Vivre au hasard : la seule chose sensée à faire.


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tête chercheuse
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Message Posté le: Jeu Déc 21, 2006 18:44 pm    Sujet du message: Vivre au hasard : la seule chose sensée à faire.
Il s'agit d'une opinion de Métempsychose, exprimée dans " une question inévitablement inévitable".
Il écrit encore : " Non, je n'ai strictement aucune raison de vivre."

Ces phrases m'interpellent, comme on dit maintenant.

Je vois un ego raisonnable choisir délibérément de renoncer à prendre sa vie en main. Et refuser toutes les raisons de vivre qui lui sont proposées.

Loin de moi l'idée de critiquer cette option. Toute option me semble respectable.

Mais je vois là un échec cuisant de notre systême éducatif. Et surtout de la philosophie ambiante.
Imaginons qu'on écrive au-dessus de la porte des lycées et des universités " Vivre au hasard". Parce qu'enfin l'école doit proposer des choses sensées.
Peut-être, après tout, qu'alors les jeunes gens feraient tout leur possible pour diriger leur vie.

Pour ma part, j'ai choisi l'option diamétralement opposée. C'est mon droit le plus strict.
J'ai suivi des cours de formation de la personnalité reposant sur les données des sciences humaines contemporaines. Et je trouve que ces cours devraient faire partie des matières enseignées dans les écoles.

J'aimerais connaître les options et les opinions de quelques uns d'entre vous . Laughing
Méphistophélès
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Message Posté le: Jeu Déc 21, 2006 18:48 pm    Sujet du message:
Amusant, je suis moi-même à l'université une formation dans les sciences humaines. Et il me semble du reste que l'école n'a pas pour but de donner un sens à nos existences, mais plutôt de favoriser la socialisation de l'individu vis à vis des moeurs et des pensées de son époque.
Cela étant, je referme la parenthèse et je laisse les autres s'exprimer sur ce sujet.
conférence
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Message Posté le: Sam Déc 23, 2006 06:37 am    Sujet du message:
tout être qui dit qu'il n'a aucune raison de vivre est un être faible et qui de plus est, a un certain dégoût de la vie. manque de confiance en soi? perspective d'avenir bouché?
vaste sujet.
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Message Posté le: Sam Déc 23, 2006 08:30 am    Sujet du message:
conférence a écrit:
tout être qui dit qu'il n'a aucune raison de vivre est un être faible et qui de plus est, a un certain dégoût de la vie. manque de confiance en soi? perspective d'avenir bouché?
vaste sujet.


Une telle prodigalité en diléctions diverses, une telle pléthore d'aphorisme abstrus, ça a de quoi laisser songeur Aux anges
uacuus
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Message Posté le: Sam Déc 23, 2006 10:39 am    Sujet du message:
Je n'aime pas l'expression "raison de vivre", elle a quelquechose d'exagéré. On met généralement derrière cette expression toutes ses passions. La passion anime, et donne une raison à la plupart de nos actions. Mais il n'est pas évident que la fin d'une passion, ou de son objet, entraîne le suicide. Or si on continue de vivre sans cette raison de vivre, c'est que ce n'en était pas la véritable raison.
La vie n'a pas d'autre raison qu'elle même, nous n'avons pas à la justifier où à lui trouver un but.
Méphistophélès
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Message Posté le: Sam Déc 23, 2006 18:17 pm    Sujet du message:
uacuus a écrit:

La vie n'a pas d'autre raison qu'elle même, nous n'avons pas à la justifier où à lui trouver un but.


Et pourtant, vois combien certains exaltés s'inquiêtent de notre sort, de notre "faiblesse", de notre "manque de confiance en nous": je trouve ça charmant Aux anges
torres
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Message Posté le: Mar Déc 26, 2006 22:48 pm    Sujet du message:
Metempsychose a écrit:
De même, dire que nous "vivons" les valeurs ne justifie en aucune façon que ces valeurs existent.


Un problème similaire sur l'existence même de l'homme a été abordé par Saint Augustin, défendant la certitude. Il est intéressant de voir comme Augustin d'Hippone s'y prend, notamment par le dialogue suivant:

"La raison : Mais toi qui veux te connaître, sais-tu si tu existes?
Augustin : Je le sais.
La raison : D’où le sais-tu ?
Augustin : Je l’ignore."

