Babyzelle
Petit nouveau
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Posté le: Sam Oct 21, 2006 15:06 pm Sujet du message: Art-gent
A la suite de la discussion sur "le pinceau est démodé", je poste cet
article.
« Peindre est un luxe » (Théo Van Gogh, dans le film éponyme de Pialat).
Même si Van Gogh n’a rien vendu, il a été entretenu. L’art a toujours
été lié à l’argent ; les mécènes, les marchands d’art ont toujours
été présents. Mais à une époque où argent rime essentiellement avec
pouvoir d’achat et consommation, ce lien prend une autre signification.
D’Andy Wahrol qui la montre, la multiplie à Martin Parr qui la critique, la
société de consommation est présentée dans l’art comme un cliché tout
autant qu’une nouvelle réalité. Que l’on consomme du chocolat Nestlé,
un jean H§M, un séjour à Disneyland et même la culture uniforme servie par
Virgin ou UGC, cela semble inévitable. La culture peut se consommer en livre
de poche, en DVD… Mais pas que.
Les millions de touristes qui visitent le Louvre chaque année sont-ils tous
férus d’histoire de l’art ? Dans la queue du musée Guggenheim à Bilbao
cet été, je me demandais quel enrichissement chaque touriste (d’ailleurs
pour la plupart français) allait pouvoir trouver après cette visite
culturelle. Pour ma part, je n’en ai trouvé aucun. L’exposition sur
l’art russe n’était qu’un parcours chronologique froid et sans aucune
logique. D’aucuns riaient devant Malevitch et d’autres s’extasiaient
devant telle toile de l’art soviétique, et peu remarquaient le petit
tableau de Kandinsky caché dans un coin de la salle. Non pas que l’on soit
obligé d’admirer Malevitch et Kandinsky ou de se désintéresser de l’art
soviétique, mais que deux grands inventeurs de l’art abstrait obtiennent si
peu de crédit de la part des visiteurs, mais pis encore, de la part des
conservateurs, c’est à sortir du musée en courant. Seulement, quand on a
payé son droit d’entrée 12€, on profite jusqu’au bout. Alors on va
voir la fin de l’exposition, et on est surpris de voir agglutinés dans une
petite installation foule de touristes qui pourtant semblaient
désintéressés de tout ce qu’ils avaient pu voir jusqu’ici (« les
installations de Serra ? Quelle blague ! »). Au centre de l’installation,
une vidéo. Des images d’un malade psychiatrique recevant un traitement par
électrochocs. Enfin des sensations, de la souffrance, de l’humiliation,
comme à la télé !
Ces constatations peuvent paraître hautaines, mais malgré les apparences, ce
ne sont pas les visiteurs que je blâme. Au contraire, le musée devrait (doit
?) rester un lieu vivant, de rencontre, d’apprentissage, et bravo à ceux
qui ont encore le courage de se rendre dans des lieux d’art moderne ou
contemporain. Car après tout, c’est à n’y rien comprendre et on se moque
de nous. Personne ne peut sortir enrichi d’une telle visite, sans
explication, sans logique, si ce n’est le musée qui bien sûr n’oublie
pas de nous faire passer par la case boutique où l’on trouve de charmants
tabliers de cuisine agrémentées d’une jolie œuvre (et en plus, il y a
marqué « Guggenheim Bilbao » dessus).
Tout le monde, amateur, passionné ou simple observateur s’accorde à dire
que « c’est pas possible, on se fout de notre gueule ». Pourtant, ce même
tout le monde retourne au musée. La visite d’un musée est un loisir au
même titre qu’un autre, dont on ne comprend pas forcément bien le sens.
Simple symbole du traitement de la culture et des objets artistiques comme
produits consommés et consommables. L’observateur se sent lésé.
L’amateur et le passionné ne découvrent plus rien. Ils vont juste au
musée pour passer quelques heures devant telle œuvre pour laquelle ils
portent une affection particulière ou pour telle rétrospective. De toutes
façons, tous l’ont bien compris, depuis longtemps, l’Histoire de l’art
actuel ne se joue pas au musée qui garde gentiment au chaud quelques œuvres
sans la moindre notion du subversif ou de l’avant-garde (Palais de Tokyo mis
à part, et encore.)
