| Goldman, the gold man Membre
 
  
  
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                J'aimerais vous faire découvrir mon texte préféré, écrit par celui que je
considère comme le plus grand poète de tous les temps : Léo Ferré ! Posté le: Mer Mar 22, 2006 19:01 pm    Sujet du message: Ludwig (le meilleur poème français de l'histoire à mon goût) 
 
 
 LUDWIG
 
 
 Au fond d'une guitare enragée à l'automne
 Il y avait du sang comme un dièse mouillé
 C'était à Bonn au détour d'une rue...
 
 S'il fallait parler de cette romance en allée dans la rue
 Avec ses habits du dimanche
 Alors que la semaine s'étire on ne peut mieux, au bout
 de l'incertain et du tragique
 S'il fallait chanter cet éternel recommencement qui tient de
 l'habitude et du savoir constant vérifié par les arbres
 Par les crépuscules teints
 Par les regards cachés derrière la pensée perverse ou religieuse
 S'il fallait dire un peu de cette insouciance et qui nous mène
 au jardin des faillites et de la solitude
 S'il fallait... S'il fallait...
 Alors remonterait du fond de nos cagibis inconscients
 Du fond de notre vouloir le plus profond
 La certitude,
 Le temps précis et incalculé et toujours indemne,
 Alors s'emballerait notre habitude retenue par la défense
 de s'insurger, de s'éprendre, de s'illusionner.
 Coriolan n'était qu'un prétexte. Egmont? Parlons-en.
 Tu te souviens?
 
 Sur cette plage toute en graviers
 Cette plage défaite au nom d'une certaine compromission
 entre la mer et le spectacle
 Cette plage que tu voulais défaite et soumise
 à ton imaginaire chorégraphie d'enfant seul et triste
 Tu t'en souviens?
 Et tu chantais... et tu chantais... et tu chantais...
 Et tu pensais qu'Egmont c'était la mer, le drame, les larmes,
 La beauté de cet instant fabuleux de solitude exaucée
 Tu l'avais dit, et tu l'avais crié à ce prof impotent du verbe
 et de la grâce, et tu t'étais caché parce que tu étais
 seul au monde, et vaincu, et grinçant contre l'imbécillité
 secourue et protégée par la loi et par le nombre.
 Depuis, Egmont me remonte comme la mer
 après ses descentes impitoyables au fond des enfers
 et de la nature fidèle.
 Egmont, comme une source bienheureuse et coulant
 comme une génération tout entière de bienfaits uniques,
 Parce que tu es l'Unique
 Parce que je t'ai donné l'Unique et ce Temps
 Qui s'est arrêté au bord de la seule invention de l'homme...
 Devine!
 
