos mains et
nos yeux.
J’écris des soubresauts dorés. Ce m’est une belle position, et j’en
tire quelque estime, mais ce n’est au fond qu’un pointu mensonge, une
richesse inventée pour la cérémonie. |
La phrase "je prends pari de toutes les cassures" est importante pour la suite
du texte, et a plusieurs fonctions. Tout d'abord, elle renforce l'idée que je
ne vise aucune situation particulière, mais que tout n'est que
"régénération", c'est à dire que chacune de nos actions est une comédie.
Dans ce sens là, la phrase est à comprendre comme " je prends pari que tout
n'est que cassure", et la phrase suivante "Le sentiment n’est qu’une vaste
invention que nous élevons avec plus ou moins de délice dans nos mains et
nos yeux." répète et simplifie le propos.
On doit aussi l'entendre comme une mise au défi que je me fais, de dresser un
portrait réellement objectif, y compris vis à vis de moi même. C'est
pourquoi je prends du recul sur moi juste après avoir développé le premier
sens, et que je reste dans la même "strophe", en me contentant de revenir à
la ligne. Ainsi, je prends recul sur mon écriture, la chose qui m'est apparue
comme celle m'étant le plus importante à l'heure actuelle, et je la dénigre
(car ce texte est une critique, et pas un constat, des comportements imposés
par notre condition). On notera une petite analogie avec le pieux mensonge,
pas vraiment fondamentale, mais pas inutile non plus à mon sens.
Citation: | -Appelle-moi régénération. Appelle-moi par tous les mots qui
surgiront, dans de vastes desseins. Donne-moi quelque souffle, quelque
culpabilité. J’ai le mérite plus que tous les
autres. |
Ici, je fais s'exprimer directement l'avilissement humain, aved des phrases
impératives et courtes, pour marquer son écrasante autorité. Dans le même
temps, j'entretiens l'idée de la régénération, et je "finalise" le recul
sur mon écriture pour pouvoir passer à autre chose, c'est à dire à une
autre description.
Citation: | On
entendait de grandes rages, du fracas. On pouvait voir des combats, et de la
folie des ignorants, le tout formant une habitude atroce. Ils finirent par se
séparer : poursuivre d’exister leur pain et leur humanité après cette
introduction. Je prends pari de toutes les cassures. |
En repassant dessus, cette scène me semble peut-être un peu trop précise.
Mais je ne voulais surtout pas passer pour un détracteur de la culture et des
coutumes au profit de caractères idiots ou animaux. C'est pourquoi je
répète le "Je prends pari de toutes les cassures".
Citation: | Toutes m’écœurent également, c’est tout l’effet de mon
spectacle. Les animations du souffle sans vie, applaudies et reconnues,
l’hébétude des plus grands, et toutes les formes de résurrection. La
résistance vaincue et l’espoir immortel agissent
pareillement. |
Je synthétise les résurrections évoquées auparavant, et en introduit une
autre: "La résistance vaincue et l’espoir immortel agissent pareillement."
Je condamne ici, après l'idiotie, l'innocence, qui est à mon sens une autre
forme de résurrection, ou de cassure, ou de régénération, ou d'existence,
car tous les termes désignent un même concept. Les idées d'espoir et de
résistance associées à un dénigrement confirment le négatif du texte par
ailleurs. C'est pourquoi j'ai donné à cette phrase une tournure simple et
que je ne l'ai pas ponctuée plus que nécessaire.
Citation: | —
Ici j’aurais voulu poser une citation latine, plus pour donner à
l’ensemble une rigueur redoutable et la mécanique que j’aime à installer
dans mes textes, que pour assurer de ma sagesse — |
La mise entre tirets signale un élément extérieur au texte. Ici, je
m'exprime directement, et la citation latine ne renvoie à rien d'autre que ce
que j'en dis.
Citation: | Je
n’ai pas la force d’apposer du plâtre sur mes brides. Je sais qu’on ne
le fera jamais.
Mais c’est
L’espérance immortelle
Et je l’aime aussi, c’est à dire.
Car c’est mon existence,
Mais surtout mon humanité :
L’écriture m’est obligatoire
Et chaque fois
Je reviens
Me briser. |
On peut dire que ce passage est une conclusion: je résume tout ce qui vient
d'être dit avec l'image des brides et du plâtre. Je redonne une touche
d'optimisme avec ma résignation à accepter, exprimée dans les vers libres.
Je jugeais cela important, car je ne tenais pas à être pris pour un pseudo
dépressif ou pour un adolescent qui dit merde à la vie
et qui encourage à se suicider.
BLANC ( représentation de l’avilissement de la pensée que constitue
l’organisme)
Petite expérimentation de "poésie visuelle", ce blanc représente un autre
aspect de l'avilissement, organique. En effet, je n'ai plus rien à dire dans
ce passage, car je suis écrasé par des conditions physiques qui m'empêchent
d'être toujours au maximum de mes capacités.
Citation: | Ce
fut un grand bonheur, votre résurrection ;
C’est horrible ce poids de la constitution. |
Deuxième conclusion, plus négative, et sous-entendant une répétition
inmanquable avec un retour au premier vers, mis en valeur cette fois par un
autre alexandrin.
Voili, voilou, vous n'avez plus le droit de dire que vous n'y comprenez rien
|