Derisoire
Petit nouveau

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Posté le: Mer Jan 04, 2006 07:05 am Sujet du message: INDIGENCE
Tell us that God is a big boss and that we are paid
to trust him… » clamait Michèle Lalonde dans Speak White. L’argent
achète tout dit-on. Ce sont les mêmes « thons » qui nous ont appris que la
terre pouvait s’acheter et se vendre.
« On était pauvres, mais on était propres » avait coutume de répéter ma
mère en évoquant son enfance. Cela risque de changer si les nouveaux thons
d’aujourd’hui réussissent à nous vendre NOTRE eau comme ils ont réussi
à le faire un peu partout dans le monde. Il ne faudrait pas se surprendre si
demain on tente de nous vendre l’air que nous respirons à moins qu’un
quelconque commando du genre « Zapatiste » prenne la forêt amazonienne en
otage. Cette forêt qu’on dit être « le poumon de la planète » (où est
donc passé l’autre?).
Je ne suis ni historien, ni sociologue et encore moins économiste. Je suis un
homme qui tire le Diable par la queue et qui ne dédaignerait pas celle de
Dieu si celui-ci daignait se pencher plus souvent vers moi… À vrai dire, le
paganisme me séduit de plus en plus et je me surprends parfois à
m’imaginer en train de jongler avec un panthéon aux allures de bestiaires.
En vérité mes hautes études se sont arrêtées brusquement au cinquième
étage, je travaille quand je le peux et (ô horreur!) quand je le veux. Je
n’ai pas, pour le moment, de gîte stable et ma principale source de
protéines a récemment été rasée par les flammes. Ayant les yeux plus
grands que la panse, je dépense plus que mes moyens et parfois aussi ceux
d’autrui… De plus, mon mode de vie me conduit fréquemment à
l’hôpital… Vous l’avez sans doute déjà deviné : je suis l’épine
dans le pied d’athlète d’un système boiteux, le cancer du poumon d’une
société à bout de souffle, un pourcentage en plein essor dans les
statistiques… enfin bref, je l’avoue, je suis « pauvre ».
Je ne suis pas un pauvre « ben ordinaire » (que nenni) et bien qu’à une
certaine époque « ma poignée d’change brillait dans la nuit comme un
p’tit ange au pied du lit » comme le chante si bien Richard Desjardins, je
suis passé de la caste d’intouchables à celle des « touchables touchants
» (tout chiant pour certains). C’était l’époque de la rue (trottoir
inclus). Celle où j’ai développé les multiples facettes de ma
personnalité. Lorsque les missions nous enfermaient dehors à sept heures le
matin, je devenais illico un « sans-abri ». Mais à peine avais-je fait
quelques pas à l’extérieur que je me retrouvais « itinérant ». Si le
besoin me poussait (et croyez-moi y’a des besoins qui poussent) à mendier,
je me métamorphosais en « quêteux » et si l’envie me prenait de me
désaltérer, je me transfigurais ZAP en « robineux »… Évidemment, le
plus souvent possible, je dormais dans les missions, je me lavais dans les
missions et je mangeais dans les missions… Bref, je faisais le bonheur des
« missionnaires » croyez-moi et j’ai vu plus d’une âme bénévole «
grandir » près de moi! Bien sûr, si j’avais charrié avec moi une
soixantaine d’années à travers une longue barbe blanche, mon horizon se
serait limité à celui de « clochard » (je vois que ce mot vous dit quelque
chose.). Inversement si j’avais été imberbe ou duveteux et affublé
d’une tignasse d’un vert radio-actif en brandissant un squeegee, je serais
un… un quoi donc?
