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                HÔPITAL (dans : Le passager
clandestin) Posté le: Dim Nov 12, 2006 23:44 pm    Sujet du message: Armen Lubin 
 
 À Henri Thomas
 
 
 
 1
 
 C'est un arbre échevelé depuis sa base
 Qui se laisse arracher la glande vitale.
 C'est un arbre penché sur l'hôpital
 Qui par instant revêt la forme, sous la lune,
 D'une chapelle bâtie sur la fosse commune.
 
 
 2
 
 Tandis que le vent repoussait les maisons
 Dans le sens contraire à leur inclinaison,
 Une ambulance parcourait le pays
 Pour y faire tituber le couple le plus uni.
 
 C'est chose faite. Si en dépassant le porche
 L'ambulance vire dans la cour sablée,
 C'est parce qu'elle veut atteindre le fond de la plaie.
 Ô l'os du fond! Mur d'hôpital aveuglant de lumière
 Où progressivement diminue l'insolence des phares!
 Les brancardiers se baissent et ramassent leur part.
 
 
 3
 
 Certains malades s'arrêtent de compter
 Les barres de fer de leur lit
 Et sitôt la droite de leur bouche fuit,
 Tandis que la veilleuse bleue fait valoir
 Son oeil artificiel aux reflets noirs.
 Que prend donc la mort, que peut-elle nous enlever?
 - L'homme vivant
 N'a que son ciel changeant à donner.
 Son ciel qui flotte dehors et flotte dedans,
 C'est tout ce qu'il peut donner s'il est franc.
 
 
 4
 
 Parfois dans la pénombre liturgique et austère
 L'on entend la petite scie des anges lapidaires,
 En même temps que s'accomplit la séparation des cieux
 Pour toujours se défait le noeud du milieu,
 Petit noeud, grand serrement,
 Il se défait dans la religion
 Des pourquoi et des comment.
 
 Il se défait et l'aube illumine les arêtes
 Puisque sur la table métallique et pure
 Deux fioles, c'est-à-dire deux défaites,
 Fulgurent.
 
 
 5
 
 Que le médecin emporte l'inutile coutelas
 Que la pendule sonne " je ne me souviendrai pas ",
 La main du mort reste exposée dans la lumière
 Avec son air d'écrire ce que l'on doit taire.
 Terrible, terrible survie de la main droite
 Sur le ventre bombé! Survie
 Durant laquelle les doigts délicatement rassemblés
 Ont l'air d'imiter une très haute signature
 De faire un faux plus vrai que nature
 Jusqu'au moment où la main tombe, où elle vibre,
 Nul ne connaît paraphe plus libre.
 
 
 6
 
 Mais avec bonheur de l'ombre se détache
 La gerbe éclatante des fleurs aux longues tiges
 Elle veut favoriser la femme, la femme rose et blanche,
 Cette fille de charité qui est présente
 Dans les demeures où l'homme a mal.
 Et l'homme a toujours mal
 À l'heure précise où l'hôpital
 Prend livraison de sa glace quotidienne.
 
 Le gros camion laisse derrière lui
 Des goutelettes très pures sur les dalles carrées
 Pour que l'infirmière suive le pointillé
 Fine, fine dans son châle canari.
 
 
 7
 
 Personne ne sera réellement appauvri
 Par le spectacle de la mort
 Si ce n'est un jeune homme au profil d'ange
 Pur jeune homme qui prend son or et l'échange
 Contre de la petite monnaie, une monnaie locale.
 C'est une monnaie vile que les mensonges de l'hôpital
 Qui s'échangent d'un lit à l'autre, qui ont cours,
 Qui déchiquettent tout, même l'innocence sans détour,
 Et le mort reste pris dans ce drap de loques,
 Le mort le plus mort reste un peu dans l'équivoque.
 
 
 8
 
 Mais dans le camion maintenant vide de glace,
 Dans le camion en marche quasi-obscur,
 Des myriades d'étoiles étincelantes et pures
 Se déroulent en crissant le long de l'allée
 Selon les principes de la haute architecture
 Des voies lactées.
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                un poète que j'ai découvert il y a peu , Posté le: Dim Nov 12, 2006 23:48 pm    Sujet du message: j'aime extraordinairement ce poème, extrait du receuil de gallimard : Le
passager clandestin, Sainte Patience et Les hautes terrasses.
 
 Il est né en 1903 à Istanbul et mort à St raphaël en 1974, d'origine
arménienne. Il connut jeune des problèmes de santé dont il ne se sépara
pas avant sa mort. (tuberculose osseuse)
 Cela l'amène dans une poésie tendre, souvent amère, à poser son regard sur
les 'faibles' personnes, étranger et pérpetuel voyageur des centres de soins
:
 
 ARMEN LUBIN.
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