Metempsychose a écrit:
Enfin, d'un point de vue purement linguistique: si tu ne peux justifier de l'existence d'une chose, alors celle-ci n'existe pas.


Cette affirmation est fausse, quelque point de vue qu'elle soit. Cependant, il est clair qu'affirmer l'existence d'un principe sans preuves implique la possibilité de le nier sans preuves.

Citation:
Pour tout dire, dans le doute, il me semble plus logique d'affirmer que chaque phénomène a une cause plutot que de sous-entendre une sorte de principe vaguement ésotérique, divin, magique ou je ne sais.


Dans le doute pure et simple, dans le scepticisme complet, on ne peut presque rien affirmer. Le sceptique radical ne doit même pas revendiqué le système de causalité classique, exprimé dans la célèbre phrase "il n'y a point d'effets sans cause", car il est lui même remis en question par la théorie quantique, étant d'essence indéterministe.

tête chercheuse a écrit:
Il s'agit d'une opinion de Métempsychose, exprimée dans " une question inévitablement inévitable".
Il écrit encore : " Non, je n'ai strictement aucune raison de vivre."


Si nous étudions la couche de cohérence la plus grande qui soit, on en concluera que l'homme, qu'il vive au hasard ou pas, il ne fait que s'inscrire dans un plan prédéterminé et son devenir est d'avance tout inscrit, il ne dispose alors plus de sa liberté et ne fait qu'obéir à un schéma d'existence préétabli où il n'a aucune responsabilité.

Il ne maîtrise pas son évolution, il ne fait que subir et n'est l'effet que d'une petite chaîne de causalité, formée principalement par le programme génétique, soit l'hérédité, et la nature, autrement dit, les conditions de vie, les accidents intellectuels...

Metempsychose a écrit:
"Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possible" disait le Pangloss de Voltaire, tu as sûrement été amené à étudier cette oeuvre au lycée.


A tous les systèmes (optimisme, pessimisme...), Voltaire opposait le silence. C'était sa réponse à tous les métaphysiciens, une invitation au silence face à l'incompréhensible. On ne peut reprocher à l'écrivain son choix de ne pas s'intéresser à la métaphysique mais plutôt aux réalités sociales et politique concrétes de son époque.

Lorsque Rousseau voulait philosopher avec Voltaire sur l'optimisme et la philosophie de Leibniz, Voltaire l'a nettement rejeté. Lorsque tête chercheuse énonce sa conception de l'optimisme, ce dernier n'a rien avoir avec celui de Leibniz.

Cordialement.
Torres.
Méphistophélès
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Message Posté le: Mer Déc 27, 2006 09:48 am    Sujet du message:
torres a écrit:


Metempsychose a écrit:
Enfin, d'un point de vue purement linguistique: si tu ne peux justifier de l'existence d'une chose, alors celle-ci n'existe pas.


Cette affirmation est fausse, quelque point de vue qu'elle soit. Cependant, il est clair qu'affirmer l'existence d'un principe sans preuves implique la possibilité de le nier sans preuves.


Il s'agit d'un problème de sémiologie complexe, je te renvoi aux théories de Roland Barthes: "le fait n'a qu'une existence linguistique".
Du reste, j'écris en ce moment même une analyse linguistique quelque peu romancée sous forme de nouvelle littéraire "Abécédéologie ou la métaphysique des mots". Si le sujet t'interesse je peux piocher là dedans.

Pour le reste, il me semble que tu m'ais parfaitement compris.
Je n'ai aucune foi dans la logique, je ne l'utilise que pour démonter les raisonnements de ceux avec qui je débat; et ce, pour la simple raison qu'il n'y a pas de débat sans logique. Corollaire implicite: les débats n'ont pas de sens.
La référence au theologien chretien Augustin d'Hipone, inspirateur du jansénisme, est très juste.

torres a écrit:
Lorsque Rousseau voulait philosopher avec Voltaire sur l'optimisme et la philosophie de Leibniz, Voltaire l'a nettement rejeté. Lorsque tête chercheuse énonce sa conception de l'optimisme, ce dernier n'a rien avoir avec celui de Leibniz.