Comme je l’ai déjà dit il y a quelques années, je ne sais pas si vous le
savez mais être affamé, assoiffé, saoul, sale, vulgaire, désespéré et un
peu perdu sept jours sur sept à l’année longue… c’est de l’ouvrage
en crisse! Alors pardonnez donc à ceux à qui il manque parfois quelques uns
des attributs si chers à vos préjugés…
Contrairement à la plupart des villes nord-américaines, les règlements
municipaux de la ville de Montréal n’interdisent pas la mendicité en
autant que le dit mendiant n’obstrue pas la voix du seigneur, pardon la voie
publique. Ceci dit je sais, je sais : y’a rien comme un « bummeux » qui
vous tend une main du bout d’un bras plein de courant d’air pour gâcher
le paysage. Mais que voulez-vous? (comme nous le répète sans cesse chôse
là!). Ce n’est pas en les parquant dans des camps de réhabilitation comme
l’a déjà suggéré le jeune conseil de l’Hôtel de ville en 1995 qu’on
fera disparaître une misère qui n’est que la pointe très visible, j’en
conviens, de l’iceberg que constitue l’appauvrissement généralisé.
Qu’on se le dise une fois pour toutes; la guerre à la pauvreté ne se
gagnera pas à coups de matraque ni à coups de revolver comme cela se
pratique déjà partout sur notre globe. Et puisque nous en sommes à parler
d’argent, je vous en prie de grâce, cessez de vous imposer un cas de
conscience à chaque fois que surgit devant vous un « yéti errant » qui
vous tend la patte! Arrêtez de verser une larme émue sur vous-même à
chaque fois que vous vous persuadez d’avoir aidé votre prochain malgré lui
en NE DONNANT PAS! Je ne connais personne qui soit parti sur une « go » de
trois jours avec une piasse. Quelqu’un qui mendie c’est quelqu’un en
état d’urgence, alors donnez ou ne donnez pas selon votre cœur ou votre
humeur thats’it thats’all! OK?
Pour en venir à notre propos, je vous dirais que je connais des gens qui sont
prêts à tout pour de l’argent. Y’en a même qui vont jusqu’à
travailler. Lorsqu’on connaît les origines obscures et latines du mot
(trepalium : instrument de torture) on a du mal à ne pas se croire entouré
de sado-masos (sado pour les employeurs!). Vous vous demandez « mais
qu’est-ce qu’il raconte? » Je n’écris pas ce papier pour l’argent
(ben un p’tit peu quand même), mais pour le Fun. Oui, oui avec un grand «
P »… le Plaisir d’écrire. Le Pouvoir des mots (Ha! la joie de mettre les
poinGts sur les i!) je l’ai découvert chez le sadique qui m’emploie
actuellement. Il s’agit bien sûr du journal L’Itinéraire à qui je
prête ma plume (il ne m’en reste qu’une) mes jambes et mes bras depuis un
bon bout d’temps. Car bien sûr, moi aussi, il m’arrive de travailler (je
vous vois prendre votre souffle) et vous m’avez peut-être croisé sur le
trottoir, au coin d’une rue ou même sur une terrasse, en train de vous
jurer que je n’étais pas un témoin de Jéhovah en tentant de vous
persuader de m’acheter le journal que je vous offrais.
Je tiens à vous rassurer tout de suite, je ne suis pas le « bon itinérant
qui fait quelque chose pour s’en sortir ». Je ne suis pas l’itinérant de
service qu’on sort du garde-robe et qu’on exhibe à tout vent. Voilà que
je vous entends encore conclure à travers votre sourire que je corresponds
parfaitement à la description que je viens de faire. Tss! Vous tirez vos
conclusions des apparences. Mon apparence est trompeuse et comme le disait un
grand auteur du siècle dernier (je vous prierais de me communiquer son nom si
vous savez c’est qui…) « La bêtise c’est de conclure. » Bien que
j’aie découvert depuis quatre ans qu’un « crayon » pouvait servir à
autre chose qu’à se faire des trous dans les bras et qu’effectivement je
suis en train de changer de « caste de pauvre », je ne vous permets pas de
croire pour autant que je sois devenu un « cass’ de bain qui s’en est
sorti »!