Alors, où découvre-t-on les nouveaux artistes ? Dans les galeries et les
foires d’art. Elles fonctionnent sur le même principe que les musées, à
une différence près. Sur l’étiquette à côté du tableau, on ne trouve
pas les noms de l’artiste et de l’œuvre, mais le prix du tableau, symbole
même que la consommation culturelle ne touche pas que les musées. Elle
atteint toute la sphère artistique. Exagération à part, ces genres de lieux
sont plutôt réservés à un public (et à un portefeuille) bien précis.
Même le passionné lambda de Buren ou l’amateur de Dada sans un sou n’y
sont pas les bienvenus. Ils n’ont qu’à aller dans les musées, ici on se
livre à une autre forme de consommation.
«Les collectionneurs sont-ils devenus fous ? » titre Beaux-Art Mag d’août
2006. L’article le plus risible qu’ait pu nous servir le magasine de
référence, mais en même temps l’un des plus concrets, nous livrant un
regard malgré lui cynique sur le marché actuel de l’art. Ce n’est pas
sans une certaine ironie que les rédacteurs nous montrent comme ce marché
est contrôlé par quelques personnes, qui souvent ne savent simplement pas
comment dépenser et placer leur argent, mais parfois ont un peu de «
connaissances ». Quoiqu’il en soit, ce sont ces quelques nababs qui
décident de tout. Souvent peu conseillés, ils achètent selon leurs envies,
leurs goûts, leurs caprices. Suite logique à la belle démonstration de ce
dossier : quand quelques millions sont dépensés pour telle artiste chérie,
elle est plus rapidement « cotée ». Et une artiste cotée, c’est une
artiste qui finira par intéresser les conservateurs de musée et par être
montrée au public.
Qui permet cette dictature de quelques millionnaires ? Certains intéressés
par l’argent font preuve d’un laisser-faire assez inquiétant. Mais
d’autres, plus dangereux, soutiennent leurs choix : les critiques d’art.
Ils n’ont aucun intérêt financier à soutenir les « nouvelles tendances
», les « nouvelles modes », sinon celui de faire tourner le magazine. Mais
à ce point, c’est à nous dégoûter du magazine en question…
Feuilletons-le. Seizième page, « Beaux-Arts Design, par Claire Fayolle »
(à quelques lettres près, le nom de la « journaliste » est bien trouvé).
On assiste à une sélection d’objets, certains très moches, d’autres
très inutiles quand ce n’est pas les deux (toute objectivité mise à
part), mais surtout tous très chers. On n’oublie pas de nous donner le
numéro de téléphone du magasin qui vend des merveilles de lampes en forme
de rien du tout à quelques 8000 euros. En gros, la rubrique shopping qu’on
retrouve dans n’importe quel Elle ou Marie-Claire… Rubrique cinéma… Un
extrait « Cinéma sempiternellement idéaliste et militant disaient les
grincheux. C’est à moitié vrai : la force du film tient surtout dans sa
représentation nuancée d’une guerre intestine, civile, fratricide,
magnifiquement incarnée à travers deux frères très proches qui finissent
par se déchirer. » Sans rire… Et plus sérieusement, après quelques
dénigrements des giga collectionneurs et de leur fièvre acheteuse, on
retrouve bien évidemment la rubrique « marché » digne de la Vie
Financière. A combien s’est vendu telle œuvre ? Où se tiendra telle foire
?
Ce magazine se présente finalement comme une blague, qui ne se limite pas à
une ironie bienveillante, mais qui dépasse tout ce qui est permis de croire :
c’est une blague consumériste. Et qu’en est-il des artistes qui vendent
leurs œuvres à moins d’un million, et même, qui n’en vendent pas ? Ils
n’intéressent pas la dictature du goût représentée par quelques
intellectuels, plus avides d’argent ou de reconnaissance qu’intéressés
par un réel renouveau de l’art.
Vice des collectionneurs, mais aussi des critiques et pis encore des artistes
eux-mêmes, le phénomène de consommation semble provoquer un nivellement par
le bas des choix de « la production artistique » à laquelle le public a
accès. La conclusion n’a pas lieu d’être, on préfère laisser des
points de suspension et attendre. Comme toujours depuis quelques décennies…
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