Voltaire a beau etre un piètre écrivain à mes yeux, je dois bien reconnaître que certaines de ses répliques sont brillantes, particulièrement celle-ci qu'il adresse justement à Rousseau, en référence au mythe du bon sauvage:
"Lorsque je vous lis monsieur, il me prend l'envie de marcher à quattre pattes".
Tityre
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Message Posté le: Mer Déc 27, 2006 22:15 pm    Sujet du message:
comment fait-on pour vivre au hasard ?

pourquoi n'y aurait-il pas une raison de vivre ?
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Message Posté le: Jeu Déc 28, 2006 18:02 pm    Sujet du message: vivre au hasard
Oui, qu'est-ce que " vivre au hasard " ?

Pour moi, vivre, c'est faire continuellement des projets, à court, moyen ou long terme. Et faire des projets, ce n'est pas exactement " vivre au hasard ".
Par exemple, si je projette un voyage, je dois m'organiser pour trouver le temps libre, l'argent, le mode de transport, l'hébergement... Evidemment, il peut y avoir un part de hasard dans mon voyage... Je dirais même qu'il est bien qu'il y ait une part de hasard, le hasard favorisant les découvertes et les rencontres.
Il n'en reste pas moins qu'un voyage se construit. Je me souviens d'un ami qui était parti en Inde et qui a failli ne jamais revenir, en tout cas il a manqué la rentrée universitaire, il aurait même pu y laisser la vie. Il est très hasardeux de vivre au hasard.

Et d'ailleurs vivre au hasard, ne serait-ce pas se laisser conduire ? Comme un petit bouchon sur le grand fleuve.
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Message Posté le: Ven Déc 29, 2006 02:58 am    Sujet du message:
Vivre au hasard n'est donc pas la même chose que vivre sans raison.
Dans l'idée de projet, aucune raison n'est donnée à la vie dans son ensemble. Il s'agit de raisons données pour certaines actions, raisons provisoires et contingentes.
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Message Posté le: Ven Déc 29, 2006 15:44 pm    Sujet du message: des raisons de vivre
Les êtres vivants vivent leur vie sans avoir besoin de raisons. Seule l'humanité :
" L'humanité préfère à la vie des raisons de vivre " Simone de Beauvoir, extrait de " Le deuxième sexe ".
Parler de raisons de vivre, c'est parler des raisons que nous pouvons avoir de rester en vie, malgré...
En gros, le suicide serait facile. Ai-je intérêt à rester en vie ? En cette vie ou pour en préparer une autre.
uacuus
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Message Posté le: Ven Déc 29, 2006 17:27 pm    Sujet du message:
Evite de marteler les mots en gras, c'est pénible.
Le suicide est une chose qui n'a rien de facile, et qui s'oppose à notre instinct. Pour aller à son encontre, il faut une raison bien puissante il me semble... et la plupart du temps ce qui pousse au suicide, ce n'est pas un dégoût de la vie pour elle même, mais une cause particulière, qui n'a de sens que dans le déroulement même de la vie. Autrement dit, je n'ai nul besoin de trouver une justification générale de mon existence pour continuer de vivre.
?
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Message Posté le: Sam Déc 30, 2006 11:26 am    Sujet du message:
A mon avis tout dépend du sens que l'on donne à "raison de vivre":

Si l'on entend par là justification de son existence, alors évidemment personne n'a de raison de vivre. L'homme est venu au monde par hasard, comme disait Jacques Monod, mais ce n'est pas pour autant qu'il vit au hasard.
La raison de vivre ce peut être tout simplement la raison qu'on donne à sa vie, pour oublier l'absurde, et trouver une autre direction à l'existence, une direction qui affirme notre liberté et notre puissance, face à cette direction inévitable qu'est la mort...
Même, se donner une raison de vivre c'est donner un sens à sa vie, plus qu'une direction; c'est affirmer son humanité, sa liberté, son empreinte sur le monde...
n'est-ce pas noble alors de se donner un projet de vie?
Cioran
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Message Posté le: Lun Jan 01, 2007 20:01 pm    Sujet du message:
"Vivre au hasard" me paraît un exercice difficile, vu que nous sommes des machines à détruire les hasards et que la société nous imite en limitant l'imprévu. Sans juger du bien fondé de cet art de vivre, il me semble utopique. Il faudrait savoir en quoi cela consiste, avant de prolonger le débat, à moins que ce ne soit explicité dans un autre sujet...
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Message Posté le: Mar Jan 02, 2007 10:43 am    Sujet du message:
L'expression "vivre au hasard" est une formule stylistique plus qu'un théorème ou un precepte philosophique. Il faut y voir le refus d'une justification de notre existence, mais aussi l'impossibilité à trouver une cause apte à transcender nos vies.
En soi tout se vaut, et pourtant, il serait absurde d'y voir une cause de suicide ou de profonde dépression. Il s'agit de relativisme, mais d'une d'un relativisme conciliant. Un relativisme qui ne cherche pas à nier tout en bloc, mais au contraire, à tout accepter.