Comme je le disais précédemment, on ne naît pas itinérant, mais on le
devient et ce, pour toutes sortes de bonnes et mauvaises raisons. On se
retrouve pas dans la rue sans s’être débattu avant. Quand t’es dans la
rue c’est parce que t’es pu capable. Tu veux pu rien savoir. T’é « out
». Tout le monde veut se sortir de quelque chose mais toé « T’É SORTI!
» et la question qui se pose et que je me pose encore c’est : «
j’peux-tu et surtout, j’veux-tu rembarquer dans l’trafic? ». Y’a de
plus en plus de monde qui grafigne le trottoir actuellement en plus des
squeegees et des itinérants. Le mot itinérant lui-même englobe désormais
autant de réalités que le nombre de visages que peut prendre l’exclusion.
L’apparition et surtout l’expansion d’un journal comme le nôtre est un
baromètre incontournable car il témoigne que tout ne va pas pour le mieux à
Cash City, si je puis dire. En revanche, il témoigne aussi et surtout que des
gens en ont « ras la bolle » d’être traités en victimes et prouvent
qu’ils sont capables de poser des gestes et de penser par eux-mêmes. Si
L’Itinéraire doit mener quelque part comme son nom le laisse présager,
j’espère que ce ne sera pas nécessairement dans le rang même si je vous
avoue que je trouve parfois son contenu un peu frileux. Mais pour l’instant
je préfère vous tendre un journal la tête haute que la main ouverte la
tête basse. Croyez-le ou non la différence est énorme…
Je viens d’un monde où les aveugles ne voient pas, où les sourds
n’entendent pas, où les paralytiques ne marchent pas et où les nains ne
grandissent pas… mais nous savons tous que les aveugles ne sont pas
qu’aveugles et que les sourds ne sont pas que sourds… J’en suis venu
pourtant à croire qu’on voudrait des pauvres (et quand je dis pauvre
c’est au sens large) courtois, respectueux, en santé, sobres et soumis et
pourquoi pas contents de leur sort! Les fromages qu’on nous promet pour nous
inciter à entrer dans le Labyrinthe (de la Sécurité du Revenu entre autres)
ne trompent plus personne. Les labyrinthes ne servent qu’à égarer ceux qui
s’y aventurent ou au mieux à les ramener à leur point de départ. Les
minotaures le savent bien et nous aussi. Alors ils serrent la vis : on
victimise en créant des cages dorées ou on démonise à qui mieux-mieux en
faisant vivre un enfer à ceux qui ne rentrent pas dans le rang.
Je m’en voudrais d’utiliser l’espace qu’on m’offre ici pour décrire
les commentaires que l’on m’adresse lorsque je vends le magazine
L’Itinéraire sur la rue. Mettons tout de suite les choses au clair : il
s’agit de mon travail, de mon gagne-pain, de mon gagne-beurre, de mon
gagne-gîte, de mon gagne-cigarettes, de mon gagne-bière… Voulez-vous que
je continue?! Je suis fait de la même pâte que vous : j’ai les mêmes
besoins, les mêmes désirs (j’en ai plus que vous, ok là!?)… alors
s’il vous plaît, cessez donc de me demander d’un œil inquisiteur, ce que
je fais avec mon argent… Faut-il encore une fois le préciser : le magazine
L’Itinéraire n’est pas un centre de thérapie. Ce n’est pas un moule à
transformer de mauvais itinérants en bons… pauvres. Ce n’est pas non plus
le porte parole des exclus, tout au plus UN porte-voix!
Alors que la roupie roupille, que le peso n’est guère pesant, que le mark
laisse des traces, que le franc l’est de moins en moins, que le dollar a le
dos large… et qu’enfin si tout le monde sait que l’argent ne fait pas le
bonheur de ceux qui n’en ont pas, je me permets de vous avouer que le seul
gros motton que j’ai eu dans la vie est celui que j’ai dans la gorge en
vous écrivant ceci.
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