La démocratie: masse et individus


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Ahmed
De passage
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Message Posté le: Ven Juin 16, 2006 23:53 pm    Sujet du message: La démocratie: masse et individus
«Mais qu'est-ce donc que cette société?» se demande Jacques Rancière dans son livre "La Haine de la démocratie"*. «Et qui s'autorise de parler en son nom? Pourquoi les experts s'arrogent-t-ils le privilège de décréter, au nom d'une Raison dont serait dépourvues les masses ignorantes, ce qui est possible et ce qui ne l'est pas? La démocratie n'est-elle pas, au contraire, le système ou tout le monde devrait avoir voix au chapitre? Dès lors, ce que l'on stigmatise sous l'étiquette de "l'individualisme démocratique" n'est pas une dangereuse dérive de la démocratie, mais la démocratie elle-même. Et c'est bien ce que ne peuvent supporter ceux qui aimerait diriger le monde pendant que les autres se taisent.» *(Lu l'article dans le N.Obs. 18/04/2006)

M. Rancière, je n'ai pas lu votre livre et ma réponse se base sur un article dans le N. Obs. vous concernant. Ce faisant, j'en profite pour exprimer mes idées en reconnaissant que je déforme peut-être les vôtres. C'est à voir. . . mais d’une façon ou d’une autre, je contribue à la promulgation de votre livre.

En fait, vous ne voulez pas vraiment affirmer "que les autres se taisent", mais seulement que "les experts" le souhaiteraient, car il est indiscutable que les masses, de nos jours, dans les pays démocratiques, en tout cas, peuvent défiler dans les rues autant qu’elles le désirent et ne se privent pas de ce droit. Et voyez Internet, un outil potentiellement démocratique par excellence, où une innovation sans précédent en matière de relations personnelles -individuelles, comme je m'y emploie par exemple, aurait pu voir le jour, et vous vous rendrez compte de l'efficace organisation et communication que nous pondent les masses en guise d'initiative révolutionnaire!?! C'est nul, et pis! L'anonymat, le superficiel, l'irresponsabilité et la peur de l'initiative sont la norme émergente, pour en définitif crouler sous le poids de la publicité qui formate les individus en série.

Évidemment, l'exception devrait confirmer la règle. Vous qui me lisez, faites-moi signe, parce que pour l'habitué du web que je suis, ces raretés ont un air de mythe. Je connais cependant Vikipédia. Tout le monde vante sa prouesse en matière d'organisation virtuelle, démocratique et culturelle. Un peu lourd, par contre, comme format pour ceux qui ne maîtrisent pas les difficultés du net, et sa neutralité en matière de connaissance n'offre pas de dynamisme dialectique.

En outre, les médias étant devenus ce qu'ils sont, un organe au service des cotes d'écoutes et de la finance étroitement liées, et sans complexe, aux exigences du plus grand nombre, c'est un vœu vicieux d'"experts" dont vous nous faites part ici. Car dans la réalité, peu importe qui dirige le monde, le pouvoir implique nécessairement cet abus qui est un constituant de toutes formes de gouvernement. L'idéal respectable, c'est de ne pas plonger outre mesure dans le machiavélisme. Sinon, il est naïf de croire qu'un élu se rende au poste de Premier ministre sans fermer les yeux sur des monstruosités qu'impliquent la diplomatie internationale ou la direction d'un état. Les masses, M. Rancière, honorent les Papes, à la tête d'un état pratiquement totalitaire, dont elles imaginent leur Sainteté personnifier les symptômes de la plus haute spiritualité!

D'après l'article que j'ai lu, vous vous en prenez surtout à ceux qui "haïssent" la démocratie parmi les intellectuels. Le hic ici, M. Rancière, c'est que la démocratie étant l'affaire de tous, je me demande pourquoi les "masses" et les individualistes qui la composent, en opposition aux experts, ne sont pas plus efficaces dans l’application, aujourd'hui, de leurs revendications? Car il faut établir une distinction entre le potentiel de changement possible du siècle dernier et celui de notre situation actuelle. À titre d'exemple incongru, je vous citerai celui de Radio-Canada où un journaliste faisait une comparaison entre l'exploitation des mexicains de Californie avec les esclaves d'Afrique autrefois. Quelle ignorance des deux situations! Quel amalgame! Ce n'est pas avec des arguments aussi relatifs et farfelus que l'on va faire avancer les choses.

Un autre exemple: il y a quelques années, j'ai vu "L'erreur Boréale", un documentaire sur le saccage de la forêt. À la sortie, une charmante femme, responsable des salles de cinéma m'a demandé ce que j'en pensais. C'était l'époque où les Américains avaient interrompu leurs achats massifs du bois-d'œuvre et les Canadiens s'en plaignaient en criant au scandale à l'unisson! «Mais pourquoi se plaindre des Américains, ai-je demandé, s'ils cessent d'acheter notre bois? La forêt ne s'en porterait-elle pas mieux?» Pas de réponse. Mais au fond de ses yeux, je pouvais deviner le dilemme: Et l'industrie? Et les ouvriers?

Voilà ce que c'est quand on désire le beurre et l'argent du beurre. Évidemment, de tels rappels mettent mal à l'aise.

De plus, comme je le mentionnais dans mes réflexions sur Bourdieu, le peuple des non-intellectuels n'a pas l'air d'être très actif en matière de réflexions ou débats pour le moins songés. La preuve, il suffit de fréquenter les forums sans parti pris sur le Web pour se rendre à l'évidence de l'absence flagrante d'individus sachant ou désirant exprimer des idées quelques peu recherchées -et suivies. Les sites qualifiés pour ce genre de débats existent, j'en conviens, c'est comme partout ailleurs, mais dès que l'on pénètre dans leurs cercles privés, religieux, politiques ou autres, vous êtes rapidement censurés pour vos opinions divergeantes par ces "experts" dont vous faîtes allusion, ce qui est normal à mon avis. Ce n'est pas cela que je remets en cause. C'est votre allusion aux masses dont les individus devrait "avoir voix au chapitre" mais seraient brimées par des élites. Quelles élites? Quelles autorités? Dans la pratique, tous les grands magazines ont commencé à offrir un forum gratuit pour les internautes, sans qualifications préalables. Étrangement, le journal Le monde et le Nouvel Observateur, supposés être au service du peuple et de l'individualisme, refusent les inscriptions à ceux qui ne sont pas abonnés. Parlez-moi d'esprit de clocher! d'élitisme! ou de capitalisme!

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