Si cela vous amuse, je vous propose d'éclairer mon propos dans le cadre de l'un de mes écrits:

Citation:
Un silence carnassier.
Finalement, la femme porta la cigarette à ses lèvres.

- Le matin en vous penchant à votre fenêtre, reprit-elle lentement, vous voyez des formes défiler à vos pieds. Elles suivent toutes un trajet prédéterminé et pourtant vous comme moi nous savons bien qu’elles ignorent absolument où elles vont. En fait, elles obéissent à une logique qui les dépasse. Et vous les plaignez n’est-ce pas ? Leur existence vous est insupportable. A l‘instant vous parliez de routine et de fatalité, vous en avez déduit que tout était sombre et que la vie n’avait aucune valeur, aucune originalité. Le destin, voilà tout. Vos yeux transpirent la résignation.

- Comment pourrait-il en être autrement ? On nous a appris un jour que celui qui ne décidait pas de son propre avenir était moins que rien. On nous a appris à admirer les héros de l’histoire morts pour la liberté. Que reste-il de cette liberté aujourd'hui? Une vague impression, rien de plus. C'est un mensonge que l'on se répète d'une génération à l'autre parce que le contraire nous répugne. Voyez comme l'homme use puis se détourne tout à tour de la logique selon qu'elle l'avantage ou non. « Pensez par vous-même », « soyez unique ». Quand on est six millions à répéter chaque jour la même chose, aussi étrange que cela puisse vous paraître, on finit par se ressembler drôlement… Pourtant cette tolérance a des limites elle aussi: allez donc parler de dictature, d’extrémisme ou de scepticisme à cette joyeuse assemblée, c’est tout juste si vous échapperez au bûcher. On est contre la peine de mort, mais on tolère que les gens « méchant », ceux qui ne pensent pas comme nous, périssent de la manière la plus abjecte et moderne qui soit.

- Cela dit, ils sont heureux ainsi, n’est-ce pas le principal ? Si tous se réfèrent aux mêmes croyances et abhorrent les même ennemis, il en découle un certain équilibre : que celui-ci soit justifié ou non importe peu. La fin justifie les moyens.

- Heureux ? Mais c’est abject ! Quand bien même ils le seraient, c’est parce qu’ils ne connaîtraient rien d‘autre. Heureux, oui, par défaut. Les gens se complaisent de plus en plus dans leur ignorance. Combien ai-je croisé de jeunes dans la rue parler avec mépris de ceux qu’ils nomment « les intellos », tout en revendiquant leurs propres carences intellectuelles comme s'il s'était d'agis d'une qualité indéniable ? Les imbéciles sont à la mode, nous allons vers une société dite "égalitaire" au sens où les gens d'esprits sont tirés vers le bas par le reste de leurs concitoyens. Nous allons vers une société uniformément bête. A la réflexion se substitue tout un florilège d’idées préconçues permettant de s'exprimer, de se socialiser sans avoir à produire le moindre effort. La télévision et les medias contribuent largement à rependre ce cancer: "ceci est bien", "ceci est mal", "ceci est beau", "ceci ne l'est pas"... Ces paroles son scandées par une foule toujours plus extatique, toujours plus enthousiaste, dotée elle même - et c'est là le plus grand drame - de la certitude absolue qu'elle pense par elle même. C'est à vomir. Chaque jour, nous sommes amenés à faire des choses que nous ne voulons pas faire. Nous obéissons docilement et pour nous consoler, nous nous répétons que c’est pour notre bien : on travail pour gagner de l’argent en pensant à l’avenir, on mange sans faim car c’est l’heure, ou on contraire, on s’abstient pour rester mince. Il n’y a pas de libre arbitre, tout ce que nous faisons est la conséquence d’une équation mathématique dans laquelle vient tantôt s’ajouter, tantôt se soustraire une infinité de données allant des exigences du corps au conditionnement d’autrui. J’ai conscience que la société s’embourbe dans ses beaux principes, mais cela ne suffit pas, il faut encore s’en persuader. Je discerne le monde tel qu’il est, dans toute sa noirceur : sans surprise ni charme ; et je ne peux croire en ce que je vois.