 L'illusion s'arrange et s'indemnise au mieux de l'imaginaire
 et de la folie. Je m'illusionne et je pars m'illustrant moi-même
 et me regardant à travers le style enfin parcouru au long
 de tous ces silences, de toutes ces vicissitudes interpolées
 par des copistes dont je me fais le modèle transmis
 d'on ne sait où et, sans doute, par voix orale.
 Quand je parle à l'illusion je suis à Bonn sous-traitant
 la quatorzième symphonie chez un archiduc de mes
 prétendants...
 Je vais alors et maintenant vers l'horizon blafard et souriant
 peut-être, parce que de mon œil jusqu'à son désir de paraître
 il n'y a probablement qu'une intention d'architecte.
 Ce que je vois se perd.
 Ce que j'instrumente ne peut qu'être perdu aussi.
 L'instinct du hautbois est une crécelle inventée
 par des lèvres secourues.
 Le vent, d'habitude, s'informe de ses perverses possibilités
 et se retrouvera bientôt dans le plan général de ces bois
 vertueux et grinçants rien qu'à l'idée de se protéger
 tout en haut, à l'aigu, se défendant aussi
 de la fable contrapuntique et apprise sur les bancs de l'informe
 et de la décadence.
 Le chant... le chant... et cette vertueuse passion
 qui ne va jamais au bout de la relative inversion,
 dans le moins, que l'on ne découvre qu'à force de bienfaits
 dans l'outrage et dans le sacrifice propitiatoire.
 Un peu comme la terreur obligée du stupre
 et de la revendication.
 Je sais des formules apprises. Je leur crachais dessus.
 Je sais des impossibilités pratiques. Je les décontenançais
 à force d'incroyable.
 L'incroyable, c'est la porte de secours que je poussais
 quelquefois, et personne jamais ne s'en est aperçu.
 La perversion m'obligeait à me rendre tel que les pervers
 pouvaient m'imaginer, et encore... Cette perversion
 tellement cachée au fond des mers conscientes
 revues et corrigées par le cynisme des lois de préférence
 pénales, je l'entendais au fond de moi, comme les accords
 de la Neuvième que j'avalais de travers parce qu'engloutis
 pêle-mêle dans ma bouche auriculaire, et je la rendais
 à qui de droit, je veux dire aux inadaptés de l'esprit.
 Ils croyaient que je me trompais alors que Stravinski c'était
 déjà moi. Avec le sourire en plus. Enfin... ce sourire
 tout près de vos larmes.
 Il faut bien concéder. Ça favorise et ça trompe les historiens.
 
 J'allais jouer à la marelle, avec trente-deux cases.
 La sonate pour piano, c'est une démission de joueur.
 Quand Dieu se masturbe, il met du cassis dans ton vin blanc
 et tu jouis en même temps que lui,
 
 À cela près que Dieu c'est toi
aussi.
 
 Vous n'êtes rien moins que les informes copies de votre
 propre imagination. Lorsque tu imagines, tu crois être dans
 le spectacle alors que le spectacle te regarde et te vérifie.
 Quand je transpirais auprès de Térésa, elle prenait ça
 pour du génie. Mon génie c'était justement de m'arrêter
 à temps, au bord du non-dit et de l'informulé.
 Tu sais bien que Rembrandt n'a jamais dessiné que des
 fadaises. Si tu voyais ce qu'il voyait tu t'arracherais
 mes oreilles.
 Nous sommes d'un monde non édifié et que nous sommes
 seuls à parcourir, encore qu'il y faille un peu de désordre
 aussi et de cette indicible beauté qu'on ne dit même pas
 en musique ou au fusain et que nous immolons chaque soir
 avant de parcourir l'inédit et la fantastique pâleur
 du silence et de l'objective inanité.
 Le néant, vraiment, finit par avoir une consistance,
 tellement nous nous en informons, tellement nous le parlons
 avec nos mots et nos idées, alors que l'idée même
 en est transfigurée par nos sens et notre dérisoire entendement.
 
 Coriolan n'était qu'un prétexte. Egmont?
Parlons-en
 Tu te souviens ?
 Sur cette plage toute en graviers
 Cette plage défaite au nom d'une certaine compromission entre
 la mer et le spectacle,
 Cette plage que tu voulais défaite et soumise à ton imaginaire
 chorégraphie d'enfant seul et triste, tu t'en souviens ?
 Et tu chantais... et tu chantais... et tu chantais...
 Et tu pensais qu'Egmont c'était la mer, le drame, les larmes,
 la beauté de cet instant fabuleux de solitude exaucée,
 Et tu l'avais dit, et tu l'avais crié
 à ce prof impotent du verbe et de la grâce,
 Et tu tétais caché parce que tu étais seul au monde,
 et vaincu, et grinçant contre l'imbécillité secourue et protégée
 par la loi et par le nombre.
 Depuis, Egmont me remonte comme une source bienheureuse
 et coulant comme une génération tout entière de bienfaits
 Uniques,
 Parce que tu es l'Unique
 Parce que je t'ai donné l'Unique
 Et ce Temps qui s'est arrêté au bord de la seule invention de l'homme…
 
 La douleur.
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