- Vous jugez sur les principes et les idées, c’est puéril. Qu’y a-t-il de plus douteux et changeant qu’une idée ? Cette philosophie élitiste est digne d’un Hesse, grand bien l’en fasse, vous valez mieux que ça. Non, la véritable question est : qu’est-ce qui fait la valeur d’un individu ? Sont-ce ses capacités mentales ? Sa position sociale ? Sa compatibilité au bonheur ?

- Rien de cela, le secret réside dans la compréhension de soi.

- Vous vous mettez à parler en lieux communs.

- Bernanos définie la médiocrité comme « l’indifférence face au bien et face au mal ». Ecoutez moi. L’homme idéal revient à sa nature profonde, il se débarrasse de cette âme incapacitante et assume pleinement son existence en tant qu’être de chair. Vous vous trompez sur mon compte, j’abhorre l’intelligence, j’exècre la réflexion, et par-dessus tout, j’abomine toutes ces idées préconçues. L’homme n’a pas même le mérite d’être mauvais, il est tout juste stupide.

- L’homme idéal est donc, selon vous, un animal ?

- Je n’ai pas dit ça, l’animal possède une part de perversion. Il est rusé lui aussi, simplement, l’homme à plus d’expérience dans ce domaine ; il a su affiner sa technique. Leur malice à tout deux tient à la représentation qu’ils se font d’eux-mêmes. Ils cessent de se percevoir comme de la matière animée, ils commencent à se projeter dans l’avenir, à élaborer des projets, et déjà, insidieusement, la notion d’intérêt s’est frayée un chemin dans leur esprit. Elle n’en sortira plus : les voilà condamner à évoluer.

- Cette évolution dont vous parlez avec tant de mépris ne me semble pas aussi monstrueuse que vous le laissez entendre. Prendre conscience de soi, de ses besoins, de ses envies, et tout faire pour les assouvir : n’est-ce pas louable ? L’idéal que vous défendez est un homme sans subtilité, sans sensibilité, sans but. Il n’est aucun bonheur possible dans ces conditions.

- Il en reste un au contraire, il est moins raffiné, certes, mais il perdure. Il s’agit du bonheur physique, celui que l’on ressent quand on a le ventre plein, quand notre proie gît devant nous en se vidant de son sang, quand la chaleur du soleil, au matin, vient réchauffer nos corps endoloris. Que demander plus ?

- Le mythe du bon sauvage ? C’est contestable, mais admettons. Quel avantage tirez vous de cette existence singulière ?

- Le monde est ainsi fait que l’on ne peut se voir et observer dans le même temps ce qui nous entoure. En d’autres termes, la conscience de soi et ses conséquences - la réflexion, la pensée, la philosophie en générale - nous empêchent d’appréhender le réel. Nos sens autant que notre esprit nous trompent. Le concept du vrai et du faux sont seuls responsables de ce dualisme, lui-même représentatif de nos raisonnements métaphysiques stériles. On retrouve un peu partout ce besoin compulsif de juger tout ce qui nous tombe sous la main ; à force on finit bien par trouver un petit air de ressemblance entre nos joyeuses frimousses et le tas de sable sur lequel on marche ; seulement un tas de sable avec un visage humain, ce n’est déjà plus un tas de sable...
[...]


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Cioran
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Message Posté le: Mar Jan 02, 2007 13:33 pm    Sujet du message:
Citation:
Il faut y voir le refus d'une justification de notre existence, mais aussi l'impossibilité à trouver une cause apte à transcender nos vies.


Effectivement, il était difficile de déduire ceci de la proposition "vivre au hasard". Il est vrai que le grille pain ne peut, passant à l'âge adulte, se donner comme but dans la vie d'être un réfrigérateur. Et je conçois effectivement que tout but qu'on souhaite atteindre n'est en aucun cas une justification de l'existence, qui lui est de toute façon antérieure, mais fait plutôt partie du choix de modifier de façon consciente la dynamique de la Vie, ie l'ensemble des existences, du monde matériel aux mondes mentaux.

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